Bien sûr que la littérature pour enfants sur BD est un cas à part de la littérature, mais justement, je ne retrouve pas cette différence dans l'article cité, qui me donne l'impression que si l'étudiant poussait son raisonnement (qui semble basé uniquement sur le fait que l'œuvre véhicule des préjugés racistes et de la discrimination), il en viendrait à porter plainte pour d'autres ouvrages notoirement racistes et non situés dans le rayon pour enfants.
Après, les journaux présentent peut-être cette information de façon biaisée.
Non, je suis d'accord avec toi. Mais si c'est Tintin au Congo et pas des dizaines d'ouvrages qui prennent la poussière sur les étagères des rayons littérature des librairies, ce n'est pas un hasard. C'est la visibilité de cet album et son caractère grand public qui lui attirent des ennuis. Si les algériens étaient présentés de cette manière dans un Astérix, j'imagine que quelqu'un en France s'en serait ému depuis longtemps.
Publié par
Sin / Speculoos
Je m'insurge car c'est bien mal connaitre Hergé. Il ne reflète pas une image raciste de l'époque sur l'Afrique mais la situation comme elle l'était à ce moment.
Une époque ou les gens étaient racistes, oui mais pas Hergé qui ne faisait que peindre le tableau...
A l'époque où il a fait Tintin au Congo, oui, Hergé était raciste. Par connerie, par conformisme de son milieu social, par veulerie envers son éditeur, par tout ce que tu veux, mais il était raciste. Et l'album l'est, du début à la fin.
C'est justement bien mal connaître Hergé qu'ignorer que c'est seulement après la rencontre avec Tchang qu'il va changer ses vues et s'ouvrir au monde. C'est aussi à partir du Lotus bleu qu'il commence à se documenter sérieusement.
Et puis le "contexte" censé tout expliquer et déresponsabiliser toute opinion puante, il a bon dos. Dès 1928, Albert Londres dénonçait l'horreur de la construction du chemin de fer au Congo. Journaliste réputé, et publié à très grand tirage (pas un hasard si le plus prestigieux prix de journalisme français porte son nom), il avait déjà amené à faire fermer les bagnes de Cayenne par ses révélations. Sa description de l'horreur du chemin de fer au Congo fit grand bruit. Quelques extraits :
Congo. 1928, après Cayenne, voici la deuxième très grande affaire d'Albert Londres. À la suite du Voyage au Congo d'André Gide, le reporter entreprend un long voyage de quatre mois, du Sénégal au Congo. Le journaliste ne voit d'abord que des personnages extravagants - qu'il photographie -, qu'ils soient " nègres " ou colons. Mais le récit picaresque tourne à l'épouvante, quand Londres découvre les chantiers de la voie ferrée Brazzaville-Pointe Noire et les exploitations forestières des alentours. Des Africains y meurent par milliers. Dénonciateur de crimes commis au nom de la colonisation, Londres - qui n'est pas anticolonialiste - réclame des réformes urgentes et radicales. Quand une révolte éclatera un peu plus tard sur les lieux mêmes de son reportage, certains le considéreront comme un traître. Ci-dessous, il raconte une campagne de recrutement pour le chantier du train Congo-Océan :
" Au Moyen Logone, au Moyen Chari, au Dar el Koutti, dans la Haute-Kato, au Bas-Bomou, dans les régions du Gribingui, d'Ouaka, d'Ouham, dans la Haute-Sanga, dans le Bas-Bangui, dans la N'Goko Sanga, de l'Oubangui au Pool, maris, frères, fils, ne revenaient pas.
C'était la grande fonte des nègres !
Les huit mille hommes promis au "Batignolles" [l'entrepreneur, NDLR] ne furent bientôt plus que cinq mille, puis quatre mille, puis deux mille. Puis dix-sept cents ! Il fallut remplacer les morts, recruter derechef. À ce moment, que se passa-t-il ?
Ceci : dès qu'un Blanc se mettait en route, un même cri se répandait : "La machine !". Tous les nègres savaient que le Blanc venait chercher des hommes pour le chemin de fer ; ils fuyaient. (...) Nous nous mettions à la poursuite des fugitifs. Nos tirailleurs les attrapaient au vol, au lasso, comme ils pouvaient ! (...) On en arriva aux représailles. Des villages entiers furent punis. "
Extrait de Terre d'ébène, 1929, recueil des reportages livrés au Petit Parisien en 1928.
Dans ce contexte, et au vu des résultats produits par les précédentes investigations de Londres, la presse catholique de droite se devait de faire de la propagande pour désamorcer le scandale. D'où entre autres ce pamphlet raciste qu'est Tintin au Congo, qui présente les noirs comme des singes (les déshumaniser), d'une fainéantise congénitale (non, on les tue pas au travail, littéralement. Au contraire ils n'en branlent pas une) et d'une bêtise et d'une méchanceté sans limites (vous n'allez quand même pas plaindre des zigotos pareils, non ?). L'abbé Wallez, éditeur du Petit Vingtième, en eut pour son argent. Le chemin de fer congolais réhabilité.
On peut aussi lire le "Voyage au Congo" de Gide, paru en 1928, ou citer Georges Simenon, qui déclarait en 1932 à la fin d'un article accablant : "
Oui, l’Afrique nous dit merde et c’est bien fait !"
Non, le contexte n'explique pas tout. Il n'explique même pas grand chose, si l'on se limite à un point de vue.
Edit : oh, et un point qui fera méditer les théoriciens du complot politiquement correct : c'est Hergé lui-même qui fit remplacer "Nègre" par "Noir" en... 1969. La faute à mai 68 et ses bien-pensants, sans doute ?