Dans mon collège, comme dans tous les établissements publics, c'est interdiction stricte des classes de niveaux. Il faut savoir que ce sont les profs qui font eux-mêmes les classes, à la fin de l'année précédente pour l'année suivante, et nous avons donc pour consigne de faire des classes d'égal niveau, avec des bons, des moyens, des faibles et un nombre égal de pénibles par classe, etc.
Franchement, ça ne fonctionne pas : chaque classe comporte certes, disons, deux ou trois élèves brillants, à plus de 18 de moyenne générale, deux ou trois à moins de 7, et le reste baigne dans une médiocrité paisible, un ou deux font des efforts et gagnent quelques points, et la très grande majorité n'en fout pas une et n'exploite pas du tout son potentiel. Le problème principal, pour le professeur, est l'hétérogénéité : comment répondre de façon satisfaisante à un panel d'élèves aussi large ? Personnellement, j'échoue, les diverses méthodes mises en place (travail en commun d'un bon et d'un faible, différenciation, travaux de groupes...) n'ayant jamais donné de résultat probant. Je suis donc forcé de niveler par le bas, me contentant de l'essentiel purement technique, et tant pis si je mets des 19,8 de moyenne, j'ai pas trouvé d'autre moyen.
Vraiment, à titre personnel, je suis largement favorable à des classes de niveaux. J'ai eu plusieurs exemples de classes homogènes dans la médiocrité, avec des élèves allant de très faible à moyennement fort, et ça s'est toujours bien passé, y compris dans le comportement : la plupart des perturbateurs le deviennent par décrochage (il y a aussi les vrais cinglés, mais eux...). Dans une classe où ils ne passent pas pour des débiles, ils auront moins tendance à se laisser aller à l'insolence, la provocation... Pour les résultats, à chaque fois que j'ai eu ces classes uniformément faibles (qui, donc, sont rares de par la méthode de constitution des classes), ils ont progressé, largement plus qu'ils n'auraient pu le faire si j'avais dû m'occuper d'élèves à plus de 18. Ces gamins faibles ont, disons, avancé de 10 pas. Les bons, de 20. Oui, mais les faibles, placés dans des classes hétérogènes, n'auraient avancé que de 5.
Evidemment, par un vieux fond d'idéologie post-soixante-huitarde, on refuse de mettre en place de telles classes de façon volontaire (le niveau global d'une classe, comme son ambiance, est totalement imprévisible au moment de la constitution), je crois que c'est aussi par confort de fonctionnement : les parents protesteraient évidemment si leur enfant était sciemment placé dans une classe "faible" (ils refusent déjà que leurs enfants aillent en soutien ou aide aux devoirs...), et les profs magouilleraient comme des malades pour se réserver les classes "fortes" - il faut aussi avoir l'honnêteté de reconnaître que j'ai croisé, sans les avoir moi-même, des classes complètement nulles très pénibles, dans lesquelles il était très dur de pratiquer le métier d'enseignant. Néanmoins, toutes les classes les plus détestables que mon collège a connues comportaient leur lot de très bons élèves, le plus souvent débordés par les casse-pieds.
Bien sûr, dans un monde meilleur, on pourrait imaginer des sections de mise à niveau ; oh, tiens, ça existait avant, faire 6e et 5e en 3 ans - dans mon collège, l'apprentissage de la lecture n'est pas terminé pour près d'un élève sur deux entrant en 6e. On pourrait imaginer la mise en place de matières manuelles pour les élèves les plus en difficulté ; oh tiens, ça existait avant, avec les SES et CPPN.
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