Bonne étoile (
musique n°2)
Gérard se lève s'enfuit du bar à toutes jambes, il court à en perdre haleine, le vent lui fouette le visage, il entend les bruits autour de lui, les voitures, le métro, la foule, etc ... et il en pleure de joie.
Mais revenons quelque temps en arrière, une pluvieuse journée d'hiver, il est 18 h 30, l'heure habituelle à laquelle Gérard, célibataire confirmé mais attristé de son état, arrive au café La bonne étoile pour commander ses deux bières journalières, au fond sur le tabouret au coin du comptoir, le café un grand couloir aux tons pourpres et sombres, est intime avec peu d'ouvertures sur l'extérieur, on s'y sent en sécurité. A son poste d'observation, il peut ainsi se réjouir de la médiocre existence des autres habitués.
Après cette journée harassante, sa bière réconfortante est une partenaire privilégiée et compréhensive. Toujours l'espoir du miracle pour connaître le bonheur de sa vie. Son esprit se perd en conjecture sur sa bière, jusqu'à ce qu'il remarque que celle-ci se fige, comme privée de vie, le phénomène l'intrigue, est-ce le moment tant attendu ?
Une femme entre dans le bar, son blanc visage rayonne tel un halo de lumière flottant au-dessus de son long manteau noir ruisselant de fines gouttes, ses longs cheveux noirs plaqués par la pluie scintillent. Seul touche de couleur dans ce tableau, le rouge profond et puissant de ses lèvres fardées légèrement entrouvertes par le froid qui laissent deviner une dentition parfaite. Être parfait qui foudroie littéralement Gérard, apparition magnifiée éclaboussante de beauté.
Elle s'assied à l'entrée du bar en commandant un café, sa démarche légère et aérienne la rend encore plus irréelle, déesse flottante parmi les hommes. Il émane d'elle une force et une assurance contrastant fortement avec sa frêle et fragile silhouette. Malgré la chaleur des lieux, son café émet de faibles volutes de vapeur, comme si tout le froid de l'hiver enveloppant la pauvre tasse émanait de cette femme. Hypnotisé par la scène, il s'aperçoit qu'elle balaie du regard tout le bar, quand arrive son tour, il est foudroyé par l'ardeur de ses yeux qui scrutent le tréfonds de son âme et ne le lâche plus.
Il regarde à nouveau son verre, le liquide brunâtre reflète sur le verre son visage déformé, mensonge, vérité, tant de question se bousculent en lui que tout s'embrouille, les bruits s'étouffent, pour revenir de nouveau sur son reflet distorsionné. Autour de lui n'était plus qu'un monde de silence, son verre, lui et hors de son champ de vision un visage blanc. Il était 18 h 54, il devait agir, il bût cul sec son verre se leva en direction de la jeune femme et s'assit en face d'elle, silencieux, une éternité lui sembla s'écouler avant que la voix lui demande.
- En quoi puis-je vous aider ?
- Je ... Je crois que c'est le contraire. Je m'appelle Gérard.
- Séréna ... lâcha-t-elle dans un souffle, son regard était ardent, le silence était tel que l'impression d'être seuls au monde créa une atmosphère de complicité.
- Je ne peux demander à un inconnu de prendre des risques inconsidérés pour moi. Dit-elle en baissant la tête. Son regard un instant semblait libéré d'un poids insurmontable, n'écoutant que son cœur il dit :
-Faites moi confiance, vous ne serez pas déçu, je vous le promets.
- Pas ici.
- Où alors ?
- Chez vous.
Sa surprise était totale, mais il se leva sans bruit et ouvrit la porte du bar, il remarqua toutefois qu'elle consultait son portable depuis son sac. Dehors tout était étrangement calme, la ville semblait endormie alors que le soleil était à peine couché. Arrivés à l'appartement, il l'invita à se mettre à l'aise en retirant son manteau trempé, lorsqu'elle s'exécuta il resta sans voix devant tant de splendeur, elle arborait une robe rouge magnifique et attrayante. Il lui tendit un verre qu'elle prit sans se faire prier.
- Cela vous dérange ? Demanda-t-elle en se déchaussant. Il lui fit signe que non, au contraire le spectacle offert fût envoûtant, ses délicates mains massaient ses fines chevilles qui semblaient endolories, l'envie irrésistible de se lever et de l'accompagner était si forte qu'il la réprima en terminant d'une traite son verre.
- Je suis mariée depuis 5 ans, j'ai une petite fille de 4 ans, depuis l'arrivée de cette dernière mon mari ne me touche plus, telle une paria, j'ai vainement discuté avec lui de la question pour obtenir comme seule réponse qu'il ne m'aime plus mais qu'il ne veut pas non plus divorcer, j'ai donc rencontré un autre homme depuis 3 mois, mais ...
Elle hésita en lançant un regard en direction de son portable dans le sac, elle finit par prendre une grande inspiration et se lança :
- Mais c'est un homme impatient et colérique, j'ai vainement essayé de le quitter la semaine dernière sans réussite mais non sans conséquence.
Psschhhiiitt ! Un son étrange d'air sortant à haute pression se fait tout d'un coup entendre.
Mais l'attention de Gérard fût aussitôt captée remarquant alors des tâches de maquillage parcimonieuses qui dissimulaient habilement bleus et autres plaies sur le visage de Séréna. Des larmes perlaient sur ses joues délicates.
- Il m'interdit de les revoir sous peine de brutaliser ma fille.
Elle pleurait maintenant à chaudes larmes et sanglota, ému par son accablement il s'approcha d'elle pour la prendre dans ses bras et tenter de la rassurer.
- C'est pour cette raison que tu scrutes ton portable ?
Entre deux sanglots elle lâcha un oui éloquent. Après plusieurs minutes passés à se calmer, elle passa ses bras graciles autour du cou de Gérard l'implorant du regard :
- Aide moi Gérard, aide moi à oublier !
Et leurs lèvres s'unirent en une danse effrénée. Gérard en ces instants précieux, oubliait toutes les offenses, moqueries, sarcasmes et autres quolibets résultant de ses échecs précédents, il savourait.
Il se réveilla en sursaut, nu comme un ver, pas Séréna, habillée et prête à partir.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Il est là bas et il ne m'a pas trouvé ...
Elle mit ses chaussures et partit en trombe.
- Attends, attends, je viens avec toi.
Mais elle disparût derrière la porte à une vitesse incroyable. A son tour il s'habilla à toute vitesse et prit le manteau de Séréna oublié sur le canapé, arrivé dans la rue, elle a disparue. Plusieurs tintements de verres parviennent à l'oreille de Gérard, son incongru à cet endroit.
Un instant, il paniqua puis fouilla les poches du manteau pour trouver ce qu'il y cherchait, l'adresse de Séréna. Il fila à toute allure à sa voiture espérant arriver avant elle, il parvint à un petit pavillon où la porte d'entrée était entrouverte, il courut rapidement craignant le pire, poussa la porte et se dirigea vers une pièce d'où provenait une lumière crue, il tomba nez à nez avec un homme correspondant à la description de Séréna, un couteau à la main, le visage crispé de colère et en arrière plan le corps de Séréna au sol.
- La petite où est-elle ? Siffla Gérard, sentant la colère se répandre en lui.
L'homme où l'incompréhension et un reste de colère se lisait sur son visage ne répondit pas. Gérard le manteau sur son avant-bras glissa sa main dans l'une des poches pour y découvrir un objet qu'il sortit aussitôt pour le porter à la gorge de l'homme, après l'avoir touché il laissa éclater sa rage, somme de toutes les frustrations subies depuis de longues années, sevré de nouveau d'un bonheur qui lui tendait les bras, avec une colère insoupçonnée il porta de multiples attaques au visage et au torse, après plusieurs minutes de déchaînement, les mains maculés de sang, il se releva, le visage hébété.
Une jouissance et une puissance se firent jour en lui, il venait d'ôter la vie d'un homme, toujours dans ses pensées, nouvelles pour lui. Il entend des sons électroniques intermittents comme une musique irrégulière surgissant du néant comme par enchantement. Il tendit l'oreille pour mieux cerner ce bruit étrange et finalement se rendre compte qu'il s'agissait d'un chuchotement :
- Belle boucherie !
Comme piqué au vif, il sursauta à la voix de Séréna qui l'incommodait, elle semblait par ailleurs avoir perdue toute chaleur humaine.
- J'avoue que tu dépasses toutes mes attentes, abattre un homme au stylo plume c'est pour le moins original !
- Il ne t'a pas tuée ?
Son visage s'illumina alors d'une joie malsaine.
- Évidemment que non mon trésor, tu ne pouvais l'abattre qu'en me croyant perdue à tout jamais.
Elle s'approcha de lui avec une sensualité retrouvée et l'embrassa fougueusement, mais Gérard réalisant alors l'horreur de son acte, la repoussa violemment et s'enfuit aussi vite que possible entendant Séréna lui asséner :
- Reste, pense au pouvoir qui tu as ressenti, avec moi tous les jours je te promets des joies similaires.
Il courût effrayé autant par son acte que par la possibilité qu'elle puisse dire vrai, tout se bousculait en lui le remords, l'amour, la peur, la joie, la puissance, le dégoût mais par dessus tout cette odeur de sang dont il n'arrivait pas à se défaire. Ce déchaînement provoqua en lui des nausées, il tituba et finit par s'effondrer au sol et perdre connaissance.
Quand il se réveille, il n'est plus dans la rue, ce n'est pas du bitume contre son visage mais du parquet, une odeur de cirage lui prends le nez, des odeurs d'anis et d'autres alcools, il est dans son bar, des amis l'aident à se relever et à le réinstaller sur son tabouret, il regarde l'horloge : 18 h 55, regarde sa tenue et ses mains : immaculés, puis l'entrée de La bonne étoile : Séréna est assise comme la veille. Tout cela n'est donc qu'un rêve, il ne cherche pas à en savoir plus.
Gérard se lève, s'enfuit du bar à toutes jambes ...
24/11/2008, 10h03
.