Je suis assez stupéfait par pas mal de réponses. Selon pas mal d'entre vous, en gros c'était pas bien grave d'être raciste dans les années 30 sous prétexte que beaucoup de gens à l'époque l'étaient??? Le contexte ou la pensée banalisée d'une époque ne peuvent en aucun cas justifier, excuser ou minimiser certains propos!C'est quoi ces propos bidons?
Le racisme est à condamner sous toutes ses formes, en tous lieux et toutes époques. Pareil pour la vision colonialiste.
Ca veut dire quoi concrètement ça ? Je veux dire : quelle traduction concrète tu donnes à cette affirmation ?
Comment juger (et surtout, condamner) une époque sans chercher à la comprendre ?
Le racisme ? La belle affaire... Ca fait si peu de temps qu'on estime que c'est un tort ou une idée à combattre. Ca ne le rend pas meilleur ou plus acceptable, bien entendu. Ca veut juste dire que c'est une histoire de norme et d'époque.
Au XVIème siècle, Sepulveda affirme l'infériorité des Indiens sur les Européens, parce que leur mode de vie est différent du nôtre. Dans le Nouveau Monde, pas de villes (ce qui est faux d'ailleurs), pas d'art (c'est aussi faux), pas de technique moderne (toujours faux). Il en déduit que la conquête européenne du Nouveau Monde a été voulue par Dieu, parce que très peu d'hommes se sont emparés d'immenses empires, en soumettant des peuples entiers à leur autorité en un temps record. Sa vision n'est pas raciste : il prend acte d'une conquête, et il tente de l'expliquer (en en faisant une interprétation fausse), pour finalement affirmer que c'est Dieu lui- même qui autorise un état de fait (la conquête du Nouveau Monde). Cependant, cette vision fonde un racisme qui sera reprit au XVIème siècle : en définitive, si une conquête si formidable a été possible, c'est certes que Dieu l'a voulu, mais aussi parce que les Européens étaient supérieurs aux Indiens (ce qui ne suppose qu'ils étaient inférieurs par nature). Mais ils n'étaient pas supérieurs par leur "race" leur "sang" leurs "gènes", mais parce que Dieu marchait avec eux, et que leur mode de vie leur donnait une supériorité technique sur les autres. Sepulveda raciste ? A première vue, oui. Mais ça supposerait qu'il connaissait des concepts qui ne sont apparus que des siècles après, ce qui ne tient pas, ou du moins, qui fait débat. J'ai envie de dire que Sepulveda n'était pas raciste, mais reprenait au XVIème siècle une vision que les Grecs et les Romains pouvaient avoir de ceux qu'ils qualifiaient de "barbares" (et difficile de parler de "racisme" dans un empire aussi cosmopolite et religieusement ouvert que l'empire romain).
Au XIXème siècle, on retrouve les mêmes schémas, dans des contextes différents : quelques petits groupes d' "aventuriers" s'emparent d'immenses territoires, notamment grâce à leur supériorité technique (fusil à tir rapide, discipline de fer des armées engagées, premières utilisations de la mitrailleuse, artillerie de campagne...), en battant des troupes très supérieures en nombre. On en conclut à la supériorité de l'Europe, et on entend donner à l'Europe une mission mondiale. Là encore, c'est une question d'interprétation des faits à une époque donnée.
Le discours de Jules Ferry est de ce point de vue célèbre. Mais est- ce à dire que ce discours est raciste ? Je n'en suis franchement pas certain. Il parle des "droits des races supérieures", certes, mais il ne parle pas d'une infériorité de nature des autres peuples, et, officiellement du moins, il y a une "générosité" de l'Europe vers les autres peuples du monde (la fameuse "mission civilisatrice", qui est tout de même une dimension essentielle du colonialisme, et qui n'est pas conçu à la base comme un élément de domination pur et simple. C'est l'expression d'une Europe dominatrice, sûre d'elle- même, de ses valeurs, confiante en son avenir, certaine de son bon droit, convaincue de sa supériorité technique, culturelle et morale). Et dans le fond, c'est un raisonnement très "antique" : la victoire est en elle- même une raison suffisante, il s'agit juste de lui donner une cause (la supériorité de l'Europe), et d'établir des conséquences (la conquête coloniale).
En revanche, les idées nées du détournement des théories de Darwin sont, elles, authentiquement racistes, car elles supposent une hiérarchie claire des dominants et des dominés, et affirment la suprématie des blancs sur tous les autres peuples (Arthur de Gobineau est de ce point de vue fondateur, par son
Essai sur l'inégalité des races humaines (1855), dans lequel il affirme qu'aucune civilisation réelle ne peut naître sans l'initiative d'un peuples de "race blanche"). Elles donnent d'ailleurs naissance à l'antisémitisme contemporain, en faisant des juifs une "race", et en transformant l'anti- judaïsme médiéval en antisémitisme. Les Juifs ne sont plus ceux qui ont tué le Christ, ils deviennent une "race" non assimilable par les Etats- Nations qui se créés et dominent en Europe, la diaspora étant vue alors comme un élément d'identité nationale trouble et forcément louche, dans ce siècle du consensus national triomphant. En gros, on ne sait pas quelle place leur donner (alors que des officiers juifs comme Dreyfus ne se posent même pas la question, et partagent entièrement le nationalisme français et revanchard de la fin du XIXème siècle par exemple) dans le nouveau cadre national. C'est de cette interprétation de Darwin et de l'idée nationale que le nazisme va puiser les fondements de son idéologie, qui est probablement le modèle le plus aboutit du racisme et de l'antisémitisme contemporains.
Il faut donc se méfier quand on parle de racisme à tout bout de champ. En définitive, un texte raciste ne peut véritablement l'être que quand les motivations le sont aussi. Hergé raciste ? Peut- être (très franchement, je n'en sais strictement rien). Pour pouvoir l'affirmer, il faudrait que j'ai des preuves concrètes et irréfutables qu'il était convaincu de la justesse des thèses racistes, et qu'il voulait les démontrer leur pertinence par l'une de ses oeuvres. Ce que je ne ressens pas nécessairement quand je lis
Tintin au Congo (même si je peux y voir certaines choses, je ne suis pas convaincu en le lisant que je lis une oeuvre authentiquement "raciste", qui a pour vocation de démontrer la supériorité des blancs sur les autres, en l'occurrence les noirs, quand bien même les représentations des noirs sont discutables).
Il faut surtout et avant tout se méfier de certaines relectures de l'Histoire par des groupes de pression actuels, qui cherchent rien moins que d'imposer LEUR lecture de l'Histoire. Je me fous de savoir les motivations de cet étudiant congolais. Est- il convaincu de son bon droit ? Oui, probablement, et je ne remets pas ses convictions en cause. Mais je constate que ce monsieur porte un jugement de valeur, et que les faits historiques ne vont pas dans son sens (du moins pas systématiquement, ce qui provoque donc un débat), et qu'il entend imposer par la loi et la sanction une lecture de l'Histoire. Si on censure cet ouvrage, si on donne raison à ce monsieur, on prend alors le risque de dire qu'il y a une "bonne" et une "mauvaise" histoire, une histoire conforme aux anachronismes actuels (fondés sur l'ignorance de l'Histoire...), et une autre qui serait fausse ou condamnable a priori. Et cela, de mon point de vue, est parfaitement inacceptable et doit être combattu.
On peut ne pas me comprendre, ou ne pas partager mon point de vue. Mais enfin, si j'ai bien lu l'article de libé, tout cela repose sur la perception que cet homme a de cette oeuvre de Hergé, et non pas sur des faits tangibles universellement reconnus. D'autant que les faits connus ne vont pas dans le sens de l'accusation. Va- t- on réécrire l'Histoire parce qu'une personne s'est sentie agressée par une oeuvre de Hergé ? Va- t- on imposer le racisme comme unique clés de lecture de l'Histoire, et va- t- on faire de la mémoire l'unique horizon de notre rapport au passé, à la connaissance du passé et à sa transmission ?
Autant jeter de suite son cerveau aux orties.
On a eu notre époque d'historiens marxistes, souvent de renom, qui ont appliqué à différentes époques des concepts tirés de Marx, et fondés sur une lecture erronée de l'Histoire (la lutte des classes). Ca a donné en finale une mauvaise historiographie (en ce sens qu'elle ne cherchait dans l'Histoire que la confirmation que ce qu'elle cherchait était bien vrai - ce qui est le contraire même des principes de la recherche historique - et en condamnant ceux qui ne partageaient pas ce point de vue). Va- t- on aujourd'hui refaire de même avec le colonialisme, l'esclavage et le racisme ? Va- t- on relire chaque époque en voulant y traquer toutes les traces de racisme, pour en conclure que oui, ces époques étaient racistes, et qu'il convient aujourd'hui de bien les condamner publiquement ? Jusqu'où va- t- on aller dans le communautarisme et l'éclatement des identités, qui adoptent des postures victimaires et cherchent dans l'Histoire une légitimité pour des revendications politiques actuelles ?
Qu'on médite un peu plus les propos de Frantz Fanon (
Peaux Noires, Masques Blancs, 1952):
"
Je ne me fais l'homme d'aucun passé. Je ne veux pas chanter le passé aux dépends de mon présent et de mon avenir...
N'ai- je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu'à venger les noirs du XVIIIème siècle ?
Vais- je demander à l'homme blanc d'aujourd'hui d'être responsable des négriers du XVIIIème siècle ?
Il n'y a pas de mission nègre, il n'y a pas de fardeau blanc."