Tiens j'ai pensé au Bar et à ce sujet tout à l'heure, je ne peux m'empêcher de vous partager ce petit texte :
Il est bien plus difficile qu'on ne croit de ne pas croire à Dieu. Il faudrait n'avoir jamais vraiment regardé la nature. La moindre agitation de la matière... Pourquoi se soulèverait-elle ? Et vers quoi ? Mais cette information ne m'écarte pas moins de votre credo que de l'athéisme. Que la matière soit pénétrable et ductile et dispose à l'esprit; que l'esprit ait partie liée avec la matière jusqu'à se confondre avec elle -, je veux bien appeler religieux mon étonnement devant cela. Sur cette terre tout m'étonne. Appelons adoration ma stupeur, j'y consens. La belle avance ! Non seulement je ne puis voir votre Dieu dans tout cela; mais au contraire, je vois, je découvre partout qu'il ne saurait y être, qu'il n'y est pas.
Je suis prêt à appeler Divin tout ce à quoi Dieu lui-même ne pourrait rien changer.
Cette formule, qui s'inspire (pour les derniers mots tout au moins) d'une phrase de Goethe*, a ceci d'excellent qu'elle n'implique point tant la croyance en un Dieu, que l'impossibilité d'admettre un Dieu qui s'opposerait aux lois naturelles (c'est-à-dire, somme toute, à lui-même) un Dieu qui ne se confondrait pas avec elles.
- Je ne vois pas en quoi ceci se distingue du Spinozisme.
- Je ne tiens pas à l'en distinguer. Déjà je citais Goethe qui reconnaissait volontiers ce qu'il devait à Spinoza. Chacun ainsi doit toujours un peu de soi-même à quelque autre. Certains esprits, auxquels je me rattache et m'apparente, j'ai la joie de les pouvoir vénérer autant que vous vénérez les "pères" mêmes de votre Eglise. Mais, tandis que votre tradition se reporte à une révélation divine et s'interdit par là même toute liberté de pensée, cette autre tradition tout humaine, non seulement laisse à ma pensée sa vertu, mais l'encourage, et m'engage à n'accepter rien pour vrai que je ne l'aie vérifié moi-même tout d'abord ou ne le puisse vérifier - ce qui du reste n'implique nul orgueil, ce qui même peut comporter une humilité de pensée très patiente, et même craintive, mais répugner à cette fausse modestie de croire l'homme incapable d'atteindre à rien de vrai par lui-même et sinon par l'intervention miraculeuse d'une divine révélation.
* Dichtung und Warheit. Livre XVI.
(André Gide - Les nouvelles nourritures)
|