(Deux remarques : il est un peu tard, je fatigue, excusez les fautes qui pourraient m'avoir échappé. Et c'est un long message, aussi long que le message original. Mais je réponds à plusieurs personnes, et... une discussion sérieuse et argumentée, cela vaut bien l'effort d'écrire et de lire, non
? )
Bulbie, bonne idée de te pencher sur ces bouquins
Olo, tu n’as pas répondu à la question d’Haremuir, en quoi SEMCO serait différente des autres boites, pour que ce qui marche chez eux ne marche pas ailleurs ? Quand tu dis que ce modèle est valable pour certaines structures et pas généralisable, tu parles de quelle structures ?
Et 1) connais-tu le modèle soviétique, pour savoir si celui de SEMCO y ressemble ? 2) N’as-tu pas l’impression de faire un raccourci abusif et manquant de bon sens, en disant que chez SEMCO finalement cela fonctionne comme dans l’ex Union Soviétique, alors qu’à l’évidence c’est une compagnie très capitaliste ?
Je vais revenir sur ton idée selon laquelle les ouvriers travaillant à la chaine ne sont pas qualifiés pour prendre des décisions stratégiques. Mais j’attire ton attention tout de suite sur ce point, puisque tu as dit que le seul moyen est d’éviter la spécialisation :
La plupart des ouvriers sont polyvalents et changent de poste quand ils estiment que c’est plus efficace. C’est d’ailleurs un des piliers de SEMCO : tout faire pour que les gens puissent changer de postes à l’intérieur des unités ou entre les unités. La diversité permet d’entretenir l’intérêt pour le travail.
Mais j’aimerais vraiment que tu me dises objectivement en quoi SEMCO est différente des autres sociétés et donc que ce qui marche chez eux ne peux pas marcher ailleurs, parce pour l’instant tes affirmations ressemblent plus à une profession de foi qu’à une argumentation

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Revenons sur le débat du contrôle, qui, je m’avoue, m’étonne un peu. La philosophie de SEMCO est bien que les gens sont responsables, et que l’on n’a pas besoin de contrôler s’ils sont en train de bosser et font leurs horaires. SEMCO est composé de sociétés variées, aussi bien de service (donc beaucoup de cols blancs) que d’usines (donc beaucoup d’ouvriers). Il est évident que l’organisation n’est pas la même dans ces deux configurations. Pour les cols blancs, comment les contrôler ? Ils n’ont pas de bureau fixe, Ils vont dans l’immeuble du quartier qui les arrange. Par exemple un immeuble de SEMCO près du Théâtre Municipal s’ils ont prévu d’aller au théâtre sen soirée, ou alors s l’immeuble de SEMCO le plus proche de chez eux. Et beaucoup travaillent à domicile. Et cette dernière phrase ne vous fait pas faire tilt ? Le travail à domicile, même s’il n’est pas encore très répandu en France, ce n’est pas révolutionnaire, hein. Vous en avez au moins entendu parler, et cela marche bien, et pas que chez SEMCO. Et qui contrôle si les employés travaillent vraiment, quand ils sont chez eux, ou s’ils jouent à WoW ? Personne. Et alors ? Ben… Cela marche quand même, parce ces employés doivent fournir des résultats. Dans une entreprise classique, le manager vérifie ces résultats. Chez SEMCO, en plus du manager, il y a toute l’équipe qui regarde si ses objectifs sont atteints, donc un contrôle plus important du travail, comme je l’ai déjà dit. Mais pas besoin de contrôler le nombre d’heures des gens, pour cela. En fait, les gens sont considérés un peu comme des entrepreneurs : ils bossent comme ils veulent et quand ils veulent, du temps que le boulot est fait… Rien à voir avec l’esprit « je surveille la pendule pour voir à quel heure je pars » et « le chef passe voir si tout le monde est bien là en train de bosser »… Et moi je préfère, tiens.
Pour les ouvriers, c’est un peu différent. Ils ont des horaires libres, mais comme il s’agit d’unités de production, ils sont quand obligés de s’organiser entre eux, pour que toute la production fonctionne de A à Z. De plus, ils sont obligés de venir bosser là où il y les équipements. Mais là aussi, si vous creusez sur Internet, vous allez avoir des surprises. Dans un reportage (en anglais) un journaliste passe avec un manager, l’après-midi, dans un atelier. Toutes les machines sont éteintes, il n’y a personne. Les employés ont collectivement décidé de prendre leur après-midi. Après tout, ils se sont suffisamment bien organisés pour atteindre leur objectifs de production, ce qu’ils devaient faire a été fait, alors, pourquoi pas ? (Ils auraient dû rester à produire plus ? Peut-on dire cela sans connaitre la politique de gestion des stocks de l’entreprise ?)
Hellraise, ta critique est très intéressante, et oui, je pense que l’on peut se poser des questions quant à la capacité des gens à faire des bons choix dans la vie. Cela va loin. Par exemple, des gens fument alors qu’ils savent que c’est mauvais pour eux, pour les autres et pour les finances du pays. Devrait-on pour autant leur retirer le droit de vote ? Ce serait stupide. De même, certes, pas tout le monde est qualifié pour comprendre certains enjeux, pour prendre certaines décisions. Je dirais que l’on peut aller dans la bonne direction si on informe et forme les gens, comme chez SEMCO. Mais je voudrais quand même préciser quelque chose. Relisez mon message initial, au besoin. Beaucoup de mécanismes démocratiques ont été mis en place chez SEMCO. Mais il ne s’agit pas d’autogestion (ce qui pour le coup serait très socialiste), l’entreprise n’est pas possédée par les salariés. Il ne s’agit même pas de cogestion au sens strict, où en quelque sorte il y aurait des managers élus par les salariés en même temps que les managers de la direction (cela a été le cas uniquement durant la crise).
Il y a toujours un boss, dans chaque compagnie du groupe. Il y a toujours des managers. Bon, rien à voir avec une structure pyramidale, il n’y qu’un échelon entre l’employé de base et le DG… mais les managers font leur boulot de managers, les financiers leur boulot de financier, les ingénieurs leur boulot d’ingénieurs, etc.
Quelle différence, alors ? A part les deux niveaux de hiérarchie, bien sûr… Et bien par exemple le processus d’embauche et les évaluations des chefs par les employés. Je suppose que tu seras d’accord avec moi pour dire et que toi et tes collègues financiers, vous êtes assez qualifié pour avoir si votre chef est un bon leader ou pas, non ? Cela rejoint ce que tu dis sur le fait que dans un centre de compétences, les décisions peuvent être prises démocratiquement.
Alors oui, il reste les comités. Effectivement, ils représentent tout le personnel et n’ont pas de compétences particulières. Pourtant, c’est un peu comme quand on fait de la politique, en France. Il y a des questions complexes sur lesquelles on vote. Soit directement, par référendum, soit indirectement : des gens nous expliquent les problématiques, les solutions qu’ils pensent les meilleures, et on vote pour ceux qui nous ont convaincus. Tes critiques, « je me refuse de voir une entreprise devenir un concours de beauté à qui sera le plus charismatique à convaincre que tel investissement est mieux que tel autre. » sont applicables à la démocratie dans notre pays. Personnellement (que je rôtisse dans l’Agora pour dire cela) je pense que la France est gérée par un président qui n’a pour lui que son charisme et la façon dont il embobiné les Français. Je ne vais pas rejeter la démocratie pour cela. Et je crois qu’en entreprise, on peut faire pareil. Si les gens sont bien informés, s’ils ont toutes les billes en main, alors ils peuvent choisir. Cela ne veut pas dire que tous leurs choix sont bons. Ricardo Semler a vu certaines de ses propositions rejetées. Et tu sais quoi ? Il était persuadé qu’elles étaient bonnes

! Il fait quand même confiance à ces processus démocratiques, et pour l’instant, les faits lui donnent raison : SEMCO marche bien. C’est sans doute parce qu’en entreprise, tout le monde dispose d’informations objectives, il est plus facile de se décider sur des bases rationnelles. Je crois que cela fait une différence. Et les comités sont consultés, sont appelés à voter sur certains projets, mais ils ne gèrent pas l’entreprise (cela répond aux critiques d’Olo, qui craint un système communiste). En fait, la où les gens ont le plus de pouvoir c’est effectivement dans leur cercle de travail, dans leur centre de compétences, comme tu dis.
M’enfin, comme ce message va être très long, je n’ai pas la place ici de développer un des points du livre de Semler, qui démontre que des décisions complexes sont rapidement prise en CA… parce que les membres du CA n’ont pas vraiment les compétences suffisantes pour tout comprendre et tout discuter

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Et comment va-t-on tester en appliquant cela à un plus grand nombre d’entreprises, si des gens comme toi trouvent de bonnes raisons pour refuser

?
Jyharl, je ne trouve pas tes arguments pertinents, aussi je ne vais pas y répondre.
Just kidding

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D’abord, en ce qui concerne le Brésil, « aucun n’a envie de se faire licencier, c’est marche ou crève », je te propose de lire les livres cités. Dans un des me messages plus haut, tu verras qu’en pleine crise, des employés ont choisi les licenciements. Ensuite, que le turn-over soit très faible chez SEMCO, cela ne signifie pas qu’il le soit aussi dans les autres entreprises brésiliennes, ni que personne ne quitte SEMCO, que ce soit par départ volontaire ou par licenciement.
J’ai du mal m’exprimer ou tu as mal compris, il n’y pas de groupes d’employés qui s’occupent des branleurs. Relis mon explication sur le contrôle, plus haut.
Ta remarque sur les 35 heures et le travail du dimanche est intéressante. Perso, je suis pour les 35 heures. Je n’ai pas d’opinion précise sur le travail du dimanche. Mais j’ai une opinion sur ce qui se passe souvent dans les entreprises françaises : les employés, bien que « principale ressource de l’entreprise » ne sont qu’une variable d’ajustement parmi d’autres. Le management habituel des entreprises me fait penser à juste une lutte ou les rapports de force mènent la danse. C’est marche ou crève, pour reprendre ton expression. Alors, dans ce cadre-là, je ne vois que la loi, pour protéger les plus faibles, c'est-à-dire les salariés. Avec les règlements sur les heures, le travail sur dimanche, etc. J’ai peut-être tort de voir les choses ainsi, hein, mais cela reste la réalité de millions de gens.
Par contre… Si je suis indépendant (je l’ai été), je ne soupçonne pas le patron de vouloir m’enculer. Je suis mon propre patron. Et là tu sais quoi ? Je n’ai pas d’objections à faire 20 heures ou 70 heures par semaine, selon l’activité. Je suis assez grand pour comprendre et prendre mes décisions, pas besoin de règlements.
Là où je veux en venir, c’est que si je bosse dans une entreprise qui me respecte vraiment, qui prend en compte mon avis, qui partage l’information, qui est honnête, et que je comprends vraiment bien que l’intérêt de l’entreprise et le mien sont liés, par exemple à travers une juste répartition des bénéfices… Tu sais quoi ? Au diable les 35 heures et les règlements. Ce serait comme si j’étais indépendant. Et c’est cela, la philosophie de Semler. The Seven Day Week End, ce n’est pas pour dire que les gens ne foutent rien ou bossent tout le temps. C’est pour dire que l’ancienne façon de compter les heures est dépassée, que les gens peuvent bosser le dimanche et aller à la plage un jour dans la semaine, s’ils le désirent. Ils savent qu’ils ont un travail à faire, à eux de s’organiser. Je résume mon point en disant que la mentalité des employés français pourrait changer, s’ils bossaient dans ce genre d’entreprise.
Venons-en au cœur du problème. Tu dis « Démocratiser le jugement de ses supérieurs est suicidaire pour la bonne marche de l'entreprise. Tu ne peux pas demander à des groupes d'êtres humains subalternes d'être rationnels ». C’est ton avis, ok. Tu peux m’expliquer pourquoi cela marche, chez SEMCO ? Les Brésiliens sont des Spocks, tout le temps rationnels ? Parce que je te rappelle que je ne me contente pas, dans ce sujet, de donner une opinion, comme tu le fais, mais je donne une opinion étayée par des faits.
Et heu… Ta phrase me donne la désagréable impression qu’il y a deux sortes d’êtres humains. Les « supérieurs », qui sont « rationnel » (on se demande pourquoi) et les « humains subalternes » qui eux, n’ont même pas la possibilité d’être rationnels. Un peu comme les femmes à une certaine époque, quoi, elles ne pouvaient pas voter, c’est pas rationnel, ces choses-là.
« Un chef peut parfaitement exécuter son boulot mais être dans l'obligation de prendre une décision très impopulaire et hop, son appréciation chutera d'autant. » Il y a plusieurs choses, là. Oui, on peut supposer qu’il ait raison contre tous et que son appréciation chute. Mais – en supposant bien sûr que les subalternes soient informés et rationnels – ils peuvent peut-être comprendre qu’il y une décision désagréable à prendre, et du coup ne pas s’en prendre au chef ? Le but du processus d’évaluation des chefs n’a pas pour but de saper leur autorité ou de ne garder que des chefs qui se font aimer. Le but est d’avoir des leaders qui sont accepté à la fois pour leur expertise technique et leurs qualités de leadership. Et dans les deux livres, on voit qu’aussi bien dans les phases de recrutement par les futurs « subalternes » que dans les évaluations, les gens comprennent où est l’intérêt de l’entreprise, et du coup le leur. Tu sous-estimes les gens, je pense. Et beaucoup de gens sont comme toi : avec un chef nul qu’ils n’estiment pas, ils travaillent mal.
Tu dis « je suis fortement opposé à la démocratie d'entreprise. Un créateur d'entreprise a une "Vision" et fait ce qu'il peut pour la mettre en œuvre. » Pourquoi pas. Après, la question est quelle vision et va-t-il réussir à la mette en œuvre ? Combien de temps son entreprise va tenir, va-t-elle s’adapter à un monde qui change vite ? Va-t-il pouvoir réaliser sa vision en traitant ses employés comme des soldats payés pour exécuter pendant que lui réfléchi ? Possible, mais ce n’est pas la vision de Semler, ni pour le coup, la mienne. Pour lui, la vision d’un homme seul, en haut de la pyramide du pouvoir, c’est quelque chose qui explique pourquoi de grosses boites ne se sont pas adaptées à temps. Lui a fait en sorte que son entreprise tourne sans lui, il n’a qu’une voix parmi les autres (il a créé une structure symbolisée par un cercle, que je ne détaillerai pas ici). Mais en faisant cela, il a bel et bien réalisé une vision. Celle d’une compagnie où les gens sont heureux de bosser, ou l’intelligence collective assure une adaptation et une créativité sans équivalent, et qui fait, en plus, du bénéfice… Tu vois, il y a deux perspectives. Tu te vois comme le créateur d’entreprise. Dans ce cas, suis ta vision, Jyharl, crée une pyramide. Perso, si je me vois comme créateur d’entreprise, je préfère la vision de Semler. Et si on prend, ce qui est plus réaliste pour nous deux, la perspective de l’employé… ok, j’ai bien compris, tu préfères être dans la pyramide, et ne pas pouvoir évaluer ton chef. Moi, aucun doute, je préfère être une sorte d’employé auto entrepreneur et bosser dans un cercle à la Semler.
Quand tu parles de secret et que tu demandes « Le secret d'entreprise, le secret des procédures, le secret des futurs projets, des fusion-acquisitions, etc ? As-tu réfléchis une seule seconde aux effets qu'engendreraient une totale ouverte de ce genre d'intel ? » ce sont de bonnes questions. Je suppose que quand même certaines informations ne peuvent pas être divulguées. Les sociétés de Ricardo Semler sont toutes caractérisées par la complexité des problèmes auxquelles elles proposent leurs solutions.
L’opinion de Ricardo Semler, en page 122 de « The Seven Day Week-End » est que l’opinion très répandue selon laquelle les concurrents pourraient profiter de l’information n’es pas assez convaincante ; si je résume, la circulation du flot de l’information a plus d’avantages que d’inconvénients. À ce point, il est peut-être utile de rappeler que le groupe SEMCO fait affaire avec des multinationales et sur des produits complexes. Ce n’est pas l’épicerie du coin pour laquelle on pourrait supposer que l’information n’a pas d’importance.
Tu m’excuseras de ne pas répondre sur tes critiques sur la façon dont ils font des réunions mais ce message est assez long comme cela. Je dirais juste que si tu en savais plus sur leurs façons de faire leurs réunions, tu serais fou

. Cela dit, je rappelle que leur « organisation » fonctionne bien et donne des résultats.
Il y a encore des choses vraiment étonnantes à découvrir à propos des idées de Semler et de SEMCO. Je vous laisse avec Google, vous serez surpris

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