On est parti pour assister à l'échec de l armée russe qui va leur coûter cher pendant des décennies à venir
Alors que l objectif semblait facile et à leur portée, les russes sont partis pour se rétamer dans les grandes largeurs en Ukraine.
Ça va leurs laisser des traces et une rancune tenace , des deux côtés, à coup sûr
L'objectif n'a jamais vraiment été facile et à leur portée, aussi. Si tu remonte ce sujet même tu verras que c'était même une des principales raisons pour lesquelles à peu près personne ne croyait à une guerre visant toute l'Ukraine il y a 2 mois. Toute personne sachant additionner 2 et 2 (dont les experts militaires comme Goya etc...) concluait que la Russie avait tout à perdre à en lancer une. Le seul truc un peu surprenant c'est qu'ils échouent autant dès le stade de la simple conquête plutôt que s'éroder plus lentement après avoir réussi à occuper les grandes villes, mais il était tout à fait prévisible que la résistance ukrainienne soit féroce, et qu'ils soient incapables de tenir un pays aussi vaste, surtout face à des adversaires bénéficiant du renseignement et de livraisons d'armes occidentales.
En fait c'est quelque part plutôt inquiétant, car ça montre le degré d'aveuglement voire de pulsions suicidaires des élites russes. Qu'ils aient jugé aussi mal la situation initiale rend improbable qu'ils ne tentent pas d'autres coups de poker aussi mal calculés et encore plus dangereux pour ce qui est d'éviter une 3ème guerre mondiale dans leur fuite en avant.
A part ça je pense qu'il est très important de bien dire "élites russes" plutôt que "Poutine" (et d'arrêter de voir ça comme une crise de folie d'un seul homme). Bien avant qu'il leur cède complètement, ou même soit au pouvoir, c'est tout le champ des experts en géopolitique russe sous l'influence des Douguine etc... qui a développé la vision toxique où nier toute indépendance voire existence à l'Ukraine et autres ex-RSS fait partie des "impératifs de sécurité" russes, et de la seule voie pour qu'un empire slave ou eurasiatique retrouve sa grandeur passée. Et bien avant Russie Unie, c'était des mouvements nationalistes théoriquement d'opposition qui mettaient ce projet en avant bien plus que les soutiens directs de Poutine, qui se situait plus au centre des forces politiques russes, à considérer que s'il y avait bien un problème à voir leurs anciennes colonies se rapprocher de l'occident il convenait de le régler plutôt par le soft power ou la diplomatie, qu'à la pointe des ultranationalistes.
Ce qui s'est passé à partir de Maidan ou par là, c'est qu'il y a eu un basculement de Poutine et de tout Russie Unie (l'évolution de Medvedev jadis vu comme une déclinaison plus modérée / moins anti-occidentale de son maître est encore plus impressionnante à ce niveau, c'est genre Albert Speer qui s'est transformé en Goebbels en l'espace de quelques années) et sphère intellectuelle/médiatique associée vers des positions qui étaient historiquement plus celles de l'extrême droite panslave (et profondément tarée) des Jirinovski et compagnie que des techno (et plus qu'un brin klepto-)crates conservateurs et autoritaires mais réalistes qui dominaient l'ossature du régime Poutinien jusque là (enfin ils sont toujours là, les Lavrov, Elvira Nabioullina, Boutnikov etc... mais semblent avoir perdu toute influence sur la marche des choses, tandis que les personnalités montantes* comme Shoigu seraient de purs faucons). Ce n'est que très récemment, vers 2018, que Poutine s'est mis à tenir ouvertement le discours radical sur l'Ukraine qu'on lui connait aujourd'hui (alors que les ultranationalistes panslaves le faisaient depuis 20 ou 30 ans), c'est là où la comparaison avec Hitler ne tient pas vraiment, Poutine n'est pas un idéologue à la base, il s'est converti sur le tard à une idéologie déjà existante, que ce soit sincère, par intérêt politique intérieur** ou pour chercher des justifications à une action qu'il jugeait nécessaire pour des raisons purement stratégiques.
(* enfin avant les revers de l'armée russe en tout cas, il ne serait pas étonnant que Poutine lui en veuille plutôt désormais si c'est un de ceux qui lui ont assuré que tout ce passerait bien)
(** je me demande si ce n'est pas lié aussi au progrès des communistes aux dernières élections. En gros Poutine ayant éliminé tout ce qui ressemble à une opposition libérale la Russie est dans un système avec 3 forces politiques, russie unie, les communistes et un ensemble de petits partis ultra-nationalistes ; et des 3 c'est les communistes qui progressaient lors des deux dernières élections tandis que les deux autres reculaient, malgré les probables abondants truquages pour que RU conserve un large avantage ; dans ce contexte où fort de leurs succès ils risqueraient par finir de cesser de se comporter en opposition contrôlée tout en représentant trop de monde pour être facilement interdits, il est assez logique que RU ait choisi un rapprochement avec les encore plus nationalistes ; tout comme de s'engager dans une guerre qui fasse oublier les questions sociales / de corruption qui sont le fond de commerce de Ziouganov - avec la nostalgie de l'URSS que pour le coup la guerre satisfait)
Enfin pour en revenir au mouvement de fond, il y a une vraie ferveur nationaliste qui s'est emparée d'une grande partie des élites russes, ne se limitant pas à une envie de suivre le régime, et à mon avis presque indépendante de lui. Depuis le début de la guerre sont apparues sur les réseaux russes tout un paquet de professions de foi de personnalités de la société civile, culturelles, politologues, influenceurs, religieux, etc... louant la renaissance russe que permet ce conflit et voyant la guerre comme ce qui devrait conduire à la purification de leur société en les délivrant du consumérisme (forcement avec les sanctions...

) et des pulsions décadentes occidentales qui l'accompagnent, voire aussi de la corruption (c'est moins crédible) en ramenant le peuple aux idéaux de sacrifice assimilés à l'âme russe (quand je parlais de pulsions suicidaires). Voir par exemple l'article très intéressant du Monde de ce matin là dessus (ou le paquet de discours hallucinants déjà partagé ici).
Poutine a évidemment sa responsabilité dans cette évolution, qui est celle d'avoir progressivement interdit en gros tout discours qui ne soit pas au moins aussi nationaliste que le sien, par peur de l'émergence d'une force d'opposition que l'occident pourrait vouloir soutenir, contrairement aux repoussoirs ultra-nationalistes et communistes qu'il tolère. Mais pas mal de voix qui en tiennent ne sont pas pour autant celles de représentants du régime, mais de gens qui ont fini par être convaincus par les seuls discours admis (et qui vont souvent encore plus loin que ce que la mafia au pouvoir pourrait souhaiter ; par exemple lors de ses voeux télévisés du dernier nouvel an, Jirinovski a tranquillement promis à l'occident une guerre nucléaire, ce qui apparait tout de même comme un projet peu désirable, même pour les propriétaires de datchas en Crimée rêvant d'étendre leurs pillages à la Pologne).
Tout ça pour dire que les interprétations centrées sur Poutine (et en particulier son état mental) me semblent terriblement optimistes en installant l'idée qu'il suffirait qu'il disparaisse / soit chassé du pouvoir lui et deux ou trois proches pour que les russes reviennent à la raison, quand c'est une grande partie et de leur classe politique et de leurs élites intermédiaires qui semblent atteintes du même mal voire pire.