Il me semble que certaines époques, loin de céder à la tentation de se recroqueviller sur les identités nationales, ont au contraire exalté une certaine universalité, transcendant les frontières et les particularismes. C'est cette fameuse "république des lettres" dont nos professeurs nous parlaient avec l'émotion réservée aux âges d'or irrémédiablement révolus.
Universalité, d'ailleurs, autant dans la géographie des nations que dans la topologie des connaissances : esprits curieux de tout et de tout, homo sum, nihil humani ab me alienum puto, Rabelais aussi écrivain que juriste et médecin, Diderot encyclopédiste, Voltaire chez Frédéric, Erasme rayonnant sur l'Europe entière, Diderot chez la grande Catherine, entre l'encyclopédie et le neveu de Rameau. Bien sûr, les érudits et les spécialistes maltraiteraient sans doute ce tableau idyllique, dans lequel il doit se trouver une grosse part d'illusion rétrospective.
Aujourd'hui, me semble-t-il, on met encore l'accent sur l'héritage de ces grandes figures de l'Humanisme de la Renaissance et des lumières, à travers, notamment, la mission attribuée à l'école : assurer un « socle commun » qui permette au futur citoyen de trouver ses repères dans un réseau de références communes. Ainsi, les programmes de français, au collège, essayent-ils (tant bien que mal) de mettre en exergue dès la 6ème sur les deux grandes sources de la culture occidentale, l'antiquité et le christianisme, à travers Homère et la Bible.
D'autres ont dénoncé la « défaite de la pensée » dans l'illusion d'une société « pluriculturelle » où viendrait s'agglomérer les références les plus hétérogènes, toutes reconnues à un égal rang de dignité culturelle, toutes accueillies chaleureusement dans le giron bienfaisant d'une République se reconnaissant comme patchwork de mille sensibilités, s'enrichissant et se renforçant avec chacune d'elles. Je serais assez d'accord avec Finkielkraut, lorsqu'il dénonce la noyade de la Culture majuscule dans le bouillon toujours plus dilué des cultures minuscules ; « Et la vie avec la pensée cède la place au face-à-face triste et dérisoire du fanatique et du zombie. », déclare-t-il.
On peut-être d'accord ou non avec ces analyses, plutôt radicales et véhémentes (je crois qu'il est aujourd'hui bon ton de cracher sur Finkielkraut). Mais il faut bien trouver un fil sur lequel enfiler les diverses perles, un ciment commun républicain, qui résiste au défi de la massification de l'enseignement. En fait, je ne trouve absolument rien en dehors des symboles dont il est ici question, à l'instar de la coupe du monde de 98.
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