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Texte 2 : Le loup et le corbeau
Il faisait nuit lorsqu’elle entra, une femme mince au teint de perle. Ses escarpins de rubis tâchaient de lumière le vieux parquet du bureau, et de son lourd imperméable s’échappait des pétales de roses et des plumes de cygne. Elle s’assit face à Woldren, qui tordait du museau, elle avait l’air toute retournée. Une princesse face à un loup, c’est normal, pensa le détective.
« — Madame ? Dit Woldren, l’invitant à se présenter.
— Je… (Elle baissa la voix) je me nomme princesse Myrtille, on m’a conseillé vos services…
— Ah ?
Princesse Myrtille hocha la tête.
« — Oui, ce qui m’arrive est horrible Monsieur Woldren, il me faut de l’aide !
— Je croyais que les princesses avaient des bonnes marraines pour ce genre de chose ?
Princesse Myrtille se crispa, elle était proche d’éclater en sanglot.
« — Ma… bonne marraine la fée a disparu et…
— D’accord… expliquez-moi tout, lui demanda le loup en sortant de quoi noter.
— C’est une affreuse histoire ! Mon prince Rolando à disparu il y a un mois, et son entreprise, léguée par mon père, la royale compagnie, va couler ! J’ai demandé de l’aide à ma bonne marraine la fée mais je n’ai plus de nouvelles d’elle depuis deux semaines ! Je ne sais plus quoi faire Monsieur Woldren, aidez-moi par pitié !
Woldren remua la truffe, perplexe. Il n’avait plus un rond, et cette princesse était sûrement pleine de jonc. Il accepta. Princesse Myrtille le remercia chaleureusement. Woldren la raccompagna en bas de son immeuble. Une princesse, dans ce quartier, ça pouvait mal finir. Dans la rue, un scorpion en costume de chauffeur attendait devant une limousine. Il salua la princesse et lui ouvrit la portière, puis la referma derrière elle en claquant des pinces. Voilà une drôle d’affaire.
Dès le lendemain matin, Woldren partit sur sa moto, direction les beaux quartiers. Il arriva devant le château de la Royale compagnie. Sans vrai plan, cette affaire dépassant de loin toutes celles qu’il avait traitées jusque là, il sonna à l’interphone et pris une pastille au miel pour s’adoucir la voix.
« — Royale compagnie j’écoute ?
— J’ai un recommandé pour Monsieur le prince Rolando, mentit Woldren.
Une petite caméra se tourna dans sa direction. Avec sa gueule de loup, son excuse parut louche.
« — Monsieur Rolando ne travail plus ici, désolé.
— Je…
Un petit « clic » lui fit comprendre qu’il parlait à un mur. Il allait faire le tour des douves lorsqu’un corbeau le croassa depuis l’autre côté de la rue. Woldren fit vrombir son moteur et se posta sous lui.
« — Alors le loup, on patauge sec ?
— T’as un problème, le corbac ?
— hé hé, je sais moi où se trouve Rolando et comment tu pourrais le retrouver.
— Ben voyons !
— Je l’ai vu depuis le ciel lorsque je volais.
— Et tu veux quoi pour cracher ton fromage ?
— Une paire de Nike ! Mais l’on n'en vend pas aux corbeaux.
Woldren tira la gueule. Il devait avoir affaire à un taré, mais une paire de Nike ça ne coûtait pas grand chose. Il alla les acheter et retrouva le corbeau.
« — Voilà tes nikes le corbac, alors, mon info ?
— Pas si vite le poilu ! Objecta le Corbeau en enfilant ses nikes. Je veux des Ray-bans, mais l'on n'en vend pas non plus aux corbeaux.
— Tu me gonfles le Corbac, je suis pas là pour faire tes courses !
— Je sais aussi ce qu’il est advenu de la Marraine que tu recherches.
Woldren cracha au sol. Ce corbeau avait l’air d’en savoir long sur son affaire. Il alla en centre-ville et lui ramena une paire de Ray-bans. Le corbeau les enfila et croassa de joie.
« — J’ai l’air cool, non ?
— Ouais, ouais, maintenant, accouche !
— Hola ! Je veux ta moto !
Le loup en eu ras-le-bol. Il dégaina son 7.65 mm et le pointa sur le corbeau.
« — J’espère que tu voles vite, le Corbac !
— Hé ! Calmos ! Je déconnais ! Rolando monte un coup avec la sorcière Pamela pour récupérer tout le pognon de la royale compagnie Ils ont liquidé la bonne marraine quand elle a fourré son nez là où il ne fallait pas.
Woldren rengaina son arme. Ça lui paraissait plausible.
« — Ils crèchent où ?
— Dans un autre pays où la sorcière le protége et où l’argent peut facilement être blanchi.
— Chiotte…
— Ouais, lui il a un jet. Mais ne t’inquiètes pas, je connais un moyen de le rejoindre. Comme t’as été sympa en m’achetant mes Nikes, je vais te le révéler. Il existe dans cette ville un Abribus magique qui peut t’emmener partout où tu le désires.
— Tu te fous de ma gueule ?
— Non, crois-moi sur parole. Va à l’arrêt 118c, pense très fort à l’endroit où tu voudrais te trouver, puis attend une demi-heure. Alors un bus magique arrivera et t’emportera au travers des nuages.
Woldren salua le corbeau et démarra sa moto. Il eut du mal à trouver l’abribus 118c, perdu sur une petite place déserte de la banlieue. L’abribus dégageait une aura inquiétante : aucun horaire n’y était affiché et aucune carte du réseau n’y était représentée. Woldren se gara. Hésitant, il se concentra sur Rolando, et se posa sur le banc. L’attente fut longue. Très longue. Mais lorsque sa montre lui indiqua qu’une demi-heure s’était écoulée, un bus surgit de nulle part s’arrêta devant lui. La porte s’ouvrit. Il n’avait ni chauffeur, ni machine à composter, c’était un bus magique. Woldren monta à l’intérieur, et aussitôt le véhicule s’éleva dans les airs à une vitesse vertigineuse, traversa les nuages comme un éclair, puis, en un clignement de paupières, le loup se retrouva dans une rue, de nuit, devant un arrêt de bus 118c.
Il était face à une grande propriété avec piscine et grille d’entrée. Il décida de la jouer discret et fit le mur. Il se faufila entre les buissons et l’arrosage automatique puis monta les escaliers pour atteindre la petite terrasse. Accroupit, il avança à quatre pattes pour rester sous les fenêtres, et tandis l’oreille vers l’entrebâillement de deux volets d’où s’échappait de la lumière. Deux personnes discutaient, une femme et un homme.
« — Comment tu sais ça ? Demanda l’homme.
— Le chauffeur de ta princesse est à ma botte, répondit la femme. Mais ne t’inquiètes pas, il ne fera pas long feu, je lui ai envoyé le chasseur.
— Tous ces meurtres…
— Oh tais-toi Rolando, tu veux le pognon tout autant que moi, et tu es mouillé jusqu’au coup !
— Je pourrais dire que tu m’as ensorcelé !
— C’est toi qui m’as ensorcelé, grand fou, gloussa la femme.
Woldren se releva légèrement pour jeter un œil à l’intérieur. Dans un salon de luxe, le corps de Rolando était assaillit par une sorcière blonde aux gros seins. Le loup sortit son APN et pris une dizaine de clichés, s’arrêtant lorsque tout cela devint un peu trop torride. Il avait la preuve en poche, mais l’inquiétude le gagnait. Pamela avait cité le chasseur. Un malade… un pro, un tueur, un boucher. Le dernier type qu’il avait chopé s’était réveillé dans une cave, assoiffé, avec un bassin plein d’eau à sa portée. Il s’était penché pour y boire, est tombé, a coulé, et a fini noyé. Cette ordure l’avait endormit, lui avait ouvert le ventre et l’avait rempli de cailloux. La princesse était en danger. Sans perdre de temps, Woldren retourna à l’abribus et souhaita se rendre auprès d’elle. Quelle connerie de devoir attendre une demi-heure, foutus transports en commun magiques…
Il se retrouva enfin devant un petit pavillon de banlieue chic. La nuit tombait à peine. Il se hâta et sonna à la porte. Le scorpion lui ouvrit. D’un geste vif, Woldren lui braqua son flingue sur les mandibules.
« — Remue la queue et j’te flingue ! Hurla-t-il.
Alertée par les cris, la princesse arriva en courant.
« — Princesse ! Venez, ce scorpion est de mèche avec vos ennemis !
— Oh mon dieu ! Edouard, cela est-il vrai ? Pourquoi ?
— C’est dans ma nature, princesse… cliqueta le scorpion.
— Nous devons partir, princesse, pressa Woldren. Un tueur est à vos trousses.
— Comment ? Oh mon dieu !
Elle ne portait que sa nuisette en crin de licorne, mais la coquetterie et la pudeur attendrait. Woldren lui passa son blouson de cuir sur les épaules, la pris par le poignet et l’emmena. Ils n’avaient pas le temps d’attendre à l’abribus magique. Ils se dirigèrent vers la moto du privé, laissée à quelques pâtés de maison de là. Après cinq minutes de course effrénée ils arrivèrent enfin sur la place. Un croassement attira l’attention de Woldren. Il leva la tête et reconnu la paire de Nike.
« — Il est là ! Lui hurla le corbeau, il est là !
— Prend soins de la princesse, le corbac !
Le corbeau se posa et emmena princesse Myrtille. Woldren s’avança seul, à découvert, épiant le moindre mouvement. Un coup de feu brisa le murmure du vent, une balle ricocha à moins d’un mètre du loup. Il se jeta derrière l’abribus magique et une balle s’écrasa sur le plexiglas.
« — Tout cela est inutile, le loup, j’en ai chassé de plus terrible que toi ! Entendit-il hurler sur sa droite.
Il tenta une sortie et lâcha une volée de plomb dans la direction approximative du chasseur. Il gagna suffisamment de temps pour sauter sur sa moto et démarrer, faisant crisser ses pneus. Bien vite il entendit le bruit des sabots sur le bitume. Dans son rétroviseur il vit le chasseur sur ses talons, éperonnant un cheval noir de jais, le fusil à la main. Woldren bifurqua à droite, puis à gauche, le bruit des détonations se perdait dans les vrombissements de sa moto. Une balle le toucha à l’épaule, il rata son virage, fut éjecté et roula contre le trottoir. Sa moto glissa et s’écrasa contre un mur. Il était battu. Il se mit sur le ventre et poussa sur ses bras, relevant péniblement la tête. Il n’aperçut que le sol et les sabots d’un cheval, il comprit.
« — Tout cela était bien inutile, loup.
Des bottes apparurent à côté des sabots.
« — Inutile de gaspiller des balles… tu vas connaître la terrible sensation d’être dépecé vivant.
— Un moment chasseur, cracha Woldren qui se laissa retomber et roula douloureusement sur le dos. Tu n’es pas chez toi ici.
Woldren poussa un hurlement lugubre, un hurlement de loup, celui qui appel la meute.
« — Tu es dans ma forêt de béton, chasseur, ricana-t-il.
Des hurlements fusèrent tout autour, se répondant, se rapprochant. Le chasseur hésita l’espace de quelques secondes, il se rua sur sa monture, mais à peine se retourna-t-il qu’un coup le projeta à terre. Son cheval paniqua et s’enfuit. Il sentit un poids sur son dos, une odeur de fauve, une gueule se refermant sur sa chaire, les loups étaient sur lui. Woldren détourna la tête et se boucha les oreilles pour couvrir les cris du chasseur. Il n’en resta vite qu’un squelette blanchis de toute viande…
Le corbac aux nikes avait emmené la princesse en lieu sûr, il avait des contacts avec nifnif, nafnaf et noufnouf, les trois parrains de la mafia. Si les trois petits cochons n’aimaient pas trop les loups, l’affaire demeurait juteuse. Ils envoyèrent quelques hommes de main faire passer le scorpion aux aveux et graissèrent les bonnes pattes pour faire bouger la garde. Du lard de cochon. Rolando et Pamela furent placés aux oubliettes, Princesse Myrtille divorça et se remaria avec Robbie Williams, et Woldren fut largement payé pour sa contribution à l’affaire. Une histoire qui finit bien en somme…
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