Arrivé à Twin Elm j'ai décidé de m'arrêter là. Au final j'estime que le jeu est une réelle déception quant à son ambition affichée d'être le Baldur's Gate 3 que tout le monde attendait. Le système de combat est identique à D&D, les sorts sont tous des variations autour des thèmes connus, les classes sont peu ou prou les mêmes. De mon point de vue, ce qui pouvait faire la force ou la faiblesse de ce jeu était son univers : les devs avaient l'occasion de créer un monde que les joueurs de BG attendent depuis si longtemps qu'ils feraient l'effort de rentrer dedans, même si cela revient à devoir se fader une lore bien fournie. De ce point de vue là, on ne peut pas leur reprocher d'avoir ménagé leurs efforts : le background est réussi, plutôt bien distillé et développe des thèmes intéressants. Par contre, c'est la grosse plantade sur tout la ligne sur l'intégration du joueur à la storyline.
Les prémices sont les mêmes que ceux de BG1 : le monde "extérieur" est en crise et le joueur se retrouve plus ou moins malgré lui entraîné dans sa résolution. Le scénario de BG1 était très convenu mais avait l'avantage d'être cohérent et de nous faire peu à peu remonter à la source de façon bête mais efficace : on commence par enquêter dans la mine, puis on remonte la chaîne de distribution, et on termine par un complot dans la capitale avec dopplegangers et compagnie pour finir par une séquence mémorable (c'est sûrement la nostalgie qui parle, qu'importe) où on accompagne toute une troupe de voleurs de nuit pour le château du Duc Machin. C'est progressif, ça a un côté grandiose et surtout, c'est nous, personnage principal, qui faisons avancer les choses.
L'amélioration majeure de Pillars est de nous laisser écrire l'histoire de notre personnage (et de ce que je devine de l'histoire de là où j'en suis, d'une de nos incarnations précédentes ?) via les dialogues au lieu de nous l'imposer et de s'y référer régulièrement pendant le déroulement de l'histoire, ce qui est une idée très intéressante en terme de narration. De la même manière que dans BG1, l'introduction se termine par un élément qui échappe à notre volonté : la tempête dans Pillars contre l'embuscade dans BG1. Ces deux moments sont décisifs pour les mêmes raisons : définir la motivation première de mon personnage. Dans BG1, le motif est assez facile : au pire du pire, la vengeance nous fait avancer. Dans Pillars, rien de cela et c'est à mon avis la source de tous les problèmes : c'est bien joli de me laisser décider moi-même pourquoi mon personnage veut aller de l'avant dans ce monde dont je ne connais rien, mais si on ne me pousse pas un peu au cul je vais simplement aller de quête en quête et finir par me désintéresser de l'intrigue principale. Certains vont penser que je pinaille sur des détails mais c'est pour moi la base de la base qui n'est pas couverte ici : dans BG2, l'introduction est réussie car elle nous place directement aux côtés d'Imoen qui se fait torturer, puis kidnapper. La ligne est claire, et en nous laissant incarner un psychopathe qui veut simplement dézinguer le méchant ou un preux chevalier qui veut sauver la princesse, le scénario avance dans une direction claire. La même chose est valable pour BG1.
Ici, seule la curiosité est sensée nous pousser de l'avant, alors que la "maladie" que l'on contracte ne s'exprime d'absolument aucune manière contraignante. Aucun chasseur de prime n'est à nos trousses comme dans BG1, aucun sens d'urgence ne nous pousse (de façon artificielle certes puisqu'il n'y a pas de répercussion en jeu) comme dans BG2. Bref, aucun élément extérieur ne nous implique dans l'histoire principale. Et le pire est à venir : une fois que l'on a décidé de s'y coller pour de bon, l'histoire nous offre une réflexion sur l'animancie, nous fait choisir entre différentes factions pour terminer l'Acte 2 et... Le méchant fait avancer l'histoire sans qu'aucune action ni aucun choix de notre part n'influence quoi que ce soit. Je n'ai pas vraiment de mot pour exprimer à quel point cela m'a outré, tant c'est la négation à la fois de l'essence du jeu vidéo (nos actions influent sur le cours de l'histoire) et de celle du storytelling en général (on partage le point de vue de protagoniste, donc de personnages dont les actions sont effectivement impactantes). Quelles que soient les actions entreprises par mon personnage avant cela, c'est au final une action du méchant de l'histoire qui détermine la suite des évènements. La présence ou l'absence de mon personnage dans l'histoire ne change donc rien. Je passe sur le PNJ qui nous avoue quelques secondes plus tard travailler pour les méchants, ce qui est sensé être une révélation formidable et qui donne simplement l'impression que les devs se sont souvenus que le public avait kiffé Yoshimo mais sans vraiment comprendre pourquoi. S'ajoutent à cela les éléments random comme le fort pif gadget, le donjon sans fin et sans but, les personnages et épitaphes des backers qui se doivent d'être là mais ruinent l'immersion, et on se retrouve avec un bric-à-brac pas glorieux.
Je termine par parler un petit peu de la liberté accordée au joueur, qui je trouve est l'autre péché capital de Pillars. On sent que les dévs ont voulu laisser toute latitude au joueur pour entrer dans le monde, façon Skyrim ou encore une fois BG1. Sauf que là où Skyrim nous laisse partir explorer le monde entier à nos risques et périls, et que BG1 nous offre la même chose (à part la capitale) mais nous limite simplement par le fait que l'on va se faire dépouiller par les monstres des autres zones, Pillars segmente l'univers et nous empêche d'avancer tant que l'on a pas renoué un peu avec la quête principale. On a donc à la fois le moins d'éléments possibles qui nous relient à la quête pour nous donner un sentiment de liberté, et à la fois des barrières invisibles qui nous obligent à passer par des check points pour faire avancer les choses, ce qui fait que le jeu échoue sur les deux niveaux à la fois.
Bref. Tout ça pour dire que des RPG j'en ai saigné tellement que je ne m'intéresse quasiment plus aux combats tant ils sont systématiquement devenus des timesink plutôt que des puzzles tactiques. Ce qui m'intéresse est l'histoire, la narration et la façon dont les devs vont réussir à nous sentir acteur de premier plan d'une histoire intéressante. L'histoire de Pillars of Eternity n'est pas intéressante, et je n'ai été acteur d'aucun élément important de son déroulement (à part à la fin, j'imagine, mais je ne l'ai pas atteinte). Qu'il ait pu bénéficier d'une presse si dithyrambique me laisse profondément perplexe.
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