Idéalement, il ne faudrait pas écouter les médecins et le personnel soignant pour définir une politique de santé publique. Il y a conflit d'intérêt patent. Ce rôle est à tenir par des administratifs désignés par des élus du peuple.
3 problèmes :
1) les élus ne représentent plus le peuple (cf. Michel Onfray, parmi tant d'autres, encore brillant hier soir chez Ruquier)
2) les élus ne comprennent rien en santé publique
3) les administratifs désignés font, en fait et avec le recul maintenant, encore pire que les médecins.
Il faut s'interroger sur qui dirige la santé en France. Dans un des derniers pays au monde où l'hospitalo-centrisme prédomine autant, c'est très clairement le corps des directeurs d'hôpitaux qui fait la pluie et le beau temps sur les orientations de soin. Ces directeurs d'hôpitaux (qui travaillent à la fois dans les hôpitaux et les ARS) sont formés à l'EHESP (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique). Il faut savoir que l'EHESP, et donc le métier de directeur d'hôpital, est le deuxième choix des étudiants de Sciences Po, après l'ENA. Il y a donc de fortes similarités entre le profil ENA et le profil EHESP. Inutile de préciser ce qu'il faut penser de l'ENA, qui est la machine à faire perdre la France depuis maintenant 40 ans (politiques / chefs d'entreprise / copinage, etc.). Pour les directeurs d'hôpitaux, c'est la même. Investis du pouvoir de la loi HPST, on voit d'ailleurs apparaître certains premiers abus d'argent public : directeur du CHU de Caen, directeur des hôpitaux de Saint-Maurice, etc. C'est la même niveau d'abus de bien social, mais c'est le même niveau d'incompétence. Dans mon champ de recherche, autour de l'organisation des systèmes de santé, l'EHESP est globalement plutôt méprisée, mais personne n'ose le dire trop fort. Critiquer l'EHESP, c'est quelque part critiquer le Ministère (ce sont les mêmes personnes dans ce genre de haute administration), c'est donc prendre le risque d'avoir un financement de recherche moindre.
Tout le problème de la dialectique autour de l'économie dans le système de santé français peut se résumer en quelques points :
1*/ Ce que dit Borh est vrai : la T2A est probablement la plus mauvaise manière de financer un hôpital. Il y a d'ailleurs de plus en plus de littérature à ce sujet, mais personne ne veut revenir dessus, car qui y gagne ? Les capitalistes (ou si vous préférez les 1%), qui ont trouvé là le moyen de faire culpabiliser les soignants de ne "pas rapporter assez". C'est tristement pervers et le pire est que ça marche.
2*/ On sait ce qui marche pour avoir un système efficient et équitable : investir dans les soins de premier recours (soins primaires). Ce qui conduirait en France à
a) Faire du médecin généraliste et de ses alliés paramédicaux le réel organisateur du système de soins. Ce qui impliquerait un transfert massif d'argent de l'hôpital vers la ville. Et là, ce sont les syndicats hospitaliers qui bloquent, préférant se réfugier dans la misère de la T2A, plutôt que d'essayer de fabriquer un nouveau paradigme. On pourrait imaginer que, par exemple, une bonne partie des ressources hospitalières se transforme en centres locaux de stratégie de développement des soins de ville (afin de maintenir l'emploi dans les hôpitaux). Typiquement, la diabétologie. Un des plus grands PU-PH de la discipline ne comprend pas pourquoi on n'a pas encore fermé TOUS les lits d'hospitalisation classique de diabétologie en France (sauf une dizaine par région pour poser des pompes à insuline). En fait pourquoi ? Parce que ses confrères "d'élite" sont persuadés que les MG ne savent pas traiter correctement un diabète. Pourtant, 80 % des diabétiques français ne sont suivis que par leur MG et ce n'est visiblement pas une catastrophe avec des centaines de milliers de morts par an... De plus, pourquoi des patients très graves sur le plan de leur diabète arrivent-ils dans les lits des hôpitaux ? Probablement parce que le système de santé ambulatoire en amont n'avait pas les moyens de se coordonner efficacement pour la prise en charge de certains de ces patients complexes. Pour éviter cela, les hôpitaux de jour / de semaine de diabétologie sont remplis de patients largement traitables en ambulatoire (sans insuline notamment), pour maintenir l'activité du service et ne pas se rendre compte qu'il "ne sert à rien" ; à l'inverse il peut être parfois difficile pour un MG de faire prendre en charge un patient complexe, où l'hôpital aurait tout son intérêt, "parce qu'il n'y a plus de place".
Il ne faut pas plaider forcément pour une simple revalorisation financière des MG. Il faut plaider pour augmenter clairement leur niveau en formation continue (surtour pour ceux >50 ans), leur donner les moyens d'agir (i.e. des paramédicaux renforcés en ambulatoire), leur donner du temps (et le temps, c'est de l'argent) pour organiser des prises en charge complexes. Il faut les écouter, dans la définition des besoins en santé publique, eux qui sont sur le terrain de la médecine quotidienne et non pas dans leur tour d'ivoire PU-PHesque. Il faut les responsabiliser, notamment en leur donnant réellement leur place de médecin traitant : si un généraliste n'a pas confiance dans tel hôpital ou tel spécialiste pour lui adresser ses malades, alors ce doit être un critère bien plus à prendre en compte pour la fermeture potentielle du service que la performance à la T2A. Les MG doivent être l'élite de la médecine et non pas le déchet. On compte 1 universitaire de MG pour 100 internes, contre 1 pour 10 dans les autres spécialités. Il y a plus de professeurs d'anatomo-pathologie sur Paris (une discipline qui consiste à examiner des prélèvements d'organe au microscope, qui ne soigne pas directement), quasiment un professeur par interne, que de professeurs de médecine générale sur toute la France.
b) Renvoyer tous les spécialistes de ville à l'hôpital, en consultations externes. Il y a toujours cette incohérence typiquement française d'avoir des spécialistes en ville, parfois très loin des équipes hospitalières, qui ont une compétence à peine supérieure au MG dans leur champ (et parfois même inférieure, notamment en cardiologie) et clairement inférieure aux spécialistes installés à l'hôpital. Ils sont en secteur 2, coûtent très cher, pour un service médical rendu rarement excellent (ceci est un euphémisme). Le problème est que ces spécialistes forment la majorité des représentants du monde ambulatoire, au détriment des généralistes. Résultat, l'hôpital est leur allié objectif pour éviter de faire le réel virage "soins primaires" tant nécessaire.
3*/ Réformer en profondeur les organes de décision/certification/autorisation, comme la HAS ou l'INCa, pour d'une part les débarrasser définitivement des conflits d'intérêts, et d'autre part les mettre plus près du soin et les "dé-technocratiser".
4*/ Fermer l'EHESP et faire du concours interne dans les établissements hospitaliers la voie privilégiée de formation des directeurs d'hôpitaux, qui devraient être élus au sein de conseils d'administration larges impliquant à la fois les ARS et autres autorités sanitaires, les personnels de l'hôpital et les représentants des patients.
En bref, tout le monde est pour le statu quo :
- les syndicats de personnel hospitalier, qui savent que l'hôpital est bien trop prédominant en France et qu'il faudrait, de manière assez drastique, diminuer très clairement sa part dans le système de santé ;
- les syndicats libéraux de spécialistes, qui peuvent continuer à faire leurs interventions superflues aux 4 coins de France, sans aucun contrôle réel de l'Assurance-Maladie, ou à surfacturer/refuser des CMU-c ;
- les syndicats des directeurs d'hôpitaux, qui maintiennent leur emprise sur les décisions du monde de la santé ;
- Big Pharma qui n'a donc qu'à soudoyer quelques personnes pour pouvoir continuer à faire la pluie et le beau temps dans ce système géré de manière si désordonné.
La santé publique ? La santé des patients ? Tous ces gens n'en ont rien à faire.
Et qui sont les grands gagnants ?
Les Ministres successifs de la santé, pardon du budget, qui peuvent ainsi dépouiller légitimement l'hôpital par des coupes budgétaires progressivement croissantes, sans rebasculer UN SEUL CENTIME vers l'ambulatoire, amenant à la dégradation franche de la qualité du système de soins français.