Le terme de "liberal" ne veut plus rien dire. Aux USA, ça désigne la gauche. Ici, on s'en sert pour tout et n'importe quoi vaguement de droite, y compris pour parler des conservateurs.
J'essaie de m'en tenir à "néo-libéral" ou "ultra-libéral" pour désigner un courant de pensé profondément hostile aux régulations économiques et à l'intervention de l'État en général, courant de pensée qui s'appuie sur la doctrine économique de Chicago, laquelle est très liée à l'école autrichienne et au libre marché libertarien.
Or, cette école économique a pris le pouvoir au niveau mondial dans les années 1980, grâce à Reagan et Thatcher (et Pinochet en éclaireur). Le FMI, la banque mondiale ont appliqué leurs idées. La commission de Bruxelles et l'UE ont globalement suivi, en dépit des résistances.
J'ai juste envie d'ajouter que le processus libéral est inscrit de manière bien antérieure à l'apparition de l'école de Chicago dans la construction européenne. L'imposition du libéralisme à la société européenne remonte à la fin des années 40... En gros, la droite européenne, en s'appuyant sur Monnet, va totalement exclure la gauche du processus en prétextant "la paix entre les peuples" pour imposer le modèle libéral, le tout soutenu par les Etats-Unis et financé en sous-main par la CIA. L'idée d'une Europe dont la nature serait inévitablement libérale, et ce depuis la révolution industrielle est complètement erronée. J'en veux pour preuve la distanciation réalisée par certains pays au moment de la création de la CECA.
Jean Monnet le 9 mai 50 :
«La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent»
Le Labour anglais au pouvoir à la même époque :
"aucun parti socialiste dont la perspective est de former un gouvernement ne peut accepter un système dans lequel des domaines importants de la politique nationale seraient livrés à une autorité européenne de nature supranationale, étant donné qu’une telle autorité serait en permanence dominée par une majorité antisocialiste et soulèverait l’hostilité des travailleurs européens"
Bref, dur d'être de gauche quand c'est le "bon sens" qui domine la réflexion et le matraquage auprès des masses... Allez expliquer aux gens que la forme technocratique et non démocratique de l'Europe à ses débuts (pendant très longtemps, et toujours imparfaite avec une commission encore plus soumise aux problème de lobbying que les gouvernements nationaux, et un parlement dont le pouvoir est insuffisant en contrepartie) est une tare bien plus grande que la prétendue paix entre les peuples qu'elle serait la seule à réaliser. Bref je m'égare.
Pour en revenir à quelque chose de plus en rapport avec ce que je quote, et sur le fait que le sort de la grande institution qu'est l'Union Européenne a été scellé avant les années 80, j'invoquerai plusieurs choses :
Le traité de Rome, qui plutôt que d'introduire l'idée de nivellement par le haut des acquis sociaux, a été victime de la faiblesse de la IVème république et de l'ordolibéralisme ambiant (en RFA surtout bien sûr, vu qu'il s'agit d'une pensée économique allemande) pour rejeter en bloc toute harmonisation sociale européenne.
Pire encore, la France se voit imposer un certain dogme économique : c'est déjà la réduction des dépenses publiques pour réduire les déficit qui prédomine... Et déjà on allait nous resservir le problème de la mondialisation.
Jean Duret, CGT, 56 :
«On invoquera les dures lois de la compétition internationale pour démontrer qu’un niveau d’emploi élevé ne pourra être assuré que si les travailleurs se montrent “raisonnables“»
Bref, sans m'arrêter sur d'autres dates importantes et antérieures aux années 80, je pense pouvoir affirmer sans trop me mouille qu'il s'agit là d'un processus continu.
ps: Les trois citations proviennent de l'ouvrage suivant :
L’Europe sociale n’aura pas lieu, François Denord et Antoine Schwartz, Editions Raisons d’agir, Paris, 2009.