Après un léger retard, j'achève enfin ce soir
Life is Strange. Je ressors particulièrement séduit par ce titre qui ne manque décidément pas de poésie ni d'élégance. L'expérience est rendue magnifique par une narration émouvante, des dessins franchement somptueux (avec une gestion des lumières délicieuse) et une bande-son tellement pertinente, amenant aujourd'hui très certainement les pontes du jeu vidéo à rougir copieusement.
Dontnod récapitule sur ses humbles épaules une excellence à la française que j'apprécie. Ils rendent possible un projet audacieux, où le principal péril se trouve généralement dans les permissions accordées aux joueurs en matière de choix narratifs : souvent trop peu nombreux, souvent décriés pour le faible impact qu'ils imposent sur la suite de l'histoire, les décisions permises aux joueurs dans la plupart des produits jouant cette posture manquent souvent le coche en raison de la multiplication des réalités distinctes amenées à exister conjointement qu'ils doivent bâtir, et qui sont en fin de compte autant de redites potentiellement bancales et dangereuses d'un même contenu.
Quiconque s'est déjà amusé à écrire son propre petit scénario à embranchements sait de quoi je parle : si notre récit est un arbre, alors ses branches se dédoublent à chaque décision laissée au lecteur et bientôt nous nous retrouvons avec un végétal tentaculaire dont nous devons pourtant peupler chaque rameau.
Life is Strange m'a donné l'impression de littéralement écraser ces préoccupations, anéantissant jusqu'à la dernière portion de danger dans une création qui ne manquait pourtant ni de péril ni de difficulté. Et le plus effarant, c'est que ce jeu accomplit ce fait d'armes avec une sorte de panache pourtant sans arrogance, livrant une histoire touchante exempte de fautes de goût et de poncifs. C'est sans compter enfin sur l'enjeu supplémentaire du contrôle que le joueur peut exercer sur le temps pour altérer le cours des choses, un mécanisme simple et limité, mais qui trouve justement dans ces limitations une excellente phase de catharsis.
J'ai bien sûr quelques regrets
- l'un d'eux étant de ne pas avoir attendu l'édition limitée pour bénéficier de la bande-son dans son coffret exclusif -, mais la vue d'ensemble est la chose capitale dans un titre pareil, surtout lorsqu'il se divise en cinq épisodes menacés naturellement d'inconsistance d'un chapitre à l'autre. Je n'ai pas vécu cette expérience comme la plupart d'entre vous puisque je n'ai fait l'acquisition de
Life is Strange qu'après la sortie des cinq épisodes, dévorant les quatre premiers en une semaine et laissant le dernier reposer pendant deux semaines, avant d'être enfin englouti en ce jour. Et pourtant, je n'ai aperçu ni flottement dans la narration ni les traces de scènes inégales les unes aux autres. Chaque portion du récit avait sa part des événements à raconter, avec encore et toujours l'immanquable notion du temps venant couvrir le fond du décor.
C'est évidemment une aventure que je recommande absolument, sans le moindre avertissement préalable : vous devez absolument vivre cette expérience, lui accorder quelques heures de votre temps libre à la manière d'un bon roman à apprécier dans le calme, et vous laisser tout simplement porter par son parti-pris et ses émotions livrées avec une authenticité touchante. Beaucoup l'ont déjà affirmé ici : ne craignez pas d'y retrouver trop souvent les clichés étouffants de la vie universitaire, puisque ce récit aborde avec un spectre beaucoup plus large et parfois de manière audacieuse les préoccupations de la vie humaine. Je ne prostituerai pas plus longtemps mon avis pour vous convaincre d'acheter
Life is Strange : bon sang, à ce stade vous avez compris la partition !
Je reviendrai sur deux petites choses que je souhaite ne consacrer sous spoiler qu'à celles et ceux venus à bout des cinq chapitres de ce petit bijou :
Je suis un peu déçu que la relation entre Max et Warren ne soit pas mieux mise en avant au moment de conclure Life is Strange. À l'exception de quelques clins d'œil timides, de rares scènes d'affection portées discrètement dans les conversations, d'actions gentilles que nous pouvons lui consacrer et bien sûr du potentiel baiser que Max et lui peuvent échanger durant le cinquième chapitre avant la plongée dans le cauchemar, il n'y a rien qui satisfasse entièrement mon cœur léger au terme de cette belle saga.
J'aurais par exemple aimé les voir se tenir la main au moment de la conclusion la plus favorable à cela, les voir sinon s'échanger une accolade dans un autre moment plus intense et antérieur à certaines des plus fortes intrigues. En d'autres termes, mis à la place de Warren, je jalousais abondamment la relation entre Max et Chloé, au point de souvent nuire dans mes choix à cette dernière pour laisser un peu d'espace à Max afin que des choix supplémentaires me soient donnés auprès de son camarade geek.
D'aucun pourra relever que dans la "timidité" dans l'expression de leurs émotions mutuelles se trouve une certaine pudeur réservée aux gens de leur âge et à la situation sociale dans laquelle l'un et l'autre se trouvent, observés puis jugés par leurs jeunes camarades n'attendant que le premier faux-pas pour mordre. Le baiser qu'ils s'échangent me laisse sur ma faim, notamment quand je constate que seule Max se souviendra de l'expérience tandis qu'elle plongera - encore - dans le passé pour y sauver Chloé. Je m'imagine bien sûr qu'après la conclusion choisie à notre histoire, la plus favorable sûrement pour l'épanouissement de ce couple Max - Warren, renaîtra la relation que nous avions simulée dans cette réalité alternative et que les choses prendront une tournure plus affectueuse encore entre l'un et l'autre si nous avons opéré des choix favorisant une telle issue tout au long du jeu. Je regrette simplement de ne pas en avoir aperçu les traces (quoique, j'en vis bien une seule, trop subtile) au moment du générique de fin.
Cela m'amène finalement à mon second reproche : je n'ai pas réussi à développer suffisamment d'empathie pour Chloé en raison de cette jalousie, et je crois avoir manqué une large partie de la force émotionnelle sur la fin du chapitre 5. J'ai bien sûr adoré cette réalité alternative où nous la voyons progresser péniblement dans un monde où pourtant elle se trouve dans une famille unie comme au premier jour. Je n'ai pas non plus manqué d'être attendri par cette jeune fille marquée par la rupture affective avec son amie d'enfance il y a plusieurs années. Ce sont en fin de compte leurs retrouvailles en fanfare qui n'ont pas su me toucher, et les nombreux éléments intimes entre Max et Chloé en découlant pour ainsi dire.
Je sais très bien qu'une relation plus qu'amicale peut naître entre l'une et l'autre, ou du moins l'ai-je abondamment deviné en inspectant la nature de la relation entre Chloé et Rachel, mais je n'ai pas du tout réussi à me projeter dans celle-ci au point de refuser en bloc l'échange d'un baiser entre Max et Chloé dans la chambre de cette dernière, au milieu de l'histoire, lorsque l'une semblait défier l'autre à ce petit jeu défiant la pudeur. J'aurais aimé les laisser s'apprivoiser l'une et l'autre, et je crois sincèrement avoir manqué quelque chose de précieux dans la narration en favorisant la relation entre Max et Warren à celle-ci, mais je n'ai pas réussi à me faire à l'idée que Max pouvait se laisser influencer par une jeune femme d'ores et déjà plus riche d'une expérience que je jugeais incompatible avec le profil que je dessinais mentalement pour Max.
Je retenterai peut-être un jour l'expérience, en favorisant cette fois l'épanouissement d'une relation amoureuse entre l'une et l'autre, ou peut-être inspecterai-je simplement la conclusion où l'on décide de sacrifier Arcadia Bay au profit de Chloé, puisque je reste un peu sur ma faim au moment d'inspecter l'impact émotionnel que j'ai assigné à cette pauvre Maxine. J'espère qu'elle fera son deuil dans les bras de Warren, chose que j'espérais en fait au moment du générique, et la seule consolation que j'ai pu obtenir à ce sujet se trouve dans le léger rapprochement postural de Max près de Warren - qui disparaît d'ailleurs dès le plan suivant. Mais j'arriverai à tout pardonner à Life is Strange à ce sujet, tant derrière toutes ces problématiques de jeunes adultes se trouve en fait une autre préoccupation bien plus importante, celle de la force de nos décisions et de la façon dont nous devons vivre avec pour le restant de nos jours. À ce sujet, je ne manque pas de croire que Maxine sera une femme à jamais hantée par les autres potentielles réalités qu'elle aurait pu éprouver et qu'elle consultera à présent d'un humble regard par-dessus son épaule en allant de l'avant.
Mais ne sommes-nous pas tous dans une telle situation, en fin de compte ? J'apprécie décidément beaucoup le message de ce jeu !