Or, dans le même temps, le vote d’extrême droite n’a cessé de progresser, à tel point qu’aujourd’hui, la victoire du Rassemblement national à l’élection présidentielle ne paraît plus impensable. Sans doute dira-t-on que la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen y est pour beaucoup. Encore faut-il noter, dans l’autre sens, que les idées de l’extrême droite ont gagné du terrain à droite, et même à gauche : la continuité des politiques d’immigration, d’un président à l’autre, et l’obsession croissante pour l’islam, de droite à gauche, en sont les signes les plus visibles.
Désormais, le racisme s’exprime à découvert. Loin de fermer la porte des médias, une condamnation pour incitation à la haine raciale l’ouvre grand. Tout se passe donc comme si la prévalence des discriminations raciales finissait par autoriser la parole raciste. À force de tolérer le racisme systémique, on a vu revenir, ouvertement, l’idéologie raciste : c’est ainsi qu’on présente le « Grand remplacement », discours de haine, comme une « théorie ». Ainsi, la banalisation des effets discriminatoires a légitimé le retour du racisme
en intention.
Ce ne sont plus simplement des discours idéologiques, ni seulement des mécanismes structurels ; de plus en plus, le racisme s’inscrit dans des politiques. On l’a constaté contre les Roms, pris pour cibles jusqu’au sommet de l’État, de Nicolas Sarkozy à Manuel Valls ; contre les musulmans et surtout les musulmanes, comme le montrent les lois à répétition visant le voile ; et contre les minorités visibles, avec les contrôles au faciès que, condamné,
l’État a justifiés devant la justice en 2016 au motif qu’ils viseraient
« la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère ».
La progression de ce racisme politique explique en retour la montée d’un antiracisme politique, porté en particulier par des personnes concernées au premier chef. Ce n’est donc pas un hasard si la question des violences policières y joue un rôle central : elle articule l’expérience partagée d’un racisme systémique avec la mise en cause de la responsabilité politique de l’État.
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En refusant de nommer ce racisme systémique, et donc de le dénoncer en tant que tel, les politiques ont paradoxalement confirmé que leur responsabilité était bien engagée : ne pas le combattre, c’est en être complice. Sans doute peut-on s’appuyer sur l’État pour combattre le racisme : sa condamnation pour les contrôles au faciès en est la preuve. Toutefois, le Défenseur des droits l’a souligné, les institutions jouent en même temps un rôle dans la production de discriminations systémiques.
En réaction, une contre-offensive a été lancée dont la rhétorique inverse le sens du racisme. Au lieu d’accepter que le racisme structurel engage notre responsabilité collective, elle pose que les véritables racistes seraient les personnes racisées. C’est le monde à l’envers. Depuis 2016, le scandale à répétition suscité par les réunions en non-mixité raciale s’inscrit dans cette histoire ; on pourrait même dire qu’il la récapitule. Présenter ces réunions comme « interdites aux Blancs », au motif qu’elles s’adressent à celles et ceux qui subissent le racisme, c’est agiter le soupçon de racisme anti-blanc. Or partager ces expériences, c’est la raison d’être de telles réunions.