Attention gros pavé, qui ne porte, je précise, que sur la refonte du Code en lui-même et non sur le débat sur les modifications générales du droit du travail des dernières années.
S'agissant du Code, donc, il faut savoir, parce que ça me semble ignoré par pas mal de monde, que la nouvelle version de la partie législative est déjà rédigée, et trouvable sur légifrance, dans la partie Codes, avec l'ancienne, pour ceux que ça intéresse.
Sinon, sans prétendre être complètement spécialiste du droit du travail, je pense en savoir assez pour détecter un gros nombre d'approximations et d'erreurs franchement très grossières, aussi bien dans l'article de libé - qui me semble jouer un peu trop fièrement dans le registre sensationnaliste de la théorie du complot et des craintes sociales par rapport à la rigueur des arguments de fond - que dans la soi-disant analyse juridique article par article donnée en lien - qui me semble truffée d'erreurs.
Comme ça serait un peu trop long de tout analyser, je prends au hasard quelques exemples.
Dans l'article de Libération, je relève :
Il y avait 271 subdivisions, on en arrive à 1 890. Il y avait 1 891 articles de loi, il y en a 3 652 !
Ce qui serait un signe de complexification. Bof. Le nombre d'article ne veut rien dire en l'occurrence. Pour ce que j'ai pu en voir en bossant mon droit du travail cet été, les articles du nouveau Code sont effectivement plus nombreux, mais ils sont aussi beaucoup plus courts ; certains articles anciens qui faisaient plusieurs alinéas ont été divisés. Quant aux subdivisions, ça ne veut rien dire non plus si elles sont mieux faites. Chacun peut se faire son opinion en comparant les plans sur légifrance.
Le droit de grève a été introduit dans la partie «négociation collective» alors que c’est un droit constitutionnel non négociable.
Je me demande si je suis la seule à qui légifrance indique, dans la deuxième partie du Code (nouvelle rédaction), intitulée "LES RELATIONS COLLECTIVES DE TRAVAIL", un Livre V intitulé "LES CONFLITS COLLECTIFS", qui n'a pas vraiment de rapport avec la négociation collective. Si je ne suis pas la seule, ici, il ment carrément. Et même sans ça, l'affirmation ne voudrait pas dire grand-chose.
J'ai la flemme de poursuivre en détail, mais ce qui me gêne le plus, c'est l'exagération systématique, les différentes affirmations non étayées d'exemples et posées d'autorité. Par exemple : "
Ils font s’écrouler toutes les jurisprudences, abrogent des articles clés, restructurent le fond théorique et pratique du code. Tout est modifié." : mais encore ?
Je ne vois pas en quoi "toutes" les jurisprudences s'écrouleraient, surtout que, puisque si la codification est officiellement à droit constant, les juges pourront toujours se prévaloir des anciennes interprétations ; par ailleurs, pour une refonte totale, il est évident que les articles clés sont abrogés, comme tous les articles, mais pour être remplacés par d'autres similaires ; etc.
Pour passer maintenant à l'analyse article par article faite dans le lien donné au-dessus, j'avoue n'avoir parcouru que les premières pages, et déjà relevé de grosses approximations. Quelques exemples :
- A plusieurs reprises, l'auteur souligne la disparition des "peines de récidive", par exemple :
L 132-27, L 153-2, L 481-2 / L 2242-1, L 2243-1, L 2243-2 : dans les entreprises ayant
des sections syndicales, l’employeur doit « chaque année organiser une négociation
« sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail »
et « sur les objectifs en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes » ; dans le nouveau texte il y a une suppression des peines de récidive pour
les infractions à ces dispositions
(...)
L 481-2 ; L 412-1, L 412-4 à L 412-20 / L 2146-1 ; L 2141-4, L 2141-9, L 2141-11 à L
2143-22 ; L 2431-1 : la récidive multipliait par deux les sanctions pénales possibles en cas d’entrave au droit syndical (3750 euros et un an d’emprisonnement passaient à 7500 euros et deux ans) ; le nouveau code a supprimé les peines de récidive...
L'auteur de l'article de libé s'appuyait d'ailleurs sur ce problème de récidive pour dénoncer une "
quasi-suppression du droit pénal du travail". Si c'est son seul argument, c'est à mon sens un peu faible.
Puisque,
en application des dispositions générales du Code pénal, qui s'appliquent également aux dispositions pénales prévues dans le Code du travail... TOUS les délits voient leur peine - prison et amende - doublée en cas de récidive. Prévoir une disposition spéciale pour la récidive n'a donc d'intérêt que si la peine n'est pas simplement doublée, mais modifiée d'une autre façon. Or - sans prétendre à l'exhaustivité - j'ai pu relever au moins un cas où une telle peine est prévue par le Code du travail, et maintenue :
Article L2146-2
Le fait pour l'employeur de méconnaître les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-8, relatives à la discrimination syndicale, est puni d'une amende de 3 750 euros.
La récidive est punie d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 7 500 euros.
Ici, on passe d'une simple amende, à une peine d'emprisonnement ; la précision est nécessaire. Pour le délit d'entrave, ce n'était pas la peine.
Je n'ai ni le temps ni les moyens de vérifier l'intégralité des dispositions. En revanche, je suis absolument certaine que l'analyse de l'auteur est, sur ce point, mauvaise, et je suis tout aussi certaine que parler de "quasi-disparition" du droit pénal du travail est soit une bêtise, soit la preuve d'une grosse mauvaise foi.
- A plusieurs reprise, l'analyse souligne également le passage du "Conseil des prud'hommes" au "juge judiciaire".
Par exemple :
L 412-20 / L 2143-17 : la contestation par l’employeur de l’utilisation des heures de délégation par le délégué syndical ne se fera plus devant la « juridiction
compétente » (les prud’hommes) mais devant le « juge judiciaire » !
Je suis là aussi un peu dubitative. Pour moi, le Conseil des prud'hommes, c'était une juridiction spécialisée de l'ordre judiciaire. Ensuite, les juges judiciaires ne sont pas forcément moins indépendants que les Conseillers prud'hommes, ni plus favorables à l'employeur, donc je ne comprends pas trop ce qu'il y a de choquant dans l'histoire.
Et enfin, il existe depuis toujours une répartition des compétences entre prud'hommes et tribunaux civils de droit commun : aux prud'hommes, les relations individuelles, au TGI les relations collectives de travail. Or, il me semble que la question de l'utilisation de leur crédit horaire par les délégués syndicaux est à cheval entre les deux.
- Sur le fait que la formulation est souvent modifiée pour supprimer la notion d'obligation, ou un impératif (par exemple : "
L 423-3 / L 2314-10 : l’accord préélectoral pour les élections de délégués du personnel « obligatoirement transmis à l’inspecteur du travail » n’est plus désormais que « transmis »."), il faut tout de même préciser que ça ne change rien sur la portée du texte. De très nombreux textes juridiques sont rédigés au présent de l'indicatif, ils n'en sont pas moins obligatoires. Reste le symbole.
- A plusieurs reprises, l'auteur dénonce également le passage d'un contrôle effectuées par rapports aux "lois et règlements" à un contrôle effectué par rapport aux "dispositions légales" (exemple : "
L’actuel code du travail interdit le « marchandage » qui consiste à fournir de la main d’œuvre à une entreprise en causant un préjudice au salarié ou en passant outre à « l’application des dispositions de la loi, de règlement... » ; l’interdiction est restreinte par le nouveau texte aux « dispositions légales... » "). Je ne pense pas pour ma part qu'il s'agisse d'une restriction. "Dispositions légales", ça peut au contraire s'interpréter au sens large, c'est-à-dire comme désignant l'ensemble de la "légalité", qui inclut non seulement les lois
et les règlements, mais aussi, la constitution, les traités internationaux, etc. Donc ce serait plutôt une simplification de la formulation et même une extension du champ d'application, en conformité avec ce qui est déjà appliqué en pratique, d'ailleurs.
Je m'arrête là. Je note quand même dans l'analyse des points sur lesquelles je suis ignorante et qui ne me semblent pas anodins, mais j'avoue que les approximations que je relève dans ce que je connais ne m'engagent pas à faire confiance à cette source.
Pour finir sur un autre thème, abordé aussi bien dans l'article de libé que dans l'analyse donnée en lien, le passage de certaines dispositions de la loi au règlement, je pense qu'il faut là aussi nuancer les choses, et notamment en distinguant plusieurs niveaux d'analyse.
- L'analyse juridique nous dit que l'article 34 de la Constitution, qui répartit les domaines de la loi et du règlement, place le droit du travail et le droit syndical dans les domaines où "la loi détermine les principes fondamentaux", et non ceux où la loi "fixe les règles". Il est donc prévu, depuis 1958, dans la constitution, qu'un grand nombre de dispositions sont prises par voie réglementaires, au-delà des grandes lignes de la politique en la matière. Là-dessus, il faut préciser qu'une pratique constante de la Ve République a été d'intégrer de nombreuses dispositions de nature réglementaire dans les lois, malgré la répartition constitutionnelle ; mais que, récemment, dans le but de redonner à la loi sa vocation originelle, et de la préserver de "l'inflation législative", on a observé un mouvement tendant à replacer dans le domaine réglementaire ce qui devait y être.
- L'analyse politique, qui est celle réalisée dans l'article, et qui est très défendable, revient à critiquer la répartition opérée à l'article 34C, en rappellant que le droit du travail est un élément essentiel de la vie de tous et devrait être systématiquement validé par le législateur, avec la possibilité d'un recours devant le Conseil constitutionnel.
Je pense que ces deux analyses doivent être combinées. Parce que si on replace le déclassement de certaines dispositions législatives dans le domaine réglementaire dans le contexte général du mouvement qui tend à cantonner la loi dans le domaine qui lui est initialement prévu, on en conclut qu'il n'y a pas nécessairement là un complot visant à cacher aux salariés les futures réformes du droit du travail. L'argument me paraît d'ailleurs d'autant plus faible que, dans le cadre de la Ve République, le recours au législateur n'est pas vraiment d'un immense secours pour le débat public ; le Parlement étant avant tout la chambre enregistreuse du gouvernement, il me semble que le vrai débat ne peut démarrer que grâce à l'opposition, aux syndicats, qui s'expriment dans les médias plus encore que dans l'hémicycle.
Et enfin, techniquement, le recours pour excès de pouvoir qui peut être exercé contre un règlement devant le juge administratif n'est pas tellement enfermé dans des limites plus étroites que le contrôle constitutionnel qui ne s'exerce qu'a priori.
Pour conclure, je n'en demanderais pas énormément pour être convaincue que la refonte du Code du travail est faite en dépit du bon sens, et que la codification n'a pas été faite tout à fait à droit constant ; parce que c'est un procédé récurrent, qu'on a déjà vu à l'oeuvre avec la refonte du Code de commerce il y a quelques années, et qui a été vivement critiqué par la doctrine et les professionnels. Mais j'aimerais des sources un peu plus solides que ce que je vois là.