Je jouais à la mère célibataire.
Près de la maison un ruisseau, je construisais un abris dans un arbre, je planquais ma poupée/fille dedans pour éviter que les ours ne la mangent. Je faisais des galettes de boue pour les repas, je vivais du commerce. Au début des légumes et des remèdes. Plus tard, accompagnant les prémices de la puberté, je changeais de métier et devenais prostituée. Ma poupée/fille avait toujours le même age, perchée dans son arbre.
Je jouais aussi très souvent avec un
playmobile enfant unijambiste et un petit modèle d'éléphanteau de la même marque.
Toujours dans le ruisseau.
Le même schéma de départ mais une fin toujours différente à mes histoires. Les pauvres s'étaient échappés du cirque, mené par une sorte de grand gitan vilain, très proche de marionnettiste dans Pinochio.
J'avais des jouets, mais je ne jouais qu'avec trois ou quatre d'entre eux.
Pas de console.
Et la télévision uniquement le mercredi matin chez mes grands-parents.
Tous les soirs en rentrant de l'école, ma mère me déposait près de la ferme de mes voisins, pour les aider à rentrer les vaches. J'adorais ça, filer des coups de bâton sur le cul quand elles s'arrêtent pour manger de l'herbe dans le fossé. Essayer de les différencier, leur donner des noms. L'odeur de la merde, de la paille et du lait dans l'étable. Les petits veaux qu'on peut prendre dans ses bras.
Je rentrais deux heures plus tard, le nez et les joues rouges. Des oeufs ou une tartine de pain dans la poche. Parfois je m'amusais à toucher les clôtures électriques. J'aimais bien cette sensation, une sorte de grande vague désagréable, étrange mais tellement attirante.
J'ai eu une période ou je mangeais des vers de terre pour prouver à mes camarades d'école que j'en avais dans le pantalon.
A l'école, c'était la mode de la série "Hélène et les garçons". Les filles jouaient sous le préau : toi tu seras Hélène, moi Linda et toi.. Quand je jouais on me refilait le rôle de l'américaine farfelue ou du chien. Je détestais cette série. Tout le monde dans la classe avait son album panini, j'ai résisté jusqu'au bout.
Les jeux de filles, j'ai très vite abandonné.
Je jouais aux billes et au foot.
J'étais gardien.
Quand vers l'age de 12 ans je me suis rendue compte que je ne pouvais plus jouer. Que je n'avais plus la capacité de rentrer dans mes histoires. Que l'envie était là, toujours, très forte de jouer. Mais que je n'y arrivais plus..
J'étais très en colère contre moi même.