D'abord clap clap pour le pull collectif plus haut, jolie vague faudrait même voir à prévenir qu'on puisse établir un horaire des marées. Et alors la tenue au fond des posts, chapeau très bas.
Ayant avancé mon point de vue de façon un peu parcellaire, j'essaye de te répondre Yeril parce que je ne crois pas que ta position, qui si elle est assez répandue, soit partagée par tout le monde.
D'abord les définitions. Tu t'y essayes et c'est louable mais parfois il faut un peu plus préciser pour éviter les contre-sens ou plus simplement les approximations :
Flexibilité : rapportée au travail, tu le commentes de manière assez juste comme la possibilité (éventualité) de passer d'un emploi à un autre. Enfonçons les portes ouvertes, c'est le salarié qui flexible mais pas l'emploi. Un salarié peut être amené à occuper divers postes, à remplir diverses tâches, qui peuvent être éloignées les unes des autres géographiquement, techniquement, statutairement aussi pourquoi pas, bref. L'emploi, lui n'est pas flexible, une tâche est difficilement remplie indifféremment par un employé très-qualifié ou quelqu'un sans qualification. La flexibilité introduit donc parallèlement la notion d'instabilité. Entre deux périodes, entre deux emplois, il y a instabilité. La tâche que l'employé remplis n'est pas durable, par définition, le statut qu'occupe l'employé n'est ainsi pas stable car non durable.
Précarité : état de ce qui est précaire. Oui bon certes ; "précaire" : qui s'exerce ou se détient grâce à une autorisation à tout moment révocable, dont l'avenir, la durée ne sont pas assurés. La précarité n'est pas le "risque" de ne pouvoir se projeter dans l'avenir mais l'incapacité complète de se projeter dans l'avenir. Il y a une petite nuance entre les deux.
Autre nuance importante, cette fois-ci l'emploi et pas seulement l'employé peut être précaire, non durable.
Au final, on obtient quoi ? Tout simplement Flexibilité=Précarité du point de vue de l'employé. Flexibilité et précarité sont deux choses différentes concernant l'emploi seulement puisque, la première ne peut pas qualifier un emploi mais seulement l'état d'un salarié.
Alors oui mais non. On entend beaucoup de gens, parfois des gens éminents, du moins occupant des postes politiques importants (si cela qualifie à être une "éminence"), employer de manière distincte les deux termes. Il flotte là un espèce de sentiment où :
- la flexibilité serait plutôt de l'ordre du langage "technique". Le mot serait ainsi utilisé pour qualifier de la manière la plus neutre possible un état de fait, ce que tu soulignes dans tes propos, comme "la flexibilité, elle existe aujourd'hui, elle est là". Limite-limite ; c'est presque le progrès, l'état excessivement moderne du salarié contemporain.
- la précarité qualifierait plus une sorte de perte progressive, tendancieuse et globale de niveau de vie accompagnée d'une perte de lisibilité dans l'avenir. Ainsi, dit-on qu'on "sombre" dans la précarité, une sorte de marasme opaque... bref beurk.
D'où vient la différence si elle n'existe en fait pas dans les mots ? Tout simplement de la capacité sans cesse renouvelée de brasser du vent dès qu'il s'agit de parler "politique" (au sens noble et réel du mot). Ou tout l'art de biaisé d'entrée un débat, de le tourner, triturer, concasser et surtout filtrer.
L'instabilité quand même c'est pas super, qu'à cela ne tienne utilisons un mot qui signifie la même chose mais auquel on va donner un sens plus reluisant, ça va briller de mille feux. Selon un mot très moderne : positivons. Exit la mauvaise instabilité (comme le mauvais gras et le mauvais cholestérol), place à la bonne instabilité, celle qui valorise le salarié, qui fait de lui une sorte de superman (ou woman) capable d'endosser plein de casquettes, volant au secours de l'économie en détresse par ses capacités à être flexible, adaptable et mobile bref en un mot puissant : "résolument moderne" et en symbiose parfaite avec son temps.
Voilà en quelques mots comment souffler dans un pipeau, où encore faire de l'économie moderne avec des mots modernes qui s'adressent à des gens modernes ou en résumé surtout comment ne pas faire d'économie.
Ceci étant définit, je relance le propos sur quelques une de tes remarques, pour certaines fondées mais d'autres un peu moins :
Publié par Yeril
Personne n'est contre la flexibilité (sinon une infime minorité de personnes qui n'ont pas conscience des réalités d'aujourd'hui)
Alors oui, il y a des gens qui sont contre (si tant est que "contre" peut être considéré comme un synonyme politique "d'adopter une position non favorable") et oui on peut être "contre" sans pour autant ignorer les réalités d'aujourd'hui, voir même tenter contre vents et marées de justement réintroduire la réalité dans un débat qui parfois tutoie un peu trop la mauvaise bouillabaisse.
Publié par Yeril
]Personne n'a fait de manifs contre les CDD ou l'intérim (sauf dans le cas d'abus peut être et encore).
Je commence donc à réintroduire un peu de "réalité" sur ce point en signalant que : si, il existe de façon relativement répétée des mouvements sociaux, certes assez sectorisés, qui dénoncent, avec une trop grande régularité diront certains, l'utilisation de ce type de contrat de travail. Pour l'essentiel, le public (la population) entend généralement parler de ces mouvements quand ça touche par exemple, la RATP ou la SNCF, bref quand ça prend des bonnes gens en "otage". Comme de bien entendu, ce genre de personnels étant tout le temps en grève, ils ont peu tendance à lancer des mouvements reprenant des revendications d'ensemble (ils préfèrent segmenter pour pouvoir faire plein de grêves selon des sources sûres de milieux très autorisés) ; parmi lesquelles figurent régulièrement en bonne place, l'arrêt de l'utilisation généralisée et massive de ce type de contrats ainsi que l'intégration à un statut plein et entier des quelques obscures cohortes de "je suis en mission", intérimaires, vacataires et autres sous-traitant au statut douteux. Qu'ils sont rêveurs. Je tempérerais donc le "personne" ne fait de manifs ou ne revendique contre l'utilisation de ce type de contrats de travail.
Pour le reste de ton post tu dresses un portrait sans réelle concessions faites aux états précaires, portrait avec lequel dans l'ensemble je suis d'accord, même si on pourrait encore trouver quelques éléments à charge mais ça sera suffisant ne "chargeons pas la mule".
Par contre ton dernier paragraphe est, à mon sens, hors cadre car il rebondit sur la première erreur de perception consistant à dire : flexibilité et précarité ce n'est pas la même chose. En réalité si.
Connait-on aujourd'hui en France une période de flexibilité
et une période de précarité. La réponse est oui. Ces deux éléments exercent-ils une influence l'un sur l'autre et réciproquement ? Non ; il sont l'un et l'autre un seul et même élément. Il n'y a pas d'un côté la flexibilité, c'est à dire par exemple le fait que la très grosse majorité des contrats de travail signés sont des CDD, et de l'autre la précarité qui serait une sorte de mélange de la chute brutale des revenus du travail pour les salariés associée à une perte des repères sociaux et une perte des accroches aux structures sociales. C'est le même phénomène socio-économique qui est à l'oeuvre dans toute la palette de ses conséquences directes et indirectes.
Les conséquences de cela sont elles aussi directes :
Publié par Yeril
Bref la flexibilité ne peut marcher que grace à deux moyens
La flexibilité ne peut pas marcher tout court.
Tu évoques dans un premier temps l'exemple britannique, certes, mais tu le fais dans le cadre de ce que j'appelle plus haut la brosse à faire briller. Tu mets en valeur la flexibilité, l'adaptabilité et la mobilité du salarié britannique ; cette sorte de mécanique qui serait parfaitement huilée, adaptant au plus juste demande et offre d'emploi dans le plus parfait des équilibres auto-ajustés que puisse produire une économie. Oui mais voilà quid du reste ? Quid de l'accroissement de la pauvreté ? Quid des écarts qui se creusent entre les flexible-précaires et les non-flexibles non-précaires ? Quid de la baisse des revenus du travail (je préviens sait-on jamais ça ne se mesure pas en hausse du salaire moyen) ? Quid d'une société qui est devenue grosso modo aussi inégalitaire que les plus récentes entrantes dans l'UE ? Quid du crah en flamme de l'industrie britannique, le secteur industriel se pretant moins bien que le tertiaire à la flexibilité ? Il n'existe pas un résultat positif et brillant qui serait dû la flexibilité et un résultat sombre et peu engageant qui serait dû à la précarité. Tout cela forme l'ensemble des conséquences d'un même phénomène ; la flexibilité ou la précarité appelles le comme tu le souhaites.
Tu développes malheureusement trop peu le cas des pays nordiques qui, selon leur tradition, ont joué sur une forte compensation du risque social. Ça leur coûte horriblement cher. Ils ont globalement virés tous leurs emplois stables (dans la fonction publique surtout) pour échanger contre de l'instabilité tout ça pour le même prix. Le calcul est-il judicieux ? Faut voir, leurs réformes sont assez récentes, mais leurs statistiques mesurant la pauvreté commencent tout doucement à décoller. Ils ont parié sur le fait que le phénomène serait contrôlable, je ne pense pas que ça soit possible. C'est peut-être simplement conjoncturel, mais je ne crois pas un seul instant que les écarts ne vont pas se creuser quand même et ils commencent à montrer le bout de leur nez. Disons dans tous les cas des résultats plus sûrs dans 5 ans.
Désolée du pavé d'abord et desolée aussi de ne pouvoir développer certains points qui auraient mérité de l'être et notamment sur la perte de lisibilité qu'induit la flexibilité sur les chiffres caractérisant les marchés du travail. Et notamment le fait que le type qui retrouve du boulot tout de suite c'est statistiquement incalculable et ça arrange tout le monde que ça ne le soit pas. Les Etats-Unis étant d'ailleurs sur ce plan largement en avance comme souvent, beaucoup de gens ont maintenant deux boulots pour toujours tenter d'en avoir au minimum un, essayant à leur échelle de compenser l'impact. Bien sûr cela limite leur mobilité rendant encore plus dififcile leur capacité à retrouver un second boulot. Tout cela évidemment en tenant compte que les gens qui travaillent 1 mois sur 2 ou sur 3 ou sur 4 ou qui ont deux boulots sont éjectés des statistiques du chômage. Bref dans tout les cas il faut toujours faire attention aux effets de synergie qui sont recherchés ou obtenus sur les chiffres pour faire briller la marchandise et la rendre plus présentable.