Il y a une énorme différence entre être élevé dans une famille bilingue, voir ses parents manier plusieurs langues au quotidien, avoir des références à différentes cultures etc et apprendre des notions d'anglais dès 3 ans à l'école et faire tout le reste en français.
Exactement, mais ça ne change strictement rien, si l'apprentissage est bien fait à l'école, comme dans les maternelles bilingues allemand de Strasbourg où j'ai bossé. Vu que c'est exactement ma spécialisation et mon boulot actuel, je vais tenter une petite explication.
Il y a plusieurs sortes de bilinguisme.
Il y a le bilinguisme primaire, celui où tes deux parents parlent 2 langues différentes et on tu vit avec les deux depuis la naissance.
Et le bilinguisme de développement secondaire. Celui où tu as une langue maternelle, et une deuxième langue que tu apprends avant 6 ans.
Le truc, c'est qu'entre les 2, il n'y a quasiment pas de différence.
Un enfant, il apprend un stock de mot, du vocabulaire qu'il colle sur une ligne syntaxique qu'il développe par la reproduction d'un modèle qu'on lui donne.
Et pour apprendre une langue étrangère différente de ta langue maternelle, la recette est simple : Plus tu l'apprends tôt, plus tu seras efficace et plus ton accent et ta perception des sons de la langue seront bons.
Un enfant jusqu'à l'âge de 5-6 ans est capable de percevoir et reproduire tous les phonèmes (les sons d'une langue) du monde.
Maintenant comment ça se passe ? C'est simple.
L'enfant a qui tu ne parles uniquement que dans sa langue maternelle, il va enregistrer, engrammer et acquérir le vocabulaire et la ligne syntaxique que tu lui donnes. A un âge donné, il possèdera de manière active un nombre de mot donné (j'ai plus les chiffres en tête).
L'enfant qui apprend 2 langues simultanément, a un âge donné, il possédera le même nombre de mot que l'enfant monolingue, sauf que les mots maîtrisés activement seront répartis de manière équitable dans les 2 langues et recouvriront ou non les mêmes concepts (il saura peut-être dire chien, mais pas encore dog, et chair, mais pas encore chaise).
Au final, en continuant dans les apprentissages, l'enfant qui apprend 2 langues simultanément possédera au final 2 fois plus de vocabulaire que l'enfant monolingue. Il aura aussi une maîtrise beaucoup plus fine de l'expression, car 2 lignes syntaxiques pour discuter, et 2 façons de pressentir les concepts abstraits (qui ne s'expriment pas du tout pareil dans les différentes langues).
Et quand il aura un souci dans une langue, il s'appuiera sur l'autre. Donc techniquement, il sera plus habile linguistiquement.
Maintenant est-ce que ça va le perturber dans ses apprentissages ?
Non.
Est-ce que cela risquerait de créer plus d'échec en français ?
Non. Au contraire. Et j'en suis assez persuadée.
Par contre, dans le cas d'un apprentissage tardif de la deuxième langue (soit après 7 ans), si la langue maternelle est déjà faible, alors oui, ça va pas l'aider. Mais ça va pas non plus plussss l'handicaper. Ni garantir que la deuxième sera faible aussi. Mais il aura beaucoup beaucoup plus de difficultés à l'acquérir et à en maîtriser les sons et les concepts fins.
La dernière chose, et la plus importante, c'est que pour mettre en place ce type d'apprentissage précoce d'une seconde langue, il faut suivre quelques règles logiques et immuables :
Il ne faut pas absolument pas que les adultes référents (enseignant la langue ou la parlant au quotidien) mélangent les langues en parlant. Ni dans la même phrase, ni dans le même temps.
Si c'est un prof à l'école, easy : matin en français, aprem en anglais. Par exemple. Mais pas un mot de français sur le temps d'anglais et inversement.
Si ce sont les parents, aussi easy : même concept. Exemple : repas en anglais, tous les jours sans exception. Ou temps du bain. Ou autre. Mais ça ne change pas. C'est régulier dans le temps, et ya pas un mot de français qui se pointe.
DE LA PART DE L'ADULTE. Et j'insiste.
Parce que l'enfant lui, va forcément, et c'est inéluctable, utiliser les 2 langues, en mettant par exemple un mot d'anglais dans une phrase française. Ce n'est pas qu'il confond, c'est ce que j'expliquais plus haut, qu'il n'a pas les mêmes concepts à sa disposition dans les 2 langues. Donc il comble ses manques dans l'une, par le vocabulaire de l'autre.
A l'adulte donc de rétablir sans gronder/corriger/reprendre/dire non, un feed back POSITIF en introduisant le mot manquant dans la langue donnée. C'est comme ça que le vocabulaire se construit.
Dans le cas de l'enfant avec un bilinguisme de développement secondaire, par exemple apprentissage de l'anglais en maternelle dès 3 ans, prenons exemple sur les établissement où j'ai bossé sur ces cas-là.
L'aprem se déroulait par exemple tout en allemand uniquement, avec un prof allemand, qui n'employait pas un mot de français. Les enfants, eux, au début, ne parlent pas l'allemand. Ils vont progressivement mettre des mots nouveaux sur des concepts qu'ils maîtrisent déjà en français, et acquérir/engrammer la nouvelle ligne syntaxique, comme on découvrirait une nouvelle portée musicale, sur une clef différente.
Au fur et à mesure, la compréhension se met en place, mais l'enfant dans un premier temps, ne s'exprime toujours pas dans la seconde langue, et ce n'est ABSOLUMENT pas grave. C'est même complètement normal, et il ne faut pas forcer les choses.
A son rythme, progressivement, le vocabulaire va se construire, la grammaire s'imprégner toute seule, et au bout de quelques temps (parfois 2-3 mois suffisent), il va se mettre à produire spontanément de petites phrases, puis de plus en plus complexes. Exactement de la même façon qu'un nouveau-né puis petit enfant développe sa langue maternelle en grandissant. Ce sera à l'adulte de l'aider à construire ses apprentissages en renvoyant un feed-back correctif comme les parents monolingues font avec le bébé : "veux bibon" "oui tu veux ton biberon, je te l'apporte".
Et progressivement, la langue se construit pour devenir fluente et aussi efficace, même si moins prégnante que la langue maternelle (tous les bilingues ont quand même une langue de prédilection, c'est le concept de langue forte/langue faible).
Et c'est faire un cadeau à l'enfant que de lui faire apprendre une seconde langue dès tout petit. Car plus il l'apprend tôt, plus il sera facile pour lui ensuite d'en apprendre d'autres.
A ce pavé, nous pouvons donc conclure :
Dans de bonnes conditions d'organisation, il est plus que recommandé pour élever le niveau de langue déplorable de la population française et faciliter ses apprentissages, d'introduire l'enseignement d'une seconde langue dès le plus jeune âge.
D'ailleurs pourquoi les pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande) sont tous parfaitement bilingues ? Parce que sans même faire des apprentissages précoces dans les écoles, la télé n'est pas doublé, hormis parfois les dessins animés pour tous-petits. A partir du moment où le programme est étranger au pays et s'adresse à un public qui sait lire, tout est en VO sous-titrée. Donc dès le plus jeune âge, ils baignent dans la syntaxe de l'anglais, et l'apprennent ainsi inconsciemment, comme ils ont appris leur propre langue maternelle.
CQFD.
Sources, parce qu'on va m'en demander, outre mes multiples formations sur la prise en charge d'enfants bilingues dans 5 universités d'Europe, et mon travail actuel orienté sur la prise en charge d'enfants anglophones primo-arrivants sur Lyon, vous aurez ce livre-là par exemple, référence en la matière :
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Dual Language Development and Disorders: A Handbook on Bilingualism and Second Language Learning" de Genesee, Paradis & Crago.
Et j'ai aussi plein d'autres articles et études (en anglais, désolée, la France est peu prolifique sur le sujet) que je peux envoyer à ceux qui le désireraient (demande en MP) au cas où... (on sait jamais, des fois que mes pavasses intéressent quelqu'un, vu qu'on n'est pas sur le bar...)
Et Timinou, je te cite autant de règles chelous d'accord et de confusions d'homophones quand tu veux. L'anglais n'a certes pas une conjugaison aussi riche que le français, mais possède déjà 44 phonèmes déjà contre 37, et je ne te parle pas du nombre de graphies contextuelles à apprendre et maîtriser pour orthographier correctement la langue de Shakespeare...