Pour revenir donc a la question de base: dans un monde ou les ressources sont limités, et ou l'Etat a un devoir de sublimer les talents latents de tous, indépendamment de leur condition sociale de naissance que faire?
- donner le même nombre de ressources a tous ce qui in fine favorise ceux qui ont les moyens de s'offrir une éducation. L'avantage c'est qu'une égalité de façade est préservée au sein de l'école publique.
- ou faire une segmentation par niveau ou les ressources sont plus ciblées et plus efficaces, et ou le biais de richesse peut être réduit au maximum (en supposant que le système ne puisse être contourné). Et on peut espérer que bien plus d'enfants puissent atteindre leur potentiel.
j'arrive probablement un peu tard
Faut-il séparer les bons et les mauvais élèves ?
Sciences Humaines N° 83 - Mai 1998
Jacques Lecomte
Nombreux sont les collèges qui répartissent les élèves dans les classes selon leur niveau, pour rendre celles-ci plus homogènes. Généralement destinée à aider les élèves en difficulté, cette pratique ne fait pourtant que renforcer les inégalités scolaires.
Partant de l'idée qu'une classe hétérogène est nuisible pour l'apprentissage des élèves, de nombreux établissements scolaires ont mis en place des classes de niveau, c'est-à-dire des regroupements d'élèves en fonction de leur niveau initial.
Cette pratique ne suscite généralement pas de réaction négative de la part des parents, qui pensent que leur enfant progressera mieux au milieu d'élèves de même niveau, que celui-ci soit bon ou faible. Une étude menée par Marie Duru-Bellat et Alain Mingat, chercheurs au CNRS et à l'université de Bourgogne, a conduit à des conclusions nettement différentes. Cette recherche repose sur une large enquête menée dans 212 collèges et auprès de plus de 20000 élèves. Si l'on tient compte des deux critères que sont le niveau moyen de la classe et son homogénéité, on arrive aux effets suivants. Une classe forte et homogène est bénéfique aux enfants qui en font partie. Un élève scolarisé dans une « bonne classe » réalise une progression supérieure de 2 points à celle que réalise un élève de même niveau scolarisé dans une classe faible. En revanche, un élève placé dans une classe homogène et de niveau faible ou moyen ne progresse que faiblement dans son apprentissage. Les classes homogènes faibles constituent ainsi un milieu de scolarisation défavorable quant à l'accès à une classe de 4e générale.
Inversement, avoir une classe hétérogène conduit à réduire les écarts : les élèves faibles profitent d'un niveau moyen supérieur au leur, tandis que les élèves forts pâtissent de la fréquentation d'une classe d'un niveau moyen inférieur au leur. Mais précisons tout de suite que les profits tirés par les élèves faibles sont nettement plus importants que les pertes subies par les élèves forts.
Les auteurs concluent donc que l'organisation pédagogique en niveaux «conduit à un accroissement des écarts de connaissances entre élèves (...). Ce résultat contredit l'opinion courante selon laquelle les élèves faibles groupés dans une même classe profiteraient d'un enseignement ciblé sur leurs besoins ».
Mais à quoi peut-on attribuer cet effet pervers ? M. Duru-Bellat et A. Mingat signalent deux hypothèses explicatives proposées par des auteurs anglo-saxons sur la base de travaux empiriques.
Il y a d'une part la différence d'instruction dispensée selon le niveau de la classe. En effet, les enseignants ont tendance à moduler les contenus et les pratiques pédagogiques en fonction du niveau supposé des élèves. Par exemple, à programme identique, les élèves des «bonnes filières» reçoivent un enseignement abstrait, centré sur la discipline, tandis que ceux jugés « faibles » se voient délivrer un enseignement concret, centré sur la relation maîtres-élèves. Les professeurs couvrent moins le programme dans les classes plus faibles et proposent des défis plus modestes aux élèves de ces classes.
L'autre hypothèse explicative correspond à ce que l'on appelle les « attentes autoréalisatrices ». Le fait pour un élève d'appartenir à une classe forte ou faible participe à la définition de soi que cet enfant élabore. Il va donc se conformer à cette attente exprimée à son égard, même s'il a été affecté « par erreur » à tel ou tel groupe. Les deux auteurs de l'étude constatent d'ailleurs que le fait d'être scolarisé dans une classe située parmi les meilleures d'un collège accroît les progressions des élèves, ceci quel que soit le niveau moyen de la classe (certains collèges ont, dans l'absolu, plutôt des mauvaises ou des bonnes classes).
Une troisième hypothèse est rapidement évoquée par M. Duru-Bellat et A. Mingat, la possibilité d'une stimulation entre élèves, les bons élèves « tirant » en quelque sorte les autres vers de meilleurs résultats quand la classe est hétérogène.
Les auteurs concluent que : Comme les élèves de niveau inférieur au niveau de leur classe "gagnent" beaucoup plus que ne "perdent" les élèves situés au-dessus du niveau moyen de leurs condisciples, le politique en charge de
l'intérêt général devrait être conduit à promouvoir des classes hétérogènes. Il entre donc nécessairement en conflit avec l'intérêt individuel de chacune des familles qui tend à utiliser l'institution scolaire en fonction d'une logique de distinction.
Contradiction apparemment insoluble entre les visées élitistes des individus et les visées sociales de l'Etat...