Oh, moi, je lis ; et puis j'ai une dissertation sur "L'autorité est-elle une espèce du pouvoir ?" à rendre pour mardi, alors je préfère me taire.
N'empêche... (Je suis là, je vais pas me priver.

)
Je pensais que Platon avait fait taire Thrasymaque dans la
République ; apparemment, il faut s'y reprendre à plusieurs fois. Il y a un peu mieux que le ring ou le haussement de ton pour marquer ses idées, il y a plus efficace que d'afficher des gros concepts violents dont on ne sait trop au juste ce que leur invocation renferme. Je dis ça, je dis rien, mais "volonté de puissance", "logique", tout cela n'est pas si clair pour un pauvre étudiant comme moi. Quelle parenté entre la "logique transcendantale" de la
Critique et les logiciens actuels ? Entre la logique phénoménologique husserlienne et wittgensteinienne ? Je ne sais pas trop... J'ai étudié grâce à mon professeur l'an passé, les parentés et les controverses entre
De la certitude et les
Méditations métaphysiques, respectivement de Wittgenstein et de Descartes. Et Cavell a je crois bien montré combien les
Recherches philosophiques du même autrichien étaient finalement très kantienne ; et puis tiens, je les rouvre ses recherches, et je tombe sur le passage sur le livre et la lecture... mon Dieu, je me croirais dans les
Recherches logiques de Husserl.
Cela ne va pas tout ça ! Où sont les écoles, où sont les oppositions ? Et pourquoi ce con de Nietzsche qu'on semble opposer si violemment à Kant dit-il achever la critique ? Et pourquoi parle-t-il de ce vieux fou de Socrate en permanence, s'il en est si opposé - au point d'écrire une introduction aux dialogues de Platon ?
Et la volonté de puissance dans les critiques kantiennes... Oui, pourquoi pas. C'est comme voir le deuleuzisme dans les commentaires de Nietzsche, c'est arbitraire et court. Parce que la Critique est un travail préliminaire à une métaphysique future voulant se constituer en science rigoureuse, c'est-à-dire la Métaphysique des Mœurs.
La révolte, la révolte... Mais quoi, se révolter, c'est affirmer sa volonté d'être reconnu ? Ou bien d'être reconnu par un autre du point de vue d'une valeur que nous avons en commun ?
Et quand je sens la révolte sourdre en moi face à une injustice, que veux-je reconnaître, que veux-je, ou qui veux-je ? Cette mère lasse et exaspérée qui frappe son enfant me révolte ? Qui suis-je pour arriver avec mes vingt piges et mes idées pour lui dire que la violence est un défaut d'autorité et une défaite de sa parentalité ?
décidément, tout cela ne va pas.
Je ne suis décidément pas philosophe pour deux sous.
Peut-être savoir est-ce savoir que l'on ne sait rien, ou tout du moins le feindre en permanence, je ne sais pas. L'ironie socratique, le philosophe rieur, c'est peut-être cela. Thrasymaque est un connard, je ne vois pas d'autre mot, il ne comprend rien ; Calliclès comprend, lui, au moins, ce serait peut-être Socrate qui ne comprend pas tout dans ce dialogue, ou Calliclès qui n'arrive pas à dépétrer ses idées avec assez de logique (kof - c'est-à-dire dans le logos, c'est-à-dire autre part que dans les limbes prophétiques ou mythiques ou encore poétiques (Parménide, te voici !), c'est-à-dire encore de manière imparfaite, car un savoir assuré n'aurait plus besoin d'être dépétré, il serait même absolu, et on pourrait même l'appeler Esprit, si vous voulez). Et pourtant j'aime beaucoup Calliclès ; mais Socrate est plus philosophe que Calliclès, quoique le considérant comme son égal ; il faut s'appeler Nietzsche pour défendre Calliclès.
(C'est formidable tous ces noms qui fusent comme autant d'arguments d'autorité ou d'exemples.)
Redescente sur Terre, somme toute, les cimes de la contemplation ça va bien cinq minutes, mais je n'ai aucune envie de devenir fou.
L'amitié stellaire de l'allemand moustachu est loin d'être anodine ; certes l'Humanité a évolué, certes il m'est avis que le monde contemporain a des questions à se poser que Platon n'avait pas, mais si je lis toujours Platon, c'est bien qu'il fait écho en moi de manière authentique. "Newton ou un autre..." dit Kant à propos des sciences ; Newton n'a rien inventé, il a découvert ce qui était donc recouvert, latent.
(Je place un peu de génie dans le verbe du philosophe, allez savoir pourquoi. Le philosophe, le politique, l'artiste, triade éternelle.)
Le principe de la philosophie est au contraire d'affirmer, que je sache ; que je sache, la Critique est préalable à la métaphysique, la pensée de Nietzsche se veut affirmative, jouissance et joie, la dialectique aporétique ça va bien au début, mais je préfère le
Sophiste. Et comme le disait Nietzsche dans sa première intempestive (juré, je ne suis pas nietzschéen, en plus), je ne juge un philosophe que sur la vie qu'il a mené ; débrouiller ses idées par la dialectique, voire arriver à les assurer totalement par le savoir, tout ceci n'est qu'une affirmation à la vie, à vivre : Platon tente d'introduire sa politéïa en Sicile, Kant vivra toute sa vie conformément à sa philosophie, Husserl aussi. Heidegger n'a pas réussi à débrouiller son éthique : quelle vie voulez-vous mener, M. Heidegger ? Et il s'est planté.
Petite biffure au passage : tout dogmatisme, en tant qu'il reprend et n'affirme rien, participe donc d'une volonté de néant notable.
Alors oui, la philosophie me fait vivre. Elle ne m'habille pas - à moins d'être sceptique, mais là il fait un peu froid -, ne me fait pas manger, mais elle me fait vivre.
Tout simplement parce que la mort arrive toujours trop tôt ; je n'aurais jamais le temps de faire tout ce que j'aurais pu faire si j'avais été immortel (pardonne-moi Aristote, mais l'entéléchie et la téléologie me font vomir). Si je ne puis pas jouer sur la quantité, et étant passablement insatisfait face à mon impéritie à agir en fonction du devoir, en fonction de la justice, d'une droiture qu'il me semble mal aisé à définir dans sa totalité mais que les tâtonnements de l'action peuvent arriver à démêler.
Si l'être humain est justement ce être pour qui, comme tout être vivant, la mort est en-soi, mais aussi pour-soi (quoiqu'en dise Epicure, je sais que la mort va arriver, même si elle n'est pas là, elle est là, en puissance, pour moi), alors la philosophie est bien une activité singulièrement humaine ; il y en a d'autre, ces activités propres à cet être sensible et rationnel, qui mêlent sensible et intelligible et qu'on appelle couramment "art", ou bien qui vont contre l'ordre de la nature, et cela s'appelle la "politique"... Dans tout cela je retrouve ce que l'homme a de plus humain ; me reste encore à approfondir ce qu'est cet être de l'homme que je retrouve dans l'art, la philosophie, la politique, mais cela m'est propre, et au vrai, j'en suis fier.
La philosophie nait d'une insatisfaction : face à la
doxa, face à ses propres opinions, face à son action... Il y a déclic. Ceux qui ne sont pas insatisfaits, ceux-là agissent conformément à ce qu'ils veulent ; tant mieux pour eux, bienheureux les ignorants ! Je ne vais pas les blâmer, faire peser sur eux le poids du péché, de l'aliénation ou ce que vous voulez ; il faut toujours un petit quelque chose : en soi, et on appelle cela le naturel philosophe, pourquoi pas ; en dehors de soi et on s'appelle Nicolas Malebranche lisant un traité scientifique de Descartes ; au Ciel, même, qui sait.
Cétait ma demi-heure de racontage de n'importe quoi, désolé.
Ah, et pour ne pas vous assomer avec ce pavé indigeste et pour relancer un débat utile : je suis heideggérien, perfectionniste moral et de gauche. Je crois la métaphysique achevée, j'ai lu tout Cavell, Emerson, Kant et Nietzsche en français et je suis abonné à Télérama que je lis en écoutant de la musique classique. Merci.