Je continue ici la réflexion entamée précédemment.
A priori (on verra dans quelques années, le recul aidant), les années 2000 ont été bien plus intéressantes que les années 90. Revoyez un film de ces années 90, d'ailleurs, et c'est frappant : ça a déjà atrocement vieilli. Par exemple, le cinéma d'
action : après le concours d'esbroufe de la décennie précédente (
Matrix,
Terminator 2,
Scream,
Il faut sauver le soldat Ryan, les films pour moi les plus influents, mais copiés de tellement mauvaise façon...), retour à un cinéma direct, brut, parfois viscéral, inspiré à la fois du documentaire et des films des années 70, instaurant d'ailleurs un nouveau tic de caméra pénible : la caméra qui bouge de partout.
Du côté des
auteurs, ils auront sans doute respiré bien plus aisément. Tirant souvent parti de la baisse des coûts de production (le numérique), du désir de certains acteurs très connus de se faire une crédibilité indépendante, et surtout de la volonté des
majors de réussir de gros coups commerciaux à peu de frais, on a vu de très nombreux cinéastes
ayant des choses à dire tourner des films qui ne ressemblaient pas à un film de vacances tourné clandestinement avec des acteurs trouvés dans la rue. A de très différentes échelles, c'est Resnais et son casting éblouissant, c'est Jarmusch qui filme ce qui lui passe par la tête, c'est Desplechin qui s'offre Deneuve, ce sont les Coen avec George Clooney et Brad Pitt, mais c'est aussi Peter Jackson qui réalisé son rêve de gosse avec
King Kong, c'est Soderbergh qui se permet
Solaris grâce à
Ocean's Eleven...
Avec en conclusion parfaite de cette décennie, le triomphe atomique (du déjà vainqueur de la décennie précédente) du
meta-auteur, à savoir James Cameron et son
Avatar, le film d'auteur le plus cher
et le plus rentable du monde.
Sinon, à titre très personnel, j'aurai surtout vécu cette décennie comme celle du retour triomphant du cinéma de
genre. Depuis la Palme d'Or de
Pulp Fiction, ce cinéma a largement droit de cité, il apparaît à la fois respectable et
hype, reconnu à la fois par Mad Movies, les Cahiers du Cinéma ou Libération. On ne compte plus les fils de Carpenter, Peckinpah, Friedkin, Argento, Leone, Melville, Romero, Cronenberg, qu'ils se nomment Neil Marshall, Christopher Smith, Bong Joon-Ho, Park Chan-Wook, Takashi Miike, Johnnie To, Pascal Laugier, Rob Zombie, Peter Jackson, Sam Raimi, Fabrice Du Welz, Christophe Gans, j'en passe des tonnes.
Bon, après, il conviendrait sans doute de dégager un cinéaste majeur, ou au moins plusieurs.
A la réflexion, donc, je n'en dégage qu'un, qui aura à mon sens écrasé la décennie de tout son génie. J'aurais pu dire Lynch, mais finalement, Lynch, je m'en fous un peu. C'est éblouissant, c'est virtuose, c'est superbe, c'est fou, mais à quel moment on est
ému ? Non, pour moi, et largement, le plus grand cinéaste des années 2000, du siècle, donc, c'est
Gus Van Sant. Enfin, j'aurais pu dire "
les plus grands cinéastes", tant Van Sant est deux. Il y a le Van Sant acclamé, l'expérimental (à voir), celui de la trilogie du
temps, ces trois monstres superbes que sont
Gerry,
Elephant,
Last Days, et il y a le Van Sant rangé, presque institutionnel, qui nous aura sorti
Finding Forrester et
Milk. Pour moi, les deux Gus Van Sant sont à un même niveau de génie et d'émotion. D'ailleurs, en fouillant un peu (en revoyant les premiers, quoi), on comprendrait sans doute que c'est une seule et même personne...
Achetant les Cahiers du Cinéma qui offrent ce mois-ci une rétrospective de la décennie, je me livre comme leurs journalistes à un choix des 10 films de la décennie les plus chers à mon coeur, rangés par ordre alphabétique :
- Arrivederci Amore, Ciao de Michele Soavi
- Children Of Men d'Alfonso Cuaron
- Cloverfield de Matt Reeves
- Gerry de Gus Van Sant
- Gran Torino de Clint Eastwood
- Sky Captain and the World of Tomorrow de Kerry Conran
- Superbad de Greg Mottola
- Sweet Sixteen de Ken Loach
- The Royal Tenenbaums de Wes Anderson
- Un conte de Noël d'Arnaud Despleschin
C'est si dur, une liste...
En bonus exclusif, les 3 scènes qui m'auront le plus marqué :
- D'abord la bagarre de fous furieux entre King-Kong et les tyrannosaures dans le King-Kong de Peter Jackson. Que du numérique, une idée scénaristique absolument aberrante, mais voilà, c'est Peter Jackson, c'est jubilatoire, et on n'a qu'une envie : crier "vas-y le singe, fous-y dans la tronche !" Imaginons deux minutes la même scène entre les mains de Michael Bay, et savourons celle du néo-zélandais barbu.
- La discussion sur un banc, dans le jardin, entre Mathieu Amalric et Catherine Deneuve, dans Un conte de Noël, histoire de comprendre ce qu'est un acteur. "Tu ne m'aimes toujours pas, hein ?" demande une mère à son fils. "Je ne t'ai jamais aimée" lui répond-il. "Moi non plus" conclut-elle. Ca fait plus peur que n'importe quel torture flick à la Hostel.
- La fusillade finale de The Devil's Rejects de Rob Zombie, les trois tarés congénitaux fonçant contre le barrage de police avec leur décapotable, tous flingues dehors, pendant qu'hurle le "Freebird" de Lynyrd Skynyrd. Moment cinématographiquement délirant, de la poésie chez les rednecks les plus dégénérés, et pourtant ça marche : sans doute le moment de cinéma le plus viscéral, le plus sincère et le plus assumé de la décennie.