Je suis pas certain que le régime des intermittents soit intéressant économiquement.
En préambule de mon propos je te laisses lire cet article qui démontre que l'alignement du régime des intermittents au régime général permettrait une économie de 320 millions d'€ par an tout en précarisant encore plus cette population. La question est donc : cela vaut il le coup de supprimer ce statut (dont je vais essayer de démontrer l'importance par la suite), pour des économies de bout de chandelle ?
Source Unedic via article du Monde :
https://www.lemonde.fr/culture/artic...3187_3246.html
De plus la suppression de ce statut entraînera nécessairement une précarisation du milieu qui se rabattra vers d'autres aides sociales, mais aussi une diminution de l'activité artistique qui se répercutera nécessairement sur les bénéfices annexes induits par les évènements culturels. A la fin l'économie risque d'être bien ridicule au regard de la diversité culturelle qui sera perdu pour la société.
Maintenant je vais essayer de répondre à toi, mais aussi à tous ceux qui ont attaqué la culture sur ces derniers posts en limitant leur raisonnement à un simple calcul comptable.
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Culture & argent :
On peut résumer, de manière outrageusement grossière, la culture en ces termes :
- Depuis des siècles voir des millénaires, deux cultures ont (presque) toujours cohabité. L'une est "légitime" car reconnu par les plus hautes instances sociales et financé par celle ci, l'autre est "illégitime" car elle provient du peuple et est donc par essence populaire.
--> La culture légitime est le fruit d'artistes financés de manière directe ou indirecte par ceux qui ont l'argent. Selon les époques on retrouve les mécènes, les instances religieuses, les cours royales, la bourgeoisie, de gouvernements, ... Elle produit des œuvres (dont il n'est pas question dans ce propos de juger la qualité ou la pertinence) qui sans ces financements n'auraient jamais pu voir le jour de part les moyens matériels et humains nécessaires à leurs réalisations.
--> La culture illégitime est le fruit d'artistes qui dans l'écrasante majorité n'ont pas vécu de leurs créations artistiques. Elle a produit des œuvres plus modestes sur les points que l'argent peu acheter et à parfois, voir souvent, été perdu ou modifié (transmission orale) de part les support plus précaires qui lui donnait corps.
L'écrasante majorité des œuvres des siècles passés qui nous sont parvenus et sont aujourd'hui considérées comme des canons du genre ont été financés par ceux qui le pouvaient sans que jamais ne leur vienne à l'esprit des questions de rentabilités financières de l’œuvre produite à terme. Bien sûr ces financements poursuivaient d'autres objectifs que l'unique plaisir simple. Ces œuvres étaient vectrices de bien des valeurs et messages ainsi que la démonstration d'un pouvoir financier et/ou politique. Mais que ce soit Bach ou Michel Ange par l'église, Mozart à la cour de Vienne, De Vinci avec les Vénitiens, ... tous n'auraient jamais produits comme ils l'ont fait sans financement venu d'instances supérieures et sans que ces financements ne visent pas autres choses que le profits à court terme.
On pourrait aller plus loin et analyser la place de la cultures dans des sociétés primitives ou dans des sociétés extérieures à l'Europe, néanmoins je suis à peu prêt persuadé que nous arriverions au même constat : à un moment ces populations ont décidé d'allouer du temps et de la force de travail à la culture plutôt qu'à la production de services ou de biens matériels. Et c'est en ça que nous avons besoin d'un ministère de la culture car celle ci, bien que l'ère capitaliste tende à nous le faire oublier, n'est pas un service ou un bien matériel, elle est autre chose mais quoi alors ?
Mais alors la culture c'est quoi ?
Bien sûr le rôle de la culture et de ses productions à varié au cour des âges. Je vais quand même essayer d'en développer les principaux axes :
- Elle peut-être un moyen pour les puissants qui la produis(ai)ent d'affirmer leur statut, mais aussi pour ceux qui la consomment et en maîtrises les codes de se construire une légitimité, essentiellement pour les puissants afin d'assoir leur pouvoir en maintenant une fracture supplémentaire avec le peuple.
- Elle peut-être un moyen pour les instances qui en sont à l'origine de faire passer un message, de promouvoir des valeurs, d'endoctriner, de contester, de se soulever et de se révolter ...
- Elle peut-être un moyen pour un groupe social de se construire une identité commune et tout ce qui en découle.
- Elle peut-être un moyen de questionner le spectateur, de lui faire prendre conscience de la multitude de manières possibles qu'il existe pour aborder une question, un sentiment, un ressenti, une question sociétale ou politique, ... car l'artiste propose avant tout une vision du monde (en s'affranchissant de la notion subjective qu'est le beau, il cherche avant tout à provoquer le spectateur dans son ressenti).
- Elle peut enfin être un moyen de se divertir.
Bref la culture à le potentiel d'être une multitude de choses mais elle est avant tout à rattacher au domaine de l'esprit. Alors il est tentant de dire qu'elle est en quelque sorte à la fois un bien matériel et un service, mais elle va au delà de ça de part sa capacité intrinsèque à nourrir l'esprit (en bien ou en mal) au même titre que l'école que tu acceptes toi libéral de financer sans sourciller.
Culture & Capitalisme :
Suite à la seconde guerre mondiale et à l’émergence croissante d'une classe moyenne en Occident on observe un basculement dans le monde de la production culturelle. Le capitalisme va faire de la culture un bien de consommation comme un autre, le fameux
entertainment, en cherchant à réaliser du profit financier de manière directe avec la culture. Là où nous avions une hégémonie de la production culturelle depuis des siècles autours de valeurs Judéo-chrétiennes (ce dont je ne suis pas nostalgique je précise, l'asphyxie de la culture populaire passé par la culture légitime est une honte) et ce uniquement car seuls ceux qui possédaient l'argent pouvaient légitimer une certaine culture, nous avons aujourd'hui une nouvelle forme de culture hégémonique qui est apparut.
Celle ci doit répondre à une seule prérogative : faire de l'argent en concevant puis en vendant aux masses un même objet culturel. Andy Warhol l'avait très bien compris. Cela est avant tout permis par l’émergence d'une classe moyenne possédant un capital économique à allouer à ce domaine et par le développement des moyens de déplacement et de communications.
Or pour atteindre cet objectif de rentabilité financière souvent outrageux pour certaines œuvres/artistes les instances de productions, qui sont aujourd'hui devenu des organes indépendants, phagocytent complètement la production globale à coût de millions dans la publicité, dans l'occupation de l'espace public pour vendre leur œuvres, etc ... Le combat est totalement inégal et conduit à l'appauvrissement dramatique de la production culturelle et à une domination hégémonique de la culture des USA. Et ce n'est pas internet et sa pseudo liberté complètement vampirisé à coup de publicité et d'algorithme qui permettra d'inverser la tendance. Alors je sais que le libéralisme est ta marotte, et que le sacro saint marché à réponse à tout, mais force est de constater que face à cela il est impuissant et ne propose qu'une culture souffrant des mêmes dérives que par le passé, à savoir hégémonique et à l'image de ceux qui ont les moyens de la produire.
L’exception culturelle française :
Sortons du prisme de l'emploi et des gros sous. L’exception culturelle française permet à une diversité culturelle folle de s'exprimer. Bien sûr le combat reste inégal face aux mastodontes de production internationaux quand en face la politique culturelle française vise à faire survivre les petits. Mais elle remplie son rôle de diversité, permettant à la culture de remplir l'un de ses principe fondamentaux : être un objet de réflexion et de subversion, et non pas seulement un objet de consommation comme le rêve le capitalisme.
Elle a d'autant plus de mal à remplir sa mission car il faut qu'elle combatte le goût hégémonique et les mécanismes de développement du goût sont complexes (et ont déjà étés exposés mainte fois sur ce sujet).
Alors oui je le dis haut et fort :
nous avons besoin d'un ministère de la culture, dirigé par quelqu'un de compétant, et de subventionner ce milieu à moins de vouloir absolument vivre dans un conformisme absolue. Et cela est bénéfique pour la France, pour son rayonnement, pour sa géopolitique (renseignez vous sur ce qu'est l'alliance française ...), pour la santé de l'esprit de ses citoyens et enfin pour la santé de son économie car à défaut que proposez vous comme emploie à ces gens ?
Et enfin pour tous les Jean-jaloux :
Vous n'avez aucune idée de ce que c'est d'être artiste en France. Vous basez vos avis sur les quelques titres racoleurs de journaux douteux et sur les quelques abus dont vous entendez parler. Un peu comme ceux qui conspuent les aides sociales car un petit % en abusent.
Mais si vous trouvez cela si injuste alors foncez ! Prenez votre plume, enfilez vos chaussures de danses, votre casquette de chorégraphe ou réalisateur, allez saigner vos doigts sur un instrument de musique, vous tuer le dos à monter/démonter de festivals en salles de spectacle et ainsi vous pourrez rejoindre la cohorte des profiteurs intermittent du spectacle.
La vie d'un musicien intermittent du spectacle ce n'est pas seulement 42 * 1h30 de concert dans l'année mais ce sont :
- des centaines d'heures de pratiques de l'instrument
- des centaines d'heures de compositions et de création (visuelle)
- des centaines d'heures de répétitions et de studio
- des centaines d'heures de démarchages, d’administratifs et de communication
- des centaines d'heures sur la route / à l'hôtel
- des dizaines de milliers d'euro investis en matériel
Tout ça avec l'obligation constante de ce renouveler très régulièrement sous peine de ne plus être programmé et donc le stress que cela engendre. Croyez le où non, mais les 35h/semaine, la majorité des intermittents musiciens ne connaissent pas.