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Et bien voilà, pas d'excuse, il y a peu de textes, donc vous pouvez tout lire, voter, et même, pourquoi pas, commenter, cela fait toujours plaisir aux auteurs  ! Comme il y a peu de textes à lire, le vote sera terminé dans 5 jours.
Je rappelle que le thème est " un bon verre de vin".
Texte 1 :
Je n’y arriverai jamais.
Je me suis imaginé la scène cent fois. Milles fois.
A la nuit tombante, armée d’un ciel étoilé façon carte postale. Plus haut une lune, pâlissante, derrière un léger voile de nuage. Entouré de cyprès, ceux qui encadrent la terrasse en pierre brute derrière la maison, avec vue sur la mer… Dans un hamac, avec un gros coussin moelleux ! Nous transpirerions un peu à cause de la chaleur du soir…
Non, non ce n’est pas ça.
Plutôt dans le salon, enfouis ensemble dans ces immenses canapés de cuir, ceux que papa à rapporter de Tunis. La platine faisant vibrer un des vieux disques de jazz de l’armoire d’à coté. J’aurais pris au hasard de toute façon. Mais ça aurait été bien. La pluie fine aurait fait clapoter le toit, doucement, pour ne pas couvrir la musique. Lumière tamisée, je l’aurais soulevée doucement…
Pff non, trop cliché.
Voila, dans la cuisine. Un plat en train de mijoté, qu’importe, tomate, oignon, courgette. Des trucs qui sentent bon. Un planche en bois parsemé du reste des ingrédients colorés, un torchon blanc à carreau rouge posé négligemment quelque part et puis… oui, l’essentiel, deux verre à pied, les plus haut possible ! Et un bon vin, rouge évidement. Dans la lumière, pour en faire ressortir toute la couleur...
Et si tout était la. Le bon vin. Peu importe l’endroit, un simple verre de vin et nous aurons en tête tous ces tableaux. Voila la solution !
Texte 2 :
Jonathan Icker dîne à une table impeccablement dressée, la carte des menus devant lui, il recherche un plat satisfaisant tout en dressant à voix basse une étrange liste :
- Bisque de homard, James février 1998,
- Café liégeois, Perreton août 2003,
- Foie gras de canard, Mereni novembre 1995,
- Pavé au roquefort Lavois avril 2001.
Le serveur arrive, Jonathan s’exécute :
- Menu montagnard actif.
- Et pour le vin ?
- Saint Emilion 2002.
- Bien Monsieur.
Il veut regarder sa montre pour connaître l’heure mais se rappelle :
- Barnier août 2004.
Il se frotte alors son menton et puis soupire :
- Gisterny octobre 2001.
Heureusement pour lui il n’a pas à patienter, le sommelier lui propose le Saint Emilion commandé qu’il acquiesce d’un hochement de tête, le sommelier remplit son verre et Jonathan exécute un rituel maintes fois accompli. Il observe attentivement la robe du vin en hauteur, puis ramène celui-ci sous son nez avec un léger mouvement pour en libérer les effluves et humer tous les arômes subtils, enfin il prend une petite lampée et remercie le sommelier.
A la fin du repas Jonathan monte dans sa chambre pour prendre un bon bain et se détendre, lorsqu’il sort simplement vêtu d’un peignoir assorti aux couleurs dominantes de l’hôtel, pourpre et ocre, ses traits sont moins tirés, son visage semble bronzé été comme hiver affichant une mine pleine de santé, seuls ses yeux trahissent une ruse et une malveillance hors du commun.
Une silhouette dans le salon attire son regard, il fait nuit dehors mais l’éclairage public suffit pour baigner la pièce et repérer l’intrus, sur un plateau une bouteille et un verre rempli l’attendent, il s’approche sa curiosité est attisée malgré une méfiance quasi naturelle.
A l’entrée du salon, il s’assure qu’il est bien seul avec ce fameux plateau. Son visage est de nouveau crispé, en son for intérieur il sent la bizarrerie de la situation mais n’y tient plus et allume la lumière du salon.
Il reste quelques secondes ainsi puis un étrange sourire se dessine sur ses lèvres, une bouteille de vin débouchée avait déjà vidé une partie de son contenu dans le verre. L’étiquette de la bouteille était tournée vers la fenêtre : une invitation supplémentaire à deviner.
- Quelle orchestration ! Pense-t-il.
Comme au dîner il reprend ses vieux réflexes sans toutefois ne rien toucher, inspecte la robe sous toutes ses coutures, hume les arômes et déclare :
- Un très grand vin sans nul doute !
Délicatement il fait tourner le plateau pour lire l’étiquette, il écarquille de plus en plus les yeux et lâche dans un souffle :
- Incroyable !
Si le Saint Graal avait été présenté à Arthur ou Lancelot, la réaction aurait été identique. Tout autant décontenancé par cette découverte que tenté, il s’assied sur le canapé pour essayer d’analyser la situation mais sans réussite car invariablement son regard revient sur le verre avec émotion. Il sait au fond de lui qu’il ne doit pas y toucher, ce serait une grave erreur et pourtant la bouteille est fraîche, température idéale ! Dans un quart d’heure, les conditions optimales ne seront plus qu’un lointain souvenir, il faut choisir.
C’est pourquoi il se dirige vers sa mallette de commercial, retire les prospectus qui s’y trouvent et dévoile un double fond minutieusement agencé, l’essentiel étant composé de mignonnettes plates remplies de liquide ou de poudre mais ce qu’il intéresse est une bandelette de test ainsi qu'une fine sarbacane. Il revient au plateau et souffle :
- Quel gâchis …
Il hésite un instant mais plonge la sarbacane et y appose son pouce lorsque le vin a monté dans le tube retenant prisonnier le précieux liquide, il le retire et s’empresse de déverser le tout sur la bandelette en attendant les résultats mais rien n’est révélé.
Il finit par se persuader que finalement c’est peut être une erreur, il cède et porte le verre à ces lèvres. L’extase est pour lui totale, un breuvage ultime, tout y est subtilement dosé, un équilibre parfait.
Le goût de la mûre lui rappelle ses vacances chez la tante Nicole, l’été au fond des bois lors d’une promenade enchanteresse, la truffe celui du marché dominicale, les deux derniers du mois d’août. Il en va ainsi de suite, chaque subtilité du vin provoque chez lui un souvenir marquant et renouvelé à chacune des gorgées, toujours plus lentes et longues.
Chaque souvenir irradie d’un plaisir intense, les larmes lui montent aux yeux, il n’est plus qu’un enfant où l’innocence des ses sentiments sont de purs moments de bonheur. Tout cela lui rappelle qui il a été, autre mais aussi ce qu’il ne peut plus être.
Au quatrième verre, il est tant grisé que ses lèvres ne lui obéissent plus refusant de s’ouvrir. Hébété par le breuvage, il s’amuse de son état, mais très rapidement, alors qu’il est assis sur le divan, il s’aperçoit que ses bras adoptent le même comportement que sa bouche puis ses jambes, il n’a pourtant pas envie de dormir mais se sent complètement paralysé, de longues minutes s’écoulent dans cet état lorsque l’on frappe à la porte.
- Service d’étage.
Jonathan est surpris, il fait nuit qui peut donc peut venir à cette heure mais il ne va pas s’en plaindre, il écarte rapidement cette pensée, espérant qu’on lui vienne en aide. Après quelques secondes on refrappe à la porte.
- Service d’étage !
Enfin la porte s’ouvre, un employé de taille moyenne à la mine quelconque pénètre avec un petit chariot, voyant que Jonathan n’esquisse pas un mouvement, il affiche un large sourire.
- Alors Mr Icker, tout va bien ?
Il sort d’une poche des gants chirurgicaux et prends la bouteille :
- 1978, très bon millésime, 230 € dans le commerce !
Il la repose et prends de sa main droite la mâchoire de Jonathan en la faisant pivoter de gauche à droite et vice versa.
- Ha Mr Icker, si vous saviez le mal que je me suis donné pour vous trouvez !
Jonathan comprenant la situation lui lance des regards haineux, en réponse ce dernier lui remonte la manche de son peignoir, sort un étui de son autre poche qui en l’ouvrant révèle une seringue, il la désigne de la main :
- Dernier modèle de la classique crise cardiaque !
Et il lui injecte le contenu dans son avant-bras, range le tout et remarque la bandelette ainsi que la mallette à double fond.
- Ah vous me faites un grand honneur et votre réputation n’est pas usurpée, mais tous les agents ont leur point faible le votre c’est le vin.
Il prends le verre et pointe du doigt le bord intérieur.
- Neurotoxique paralysant, j’ai pris le risque calculé de boire à la bouteille mais quand on aime le bon vin on dispose d’un certain savoir vivre !
Il se lève, range la mallette, jette la bandelette, essuie l’intérieur du verre, y verse un peu de vin, repose le tout sur la table, et retire ses gants. En sortant du salon avec le chariot et un grand sourire il lance à Jonathan :
- Adieu agent Icker.
Une pensée ironique envahit Jonathan :
- Châteauneuf du Pape, Icker septembre 2007.
Texte 3 :
Elle ne devrait plus tarder maintenant. Mon verre de vin est encore aux trois quarts plein. Le bar est à peine rempli. Tant mieux, nous aurons plus de place. Nous deux...
A la surface du liquide incarnat, j'aperçois vaguement une barbe de quelques jours, des cheveux ébouriffés. Les yeux du personnage de mon verre semblent me hurler un message que sa bouche refuse désespérément d'articuler. Mais je ne l'écoute pas. Elle ne devrait plus tarder.
Mes mains encerclent le verre. J'essaye de me rappeler la chaleur de ses mains, leur douceur quand je les tenais dans les miennes. C'était bien. Je n'ai pas d'autres mots pour décrire cette sensation. Et plus j'essaye de poser des mots, plus le souvenir m'échappe. Je reviens sur la froideur lisse du verre. Le vin n'a même pas frémi. Elle ne devrait plus tarder pourtant.
Une bouffée de parfum me fait soudain tourner la tête. Ce n'est qu'une passante qui accélère le pas quand je me retourne pour la regarder. L'odeur du vin envahit mes narines. Son parfum était meilleur, un mélange indéfinissable de vanille et d'une autre odeur. Il m'envahissait quand je la serrais contre moi, quand je la retrouvais après d'interminables journées de travail, quand je me réveillais à ses côtés. Mais là, il y avait aussi ses yeux qui me regardaient. Elle ne devrait plus tarder.
Le verre est maintenant à mes lèvres et le liquide descend doucement. Une petite gorgée. Le liquide froid coule dans ma gorge. A chaque fois, c'est la même sensation, ce liquide glacé qui pourtant provoque une chaleur bienfaisante. La gorgée en amène une autre, cette chaleur est engourdissante, rassurante. Elle n'a pas pu venir aujourd'hui, elle viendra demain. Je finis rapidement mon verre. Ce vin est excellent, aussi bon qu'hier et que les jours qui ont précédés. Je ne les compte jamais parce que, c'est sûr, elle viendra demain. Je prendrais un verre de vin pour l'attendre. Il faut que j'arrive en avance, histoire d'être sûr de ne pas la manquer.
Je me lève, réchauffé par cet unique verre. Un seul suffit mais je sais qu'un jour, un deuxième le suivra et que je serrais enchainé à cette chaise par la suite des verres. Elle arrivera avant. Demain. La subtile chaleur du vin suffit à me convaincre. Et je pousse la porte du café en murmurant un « au revoir » aux autres habitués. Le patron me salue. C'est bien, je n'ai même plus à commander, lui sait directement quoi m'amener quand j'arrive.
Demain, elle viendra.
Comme la fois dernière, le vote est public, on sait qui vote pour qui. Bonne lecture  !
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