Voilà ce qui arrive lorsque l'on part manger et que l'on écrit une phrase trop rapidement, trop succintement ; elle est mal comprise, ou plutôt trop largement comprise. (Et, oui, c'est ma faute.)
"Un patron sans salarié ne produit rien ; un salarié sans patron produit, jusqu'à preuve du contraire."
Cette phrase n'est valable que pour les grandes entreprises. Tout simplement parce que les petits patrons (qui représentent l'immense majorité des patrons) sont trop liés à leur entreprise pour s'en éloigner.
Mais ayons une vision un peu plus abstraite.
Une entreprise est composée de deux constituantes : la super et l'infrastructure. La première est l'encadrement, l'organe de décision de l'entreprise, ce qui offre les moyens de production mais qui n'offre rien d'autre qu'un capital inerte ; en cela, un patron sans salarié ne produit rien. L'infrastructure représente, elle, les forces de productions, les employés, ceux qui ont besoin des moyens de la superstructure pour produire (machines, réseaux de communication...) ; c'est le capital humain. Et c'est cette seule force de production qui donne de la valeur à la production, seul le travail fait grâce au fer de l'acier puis une voiture. Et si la force de production conserve les moyens de production, rien ne l'empêche de continuer à produire.
Mais en ce sens, le patron de PME appartient simultanément à l'infra et à la superstructure ; il a encore un rapport immédiat avec la production (ex : un patron de garage, avec deux employés, aura quand même les mains dans le cambouis ; un patron de petite usine devra chercher lui-même des fournisseurs, s'occuper des ventes, etc.). Et c'est l'appartenance à l'infrastructure qui fait que la PME ne peut pas délocaliser, c'est de là que naît la dépendance du patron.
Mais c'est lorsque la superstructure a un rapport totalement immédiat avec la production que celle-ci peut délocaliser ; l'infrastructure n'a alors plus d'importance, puisque le patron n'en fait plus partie. A présent, remplacez la superstructure patronale par une superstructure étatique : en plus de n'avoir aucune différence dans le fonctionnement, le coût est moindre, et vous réconciliez les deux structures puisque les salariés ont un droit de regard sur l'Etat.
Et c'est pourquoi je pense (avis personnel) que la petite propriété privée est indiscernable de la notion même d'individu. Il suffit de voir comment la NEP fut une période faste de l'URSS nouveau-né et comment les plans quinquennaux furent décevants (sur le plan économique ; sur le plan humain, la mort de centaines de milliers de zek est inqualifiable, une horreur sans nom (si, peut-être : Stalinisme)). La PME, c'est la création par l'individu de ses propres moyens de production ; la grande entreprise, c'est l'exploitation d'individus. Comme disait Christophe Alévêque : "si la liberté remplit les hommes, le libéralisme les vide" ; la liberté de créer ses propres moyens de production remplit les hommes, le libéralisme épuise la forces de travail sans égard.
Et c'était bien évidemment aux seules grandes entreprises que ma phrase étaient destinées ; en effet, l'infra et la superstructure sont totalement discernés et discernables : le patron n'a rien à voir avec le salarié. Le premier n'a plus du tout de rapport immédiat avec la production, il n'y participe plus ; il participe médiatement à la production en agissant immédiatement sur la force de travail. Et c'est d'ailleurs en cela que le travail est une aliénation : le salarié en effet produit quelque chose, et le patron, bien qu'il n'y ait pas participé, se l'approprie.
Mais cette vision est finalement très réduite, car les grandes entreprises ne représentent qu'une infime partie des entreprises françaises (et de tous les pays post-industriels, d'ailleurs), que ce soit au niveau du nombre que de la part dans le PIB. Il est par là même étrange de voir que ce sont ces entreprises finalement - je ne dirai pas marginales mais - pas essentielles qui font la pluie et le beau temps économique en France par le biais de la Bourse ; quelle légitimité a une poignée d'entreprises la plupart du temps purement financières, d'ailleurs, à influencer la monnaie, le poids économique (voire souvent politique) d'un pays, la vie des gens, tout simplement ?
De plus, ce clivage entre l'infra et la superstructure dans les grandes entreprises est flagrant dans le simple fait que le patron peut être changé sans problème, ou que la condition de vie du patron n'a plus grand chose à voir avec la situation de l'entreprise (Jean-Marie, si tu m'entends). De même, le "pantouflage", les "parachutés" ne sont là que pour montrer que le clivage est total entre les deux.
Ce qui n'est pas du tout le cas dans une PME : l'entreprise va mal, le patron va mal, voire il ferme, il licencie.
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Petite précision sur le sens du mot "dictature"...
Dictature, n. f. : Concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un individu, d'un groupe, d'un parti, d'une classe. (Petit Bob)
Le terme de dictature n'inclue fondamentalement d'aucune manière aucune la tortures, les morts, la censure. Ce sens lui a été donné par le XXème siècle et ses dictatures fascistes et militaires. Une dictature du prolétariat (expression crée au XIXè s., rappelons-le) n'est donc que la concentration de tous les pouvoirs entre les mains de la classe majoritaire dans la population : le prolétariat (terme lui aussi désué aujourd'hui à cause d'une tertiarisation écrasante de l'économie ; je serais plus tenté de dire "salariés"). Je ne dis pas que cela se fait sans violence, par définition la révolution est une rupture radicale avec l'époque précédente. Et par violence, je n'entends pas des coups, des meurtres, l'usage de la force publique ou autre, mais des mesures faites contre le gré d'autrui ; par exemple : l'expropriation des moyens de production.
Si le terme a été tout d'abord brandi dans les années 70, c'est tout d'abord par opposition avec le PCF, simplement parce que les trotskystes et les maoïstes étaient "plus marxistes" que le PC, "connaissaient plus de phrases de Marx et de Lénine par coeur" ; je caricature, mais l'idée y est ; le fait de revenir au terme original marxiste avait donc un certain sens. Il est aujourd'hui complètement désué ; je ne dis pas que le sens l'est, mais la dictature a pris un tel sens négatif, le prolétariat s'étant tellement mué, qu'il impossible de continuer à écrire cela.
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