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Bon, je ne voulais pas tirer de conclusion trop hâtives sur cet Euro des Bleus, il me semblait précipité de me lancer dans des pavés lyriques au soir de la défaite contre l'Espagne (d'autant que ce soir-là, je n'avais pas bu que de l'eau) par exemple. Là, maintenant, il me semble possible de le faire : nous n'avons plus de sélectionneur, pas d'enjeu immédiat, nous sommes en vacances (ouaaaaaais), parfait.
Le parcours, d'abord. Seul un match me laisse des regrets, c'est évidemment celui contre la Suède. Pour le reste, rien de honteux. L'ouverture contre l'Angleterre fut correcte, avouons-le, face à une équipe assez dégoûtante refusant ouvertement le jeu, sans le moindre projet, ne passant son temps qu'à essayer de bloquer l'adversaire en pariant sur un vague coup de pied arrêté. On l'a vu par la suite, l'Angleterre fut catastrophique dans sa construction, laide, mais incroyablement compacte. Face à de telles individualités - puisqu'on peinerait bien à parler de collectif anglais - le nul en ouverture fut correct : la capacité de réagir et d'égaliser face à un tel bloc en béton armé m'avait séduit. Evidemment, il y a eu cet axe central particulièrement stressant, mais la qualité collective française fut suffisante. Sur la lancée, la victoire contre l'Ukraine était logique : un match solide, complet, professionnel.
A partir de là (je crois que bon), je ne m'explique toujours pas la défaite contre la Suède. On a parlé d'une équipe de Suède exemplaire, surmotivée, mais macache. Ils étaient déjà assez mauvais à la base, et surtout éliminés : la seule qualité visible dans leurs matches précédents résidait dans leur incroyable puissance physique dans les duels. Le reste, franchement, c'était nul, Zlatan ou pas. Donc perdre 2-0, euh... Là, pour le coup, je crois que c'est le plus gros échec de Blanc, et pas des joueurs. Voyant son équipe quasiment qualifiée, il probablement failli à les motiver, sans doute lui-même complètement démobilisé et tourné vers les quarts, inconsciemment désinvolte au dernier degré. Sur le coup, j'ai cru que cette défaite était un mal pour un bien : depuis quelques mois, nous jouions beaucoup moins bien que nous ne l'avions fait au début du mandat de Blanc, mais nous gagnions sur le fil, avec un jeu de bric et de broc. J'espérais que cette défaite permettrait au staff français de se réveiller et de corriger ce qui n'allait pas, notamment dans l'animation (le placement de Nasri...).
Arrive donc cette élimination contre l'Espagne. La France médiatique toute entière a hurlé à l'affront, à la trahison, au mépris du maillot, du drapeau... Perdre 2-0 contre, on l'a revu, la meilleure équipe du monde, peut-être l'une des plus fortes de l'histoire, n'est absolument pas honteux. Au vrai, nous avons même complètement forcé l'Espagne à déjouer, à exposer le versant défensif (et très chiant) de son toque, celle-ci ne parvenant à passer que par la conjonction d'un exploit individuel (Alba) et d'une erreur un peu niaise de marquage (Malouda et Diarra), le penalty étant anecdotique. Je suis à titre personnel convaincu que nous avons fait un match plutôt bon contre l'Espagne, malgré un évident manque de présence offensive et de liaison milieu-attaque. Nous avons perdu, mais il faut voir contre qui : nous avons perdu contre un monstre absolu du football. Et nous l'avons fait suer, mine de rien.
Après, donc, la vision médiatique de France de cet Euro fut épouvantable. On se remettra difficilement du spectacle de Coupet, Grimault et Darmon nous expliquant que, ma brave dame, cette équipe de France était à l'image de l'état déplorable du pays, que les jeunes ne respectent plus rien aujourd'hui, qu'ils n'ont plus "peur des policiers" (waouh)... Et vas-y que tout le monde donne son avis, qu'on a du Norbert, du Pierre Arditi, du Omar Sy, du Jean-Pierre Pernault... On était presque content de voir Pierre Ménès ou Pascal Praud donner leur avis vaseux, eux qui ont quand même vu quelques matches... Vas-y qu'on va suspendre Nasri, peut-être Menez, Mvila et Ben Arfa... Qu'ont-ils fait ? Que dalle, sérieux. J'ai joué au foot un certain temps, à très très petit niveau, j'ai vu pire quasiment chaque week-end. Le foot, ce sport admirable, rend con. C'est un fait. Mais la vision partisane du sport rend encore plus con, semble-t-il. La palme fut quand je-ne-sais-plus-qui nous vanta l'extraordinaire état d'esprit des grands sportifs de l'histoire du sport français, énumérant David Douillet (plusieurs fois mis en examen, actuellement en procès pour conflit d'intérêts), Yannick Noah (donneur de leçons, chanteur exécrable et exilé fiscal), Marie-Josée Pérec (qui fit l'ouverture des journaux pendant son scandale monumental à Sidney en 2000) ou Michel Platini (qui refusait de chanter l'hymne).
J'ai donc passé l'Euro à fuir les donneurs de leçons, les moralistes à la petite semaine, les généralisateurs de bas étage, les spécialistes spontanés (Norbert de Top Chef, que j'ai découvert à cette occasion, nous expliquant la différence entre 4-2-3-1 et 4-3-3...), les cocardiers n'ayant vu que les résumés de matches et de conférences de presse... J'ai lu des sites ultra-spécialisés, étrangers pour la plupart, et fui l'avis du petit peuple des supporters, dont je fais évidemment partie, pour trouver ce que j'ai toujours cherché en quoi que ce soit : une vision qui élève un peu l'esprit.
L'Equipe a fait un Euro admirable : cela commença par des critiques lourdes, répétitives, jamais constructives, sur les mêmes joueurs, poussant le petit Samir N. à plaquer son célèbre index sur ses lèvres contre l'Angleterre. Samir fut nul, c'est surtout cela que l'on peut lui reprocher, mais ses détracteurs le furent encore plus. L'Equipe continua en suramplifiant des polémiques grotesques et extraordinairement banales : ça se serait engueulé dans le vestiaire. Mon dieu. D'abord on s'en fout royalement, ensuite, c'est le cas dans absolument tous les matches de toutes les équipes, enfin ce qui fut rapporté fut d'une banalité... Jusqu'au nouveau grand méchant, Jérémy Menez, qui fait le signe "ferme ta bouche" à Lloris... Qui avouera "oui, c'est vrai que j'ai été lourd avec lui". Un signe "ferme ta bouche" ??? C'est censé être grave ? Les passions étant retombées (maintenant, plus qu'à supporter Christophe Lemaître, Renaud Lavillénie et Mahiedine "quelle bande de rigolos les footeux" Mekhissi-Benabbad), on peut quand même raisonnablement admettre que cette ambiance en équipe de France n'eut rien de particulier, qu'elle fut exagérément décortiquée, et surtout qu'elle n'eut pas grand-chose à voir avec le coup du bus de 2010.
Je suis d'humeur bavarde, merci à vous d'avoir lu jusqu'ici, donc je parle un peu des autres nations, quand même : pour moi, l'équipe la plus influente ne fut pas l'Espagne (car tout le monde a compris qu'il était impossible de jouer comme eux), mais bien l'Allemagne de Löw (et Klinsmann avant lui). Car, comme cette Mannschaft aux portes de la gloire depuis quelques compétitions, la plupart des bonnes équipes de cet Euro, en tout cas les demi-finalistes, avaient une ambition commune : une organisation collective extrêmement stricte au service d'un jeu résolument tourné vers l'offensive. Avec Chelsea comme exception notable, toutes les équipes marquantes de cette saison, de clubs ou nationales, jouent l'attaque. La clé est désormais dans la possession de balle, la construction, et l'utilisation collective du ballon. Les Euros de football marquent à chaque fois l'orientation du football pour les années à venir : 2000 vit l'instauration du 4-2-3-1 comme tactique de base, 2004 ouvrit la voie aux équipes bétonneuses, 2008 imposa les contre-attaques extraordinairement rapides et meurtrières, et, je pense, 2012 verra la généralisation des milieux très fournis, travailleurs et polyvalents, pour obtenir la plus grande conservation de balle possible.
En tout cas, ce fut un Euro pas mal. J'ai moins vibré qu'à la Coupe du Monde 2010, mais l'état d'esprit irréprochable des équipes sur le terrain, l'arbitrage excellent, les joueurs emblématiques bien présents (Pirlo, Balotelli, Ronaldo, Silva, Xavi, Iniesta...), tout ça fait que j'ai passé quand même un excellent moment de football.
Dernière modification par Dandal ; 07/07/2012 à 10h47.
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