Publié par Bleys d'Ambre
Je me plains pas, je demande si c'est légal.
Avant que le fil ne sombre définitivement dans la foire d'empoigne et qu'il ne soit fermé, je vais essayer de répondre à la question de départ. Je demande l'indulgence par avance pour ce que je vais écrire : pour avoir quelques connaissances juridiques, je n'écris pas ici dans mon champ de spécialité.
La question s'insère dans le contexte plus général du commerçant qui pratique des prix discriminatoires. On peut regrouper ces pratiques en trois grandes catégories :
- la première, discrimination au cas par cas, c'est celle qui consiste à demander un prix au client correspondant au maximum de ce que le commerçant pense pouvoir obtenir de lui.
C'est le cas du plombier, par exemple, qui demande un certain montant pour réparer une canalisation qui fuit. Mais qui ne va pas hésiter à demander un montant exorbitant à la riche veuve pas dégourdie de ses dix doigts chez qui il doit faire la même réparation, car il sait qu'il sera payé sans discussion.
Le droit français n'aime pas trop ce type de discriminations, même si le dispositif mis en place pour lutter contre est vraiment perfectible (pour l'essentiel, il s'agit d'une obligation d'information préalable, permettant la mise en concurrence, prévue à l'article L. 113-3 du Code de la consommation).
- la deuxième, consiste à pratiquer des prix différents en lien avec une différence de produits, même si la différence entre les produits ne justifie pas toute la différence de prix.
C'est le cas, par exemple, des premières et secondes classes dans un train. Le service de base offert à chaque client est strictement le même : amener la personne d'un point A à un point B. Simplement, la compagnie de trains sait bien que certains de ses clients sont prêts à payer plus cher que d'autres pour obtenir le même service de base. Au prix de quelques éléments supplémentaires, de confort par exemple, la compagnie peut obtenir des sommes plus importantes de certains clients, pour un service de base similaire.
Comme la différence (importante) de prix correspond à une différence de produit (même minime), c'est le type de discrimination qui est en général le mieux accepté et qui de ce fait, et sauf erreur de ma part, n'est pas directement encadré par le droit (sauf le problème des contraintes juridiques de qualité et de sécurité, afin d'éviter les produits de merde à destination de ceux qui recherchent le prix avant tout pour un produit donné).
- la troisième, c'est celle qui consiste à lier son prix en fonction de certaines catégories de clients, dont on suppose que leur propension à payer le même produit est plus ou moins forte.
Beaucoup sur ce fil s'insurgent pour des exemples de prix moins élevés pour les femmes. C'est humain, la plupart n'envisage jamais son problème que de son point de vue : et, sur un forum où les membres sont majoritairement masculins, cela n'a rien d'étonnant. Maintenant, qui s'étonne des cas de tarifs moins chers pour les étudiants, qui sont un exemple de discrimination fondé exactement sur la même logique ?
Par principe, ce type de distinction est licite en droit français. Si, dans le cas du salon de l'érotisme, l'exploitant pratique des prix moins élevés pour les femmes, c'est parce qu'il pense (à tort ou à raison, c'est un débat sur lequel je ne veux pas m'engager) que ces dernières sont moins intéressées que les hommes par ses produits. C'est la même logique derrière la distinction tarifaire homme/femme pour certaines boîtes de nuit. A l'inverse, et dans l'autre sens, il existe des écoles de danse qui pratiquent la gratuité pour les hommes, et des prix exorbitants pour les femmes, uniquement afin de maintenir un équilibre dans le nombre de représentant de chaque sexe parmi les élèves.
Ce qui est sanctionné, s'agissant des discriminations en matières de vente et de prestation de service, ce n'est pas la différence de prix (ou alors des différences de prix telles que cela revient à un refus de vente ou de service), c'est le refus de vente ou de prestation fondé sur des critères discriminatoires. Je cite les articles L. 225-1 à 225-3 du Code pénal qui constituent le noeud de la matière :
Article 225-1
Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des moeurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.
Article 225-2
La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende lorsqu'elle consiste :
1º A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ;
2º A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ;
3º A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;
4º A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ;
5º A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ;
6º A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2º de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.
Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1º est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende.
Article 225-3
Les dispositions de l'article précédent ne sont pas applicables :
1º Aux discriminations fondées sur l'état de santé, lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité. Toutefois, ces discriminations sont punies des peines prévues à l'article précédent lorsqu'elles se fondent sur la prise en compte de tests génétiques prédictifs ayant pour objet une maladie qui n'est pas encore déclarée ou une prédisposition génétique à une maladie ;
2º Aux discriminations fondées sur l'état de santé ou le handicap, lorsqu'elles consistent en un refus d'embauche ou un licenciement fondé sur l'inaptitude médicalement constatée soit dans le cadre du titre IV du livre II du code du travail, soit dans le cadre des lois portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique ;
3º Aux discriminations fondées, en matière d'embauche, sur le sexe lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue, conformément aux dispositions du code du travail ou aux lois portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique, la condition déterminante de l'exercice d'un emploi ou d'une activité professionnelle.
La personne qui se fait refouler à l'entrée de la boîte de nuit à cause de son faciès ou de sa couleur de peau, et pour cette unique raison, c'est un exemple de discrimination.
Le tarif préférentiel pour les femmes dans le cas de l'exemple de départ, c'est un exemple de discrimination par les prix qui reste licite, au même titre que le billet de train moins cher pour l'étudiant, les familles nombreuses ou les personnes âgées.
La différence de prix selon que la personne a les cheveux roux ou pas, c'est un
What if ? purement théorique : comme je ne vois pas de produit pour lesquels les roux auraient une propension à payer plus ou moins élevée que les autres, je ne connais pas de commerçant qui pourraient mettre en place une telle différence de tarifs ou de prix.
Sinon, l'autre disposition de droit positif fondamentale en la matière est l'article 1 du protocole 12 de la Convention européenne des droits de l'home, qui dispose que :
Article 1 – Interdiction générale de la discrimination
1 La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans
discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la
couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres
opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
2 Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité
publique quelle qu’elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés
au paragraphe 1.
Seulement, ce dernier texte ne s'applique pas au problème de départ. Ici la discrimination ne trouve pas son fondement dans la Loi (au sens large) : si c'était le cas, elle serait prohibée. Il s'agit seulement d'une différence de tarif pratiquée par des agents privés : tant qu'elle ne va pas jusqu'au refus discriminatoire de vente ou de service, elle est licite.
Voilà. Pour le reste, je trouve navrantes, pour ne pas dire plus, les contributions de ceux qui ont déplacé le fil sur le problème des rapports entre les hommes et les femmes : d'une part, car il s'agit souvent que du rappel sans nuances de stéréotypes sans intérêt ; d'autre part, car cela n'a rien à voir avec le problème de départ.
P. S. pour moi-même : c'est cool finalement de redémarrer avec un nouveau compte. Finie l'absence d'évolution, coincé au statut d'alpha et d'oméga : me voilà déjà conteur.