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Texte n°6
La Perte.
A la mémoire de Franck et Caroline.
"Caroline est décédée ce matin, à 10 h. Sa maman est morte quelques heures auparavant, des suites de son cancer".
Le message venait de s'afficher sur l'écran de l'ordinateur.
Caroline est décédée.
Guillaume relu la phrase, plusieurs fois, essayant de comprendre s'il en avait bien saisi le sens.
Caroline est décédée.
Un étrange sentiment de révolte mêlé d'impuissance monta en lui. Lentement.
Caroline est décédée
Il s'agissait certainement d'une erreur. N'est-ce pas ?
Mais le message venait de Christophe, le meilleur ami de Caroline.
Le monde autour de Guillaume commença à se brouiller.
Il avait vu Caroline une semaine auparavant, alors qu'elle s'était arrêtée à Lyon pour quelques heures. Ils avaient fait plusieurs magasins ensemble, s'étaient baladé dans la ville, acheté une crêpe, qu'ils avaient dégusté, assis sur un banc. Ils étaient entrés dans un magasin de musique, et elle lui avait joué quelques notes de piano, enchantant par la même occasion toute la boutique. Mais surtout, l'enchantant lui.
Depuis qu'ils se connaissaient, qu'ils avaient commencé à discuter, Guillaume n'avait jamais vraiment envisagé qu'une relation autre que virtuelle puisse un jour s'installer entre eux. Et pourtant, plusieurs étapes avaient été franchies, et il était en train de tomber amoureux. Tout simplement.
Toutefois, Caroline avait autre chose qui lui tiraillait le coeur. Sa maman, qu'elle aimait par dessus tout, était en train de mourir, dévorée par un cancer dont personne ne pouvait venir à bout.
Guillaume et Caroline s'appelaient quotidiennement. Cependant, trois jours auparavant, elle lui avait demandé de ne pas la contacter pendant quelques jours. Elle avait besoin de réfléchir. Pour rien au monde il ne l'aurait contrarié. Ils raccrochèrent donc après qu'elle lui ait promis : « Je te rappelle au début de la semaine prochaine. Bisous Guillaume ».
Caroline est décédée.
C'était impossible. Elle lui avait promis...
Caroline est décédée. Cette phrase devenait une obsession, avait envahi sa tête. Sa mâchoire et ses poings se crispèrent.
***
Les jours passèrent. Guillaume se sentait seul. Il avait annoncé la nouvelle à ses parents, lors du souper. Ceux-ci avaient pris un air désolé, et poussé un "hoo..." de compassion. Puis quelques questions : "Qu'est-ce qu'il s'est passé ?", "Comment c'est arrivé ?" Rien d'autre. Rien qui ne puisse le consoler. Il avait essayé de contacter Christophe, mais celui-ci n'avait pas de temps à lui consacrer, pour le moment.
Heureusement, Franck était là. Il était son ami, depuis de longues années. Il avait perdu son père l'année précédente, et malgré cela, il savait toujours sourire et faire sourire les autres.
Guillaume avait choisi de ne pas lui parler immédiatement de la perte de son amie. Il avait peur que cela change leur relation, en ce moment où il avait le plus besoin de quelqu'un qui le fasse penser à autre chose. Les gens, très souvent, ne sont amis que dans les bons moments de la vie. Mais ils ont peur, lorsque quelque chose ne va pas, de se faire "contaminer" par ce chagrin qui peut nous envahir.
Ils se voyaient tous les jours, après le travail. Guillaume allait chez Franck, qui réparait sa nouvelle moto. Un problème de suspensions, qu'il avait réussi à régler.
Un mois après que le message soit apparu sur l'écran, profitant du week-end, ils se rendirent tous les deux au lac de Miribel, au dos de la vieille moto tout terrain de Franck. Guillaume aimait beaucoup ces balades, et bien que ne contrôlant pas l'engin, la sensation de liberté lui permettait de se vider l'esprit.
Ils arrivèrent prêt du lac, et sortir de leur sac les palmes et tubas qu'ils avaient prévu d'utiliser.
« Peut-être qu'on pourrait essayer avant sans les palmes, histoire de se mettre dans le bain ?
- Humm, bonne idée. Ca serait dommage de les mouiller si finalement on ne s'en sert pas ! »
Ils mirent un orteil dans l'eau, qu'ils retirèrent immédiatement.
« Okay... Je crois qu'on va attendre un peu, pour se préparer psychologiquement ! »
Ils s'assirent alors, et commencèrent un concours de ricochets, avec les galets présents sur la berge.
Franck en profita pour parler de Vanessa. Elle avait une longue chevelure blonde. Franck l'avait déjà fait monter plusieurs fois sur sa moto. Et puis, quelques jours avant, il lui avait demandé de l'accompagner au cinéma. Elle avait poliment refusé. Mais Franck en riait déjà. Encore une qui ne valait pas le coup, simplement.
Guillaume hésita alors, puis après quelques seconde de silence, se lança :
« Tu sais, Franck, quelque chose s'est passé, le mois dernier. Je ne sais pas trop comment en parler, mais... Voilà, il s'agit d'une fille, Caroline. Elle me plaisait vraiment. Mais elle est... morte. On m'a dit qu'elle était morte de chagrin, juste après le décès de sa mère. Mais comment peut-on mourir de chagrin ? »
Franck le regarda quelques secondes, puis répondit :
« Cela ne va pas être facile... Mais ce qui est important, c'est de ne pas oublier. Tu penseras toujours à elle, cela te fera toujours un peu mal, mais grâce à cela, elle sera toujours dans ton coeur, et pourra t'aider dans les moments difficiles. »
Il se tut alors, observant le lac. Guillaume lui répliqua alors simplement : « Merci. »
Cette simple réponse lui avait fait plus de bien que tous les témoignages de pitié qu'il avait reçu jusque là. Il sut à ce moment que Franck était un vrai Ami. Un ami tel qu'il n'en existait que peu dans une vie.
La fin de l'après midi arrivant, les deux compagnons rentrèrent.
« Tu fais quelque chose demain ? demanda Guillaume
- Oui, je vais cueillir des champignons, avec ma mère.
- Okay, si t'en croise de ceux qui font voir de drôles de couleurs, pense à moi ! »
Ils se quittèrent sur cette plaisanterie.
***
Guillaume se sentait mieux. grâce à son ami, il ne s'enfermait plus sur son affliction et avait décidé de suivre son conseil. Ne pas oublier ne voulait pas forcément dire se tourmenter jusqu'à la fin de sa vie. Une épreuve se présentait à lui, il devait faire le deuil de son amie, mais avec l'aide de Franck, il se remettrait, petit à petit.
Et Caroline resterai toujours dans son coeur.
Le lendemain, la journée se passa bien. Il vit Fabrice, son voisin, avec qui il avait passé le collège et le lycée ensemble, et bavardèrent de tout et de rien. Guillaume ne l'appréciait pas spécialement, mais il avait l'avantage d'avoir une mère qui lui proposait toujours de manger des pâtisseries qu'elle préparait elle-même.
Lorsqu'il rentra chez lui, sa mère était au téléphone :
« Guillaume, c'est pour toi, c'est Kévin
- Kévin ? »
Kévin était un camarade de classe du lycée, dont il n'avait pas eu de nouvelles depuis plus d'un an. Il était intelligent, mais excessivement arrogant. Pour cela, Guillaume ne l'aimait pas spécialement.
Et il était étonnant qu'il l'appelle, il ne l'avait jamais fait, et n'avait aucune raison de le faire. Un pressentiment l'envahie. « Allo ?
- Guillaume ? »
Une boule se forma dans sa poitrine « Oui... ?
- J'ai une mauvaise nouvelle » Une seconde de silence passa. Cela sembla une éternité. Guillaume sut alors ce que Kevin allait lui annoncer. Il ne put que murmurer. « Non...
- C'est Franck. Il a eu un accident de moto. Il est décédé.
- Non...
- Je suis désolé
- Non... Ce n'est pas possible... Il devait... » Il ne put finir sa phrase
« Guillaume, je suis vraiment désolé. Je suis chez lui, avec Thomas. Tu veux que je passe ? »
Le monde se mit à tourbillonner. Guillaume eu du mal à respirer.
« Il m'avait dit qu'il devait rester avec sa mère aujourd'hui, il devait... aller aux champignons...
- Ecoutes Guillaume, j'arrive tout de suite... Je suis désolé. » Kevin raccrocha.
Guillaume tourna la tête vers sa mère, le monde l'entourant lui semblant irréel. « C'est Franck. Il est mort... ».
***
Après cette annonce, si irréaliste, Guillaume se senti comme étranger à son propre environnement. Et une haine pour le monde l'entourant fit surface, une haine à l'encontre des personnes qui vivaient, toujours, alors que les deux personnes qui lui étaient le plus importantes étaient parties. L'avaient abandonné.
Lorsqu'il était dans la rue, il lui arrivait de fixer les passant, de serrer les poings, et les dents, et de se répéter, intérieurement : « meurs ! Meurs ! Je veux que tu meures ! ». Mais les gens continuaient leur chemin, sans même le remarquer, continuaient d'avancer. Continuaient de vivre.
Plusieurs semaines passèrent. Il ne vivait plus, une mélancolie immense ayant conquis son coeur, et à coté, toujours cette même animosité intérieur à l'encontre de toutes les personnes qu'il croisait. Il continuait de travailler, mais sans se soucier de ce qu'il avait à faire, ni de ce que ses collègues pouvaient murmurer à son sujet. Tout cela lui était égal. Sa plus seule préoccupation actuellement était de trouver le meilleur moyen de rejoindre ces amis.
Ce jour là, le travail finie, il se dirigea vers la station de métro qui l'emmènerait chez lui. Il croisa une dame avec un petit chien au bout de sa laisse, et il pratiqua le même rituel, invariablement, les poings et la mâchoire serrés. « je veux que tu meures, meurs ! ». Il croisa un écolier courant vers le métro, un vieux clochard assis sur un banc, une jeune fille souriante. « meurs ! Mourez tous ! Pourquoi vous continuez de vivre ? Pourquoi ? ».
Une voix se fit entendre, le sortant de sa démence « Hep, jeune homme ! ». Il se retourna. C'était le mendiant, qu'il venait de dépasser, assis sur son banc. « Oui ?
- Pourquoi es-tu si triste, jeune homme ?
- Pardon ? » Il n'était pas sur de l'avoir bien compris. « Pourquoi pensez-vous que je suis triste ?
- Je le sais à cause de l'araignée. Je peux la voir. Elle est sur ta poitrine, elle dévore ton coeur. Je la vois. » L'homme semblait fou, mais parlait calmement. Guillaume se mis à espérer qu'en plus d'être fou, il puisse être violent. S'il voulait son portefeuille, ou son téléphone, il lui résisterai. S'il avait avait un couteau, essayait de s'en servir, cela lui serai égal. Une chance lui serait offerte de retrouver Franck et Caroline.
« De quoi vous parlez ? Quelle araignée ?
- Je viens de te le dire, jeune homme. Elle est ici, je peux la voir. C'est à cause d'elle si tu es si malheureux, car c'est elle qui ronge et se nourrit de ton coeur. Si tu veux, je peux te la retirer. Je l'ai déjà fait pour d'autres. Tu seras à nouveau heureux, tu verras. »
L'homme était fou, mais Guillaume reconnaissait qu'il l'était lui-même. Cette conversation n'avait aucun sens, mais elle lui permettait d'échapper quelques instants à ses besoins de dévastation.
« Je ne crois pas que vous puissiez faire quelque chose pour moi, monsieur. Personne ne le peut.
- Laisse moi faire, jeune homme. Tu seras à nouveau heureux, ensuite. »
Guillaume eu un rictus hautain. Après tout, cela ne pouvait que le distraire.
« Bien, si vous voulez, enlevez mon 'araignée'. Et qu'est-ce que vous en ferez ensuite ?
- Je la mangerai »
Guillaume frissonna. Le mendiant lui demanda de se placer face à lui. Il avança ses mains vers la poitrine du jeune homme, et les laissa ainsi, immobile. Elles se crispèrent, et son visage se mit à grimacer, comme s'il s'apprêtait à effectuer un énorme effort. Ses bras se contractèrent, comme pour les ramener à lui. Il luttait, contre une chose invisible.
Guillaume restait immobile. Il senti quelque chose bouger en lui. La boule, qui lui comprimait la poitrine depuis qu'il avait reçu l'appel de Kévin, était en train de bouger. Il regardait le vieil homme, qui s'accrochait à ce vide qui semblait si réel, et ne pouvait pas faire un geste. Dans sa tête, la sensation de haine qu'il conservait depuis toute ces semaines s'affaiblissait.
Finalement, dans un effort considérable, et poussant un cri féroce, le mendiant réussi à se dégager, les mains toujours crispées autour d'un monstre invisible. Il observait ce vide, les yeux déments, et approcha ses mains vers son visage. Il ouvrit alors la bouche, et se mit à dévorer sa proie, indiscernable, tel un loup se jetant sur un gibier fraîchement tué.
Guillaume le regardait, interdit. Il ne savait plus où il était. Il ne savait plus ce qu'il faisait ici. Les idées commencèrent à lui revenir. Le travail, la route pour se rendre au métro, le vieux mendiant l'interpellant. Quelque chose d'autre avait changé. Il se souvenait d'une sensation, qui l'opprimait, qui l'obstinait. Des idées de destructions, dans sa tête. Tout cela avait disparu, à présent. Il se sentait bien, léger. La vue du vieil homme le ramena à la réalité. « Tu te sens mieux, jeune homme ?
- Je me sens... Très bien, oui ! Mais... » Guillaume ne comprenait pas exactement ce qu'il s'était passé. Il fouilla dans sa poche, en sortie une pièce, et la jeta dans le gobelet qui accompagnait le clochard. « Merci ! ». Il se dirigea vers la bouche de métro, souriant.
Arrivant chez lui, il croisa Fabrice. Il ne lui avait pas adressé la parole depuis un long moment. Ils se firent signe.
« Comment ça va ? Demanda Fabrice
- Ca va bien, merci. Et toi ?
- Ca peut aller. Le temps passe, mais ce n'est pas facile de se faire à l'idée qu'il est parti. Mais pour toi, cela doit être encore plus dur. Il doit vraiment te manquer.
- Me manquer ? » Guillaume ne comprenait pas où Fabrice voulait en venir. Celui-ci parut surpris. « Oui, Franck. C'était ton meilleur ami. Il te faut vraiment du courage pour pouvoir passer cette épreuve. Mais sache que je suis là, si tu as besoin de parler.
- Franck... » Il se tut. Quelque chose manquait, mais il ne savait pas quoi. Il se sentait réellement bien, serein, mais une sorte de vide se trouvait là où, auparavant, une boule était présente. Ce n'était pas important.
Ils se saluèrent, puis Guillaume entra chez lui. Il courut, riant, écartant les bras pour embrasser cette vie que pour rien au monde il ne voudrait quitter.
Il était heureux, plus qu'il ne l'avait jamais été.
Le vieil homme avait retiré l'araignée qui opprimait son coeur.
[font=Verdana][size=2]Mais ce que Guillaume ne savait pas, ce qu'il ne saurait jamais, c'est que la perte de son chagrin, la perte de sa mélancolie, la perte de toute sa tristesse n'avait pu être possible que par la perte du souvenir de ces deux amis.
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