Je tiens à repréciser pour tous ceux qui en appellent au côté rationnel de la méthode de pêche utilisée ici, c'est à dire à l'interêt de la technique précise consistant à se servir d'un chien vivant en appât, qu'il s'agit évidemment d'un argument absurde; du moins les photos présentés par le reportage, avec l'hamecon ridicule loché n'importe où dans la truffe du chien, ne laissent en aucun cas présumer une quelconque recherche de rentabilité, puisque avec ce dispositif, il est concrètement impossible d'attraper un requin; si une telle méthode est utilisée, c'est pour le plaisir de simuler une pêche au gros en faisant souffrir volontairement un animal
Le vrai problème, c'est de savoir si le rapport culturel complexe qu'entretiennent les Réunionnais avec les meutes de chiens errants parcourant l'ile (rapport qui n'a rien à voir avec la relation gentil maitre/gentil toutou en métropole) peut justifier une telle pratique. De façon plus générale, que nous enseigne cette action (que nous jugeons barbare parcequ'elle s'exerce sur un chien qui pour nous est le symbole de l'animal domestique utile, mignon et doux sous la main) sur notre relation propre avec d'autres animaux?
Le sadisme envers les animaux est un comportement humain complexe, répandu, et qui ne se laisse pas facilement cerner: on a rappelé ici ce loisir des Australiens qui consiste à jouer au golf avec des crapauds (plaisir pur dans le coup violent donné à une bête jugée répugnante... amusement potache sur les tripes qui giclent joyeusement, saine émulation du groupe "Ah, mais c'est dégueulasse, dit il en gloussant, y'en a plein mon club" etc); je pense que la plupart des utilisateurs de ce forum se sont déjà livrés à différents actes de la même nature, qui faisant fumer une grenouille jusqu'a explosion pour amuser ses amis pendant des vacances en camping, qui s'excitant sur l'hamecon engammé trop profond par le pauvre poisson chat jusqu'a lui exploser les branchies en braillant des "Saloperie, pourriture, etc" , qui dérouillant une torgnole à son chat qui miaule un peu trop parcequ'il veut son Ronron pile au moment où l'on se prépare à affronter le Boss du niveau 6 sur sa Gameboy pocket.
Jouissance trouble qui se rapporte à une foultitude de mécanismes instinctifs, culturels, humains, certainement impossibles à résumer:
-exutoire à un profond énervement ou a un simple agacement (déchainement de haine contre la mouche qui bourdonne sans cesse dans notre oreille, qui s'accroit encore si elle tente de résister à l'écrasement de notre main qui s'active pour elle, jusqu'a atteindre des pics d'une rare violence "RAH MAIS JE VAIS ME LA FARCIR");
-volonté d'affirmer sa toute puissance en soumettant un animal à une torture qu'on est à même de lui imposer sans qu'il ne résiste, que ce soit pour se venger (et je pense que c'est un critère dominant d'explication du comportement des réunionnais avec ces chiens) ou par simple jeu (qui n'a jamais étant enfan, arraché des pattes à des crabes, déchiré les ailes des libellules, tiré sur la queue d'un lezard jusqu'à ce qu'elle reste entre les doigts, enfoncé son index dans la chair d'un escargot, pris plaisir à voir l'huitre se rétracter au repas du nouvel an sous l'action du citron?)
-émulation collective de l'homme en bande, prêt à rivaliser de cruauté avec les autres membres de la meute (je pense au sketch de Desproges, où celui ci raconte comment, étant a l'armée, il avait assisté à des courses de tortue d'un genre particulier, durant lesquelles on allumait un bout de coton imbibé d'alcool qui était placé dans un trou que l'on avait pratiqué au couteau dans la carapace de l'animal)
Certains ici ont la cohérence et l'honnêteté d'affirmer que tous ces comportements sont condamnables dans leur ensemble, parcequ'il n'est pas tolérable qu'un homme puisse sciemment décider de faire du mal à une bête, par pure cruauté, et en ayant pour objectif unique sa souffrance (c'est, si j'ai bien compris, l'avis de Panda).
Mais pour ma part, je trouve ça assez injuste, et complètement partial de lancer un débat sur la barbarie des Réunionnais (un débat qui d'ailleurs se teinte parfois d'une coloration néo colonialiste assez déplaisante, qui n'a rien à envier à certains discours de Ferry), dans la mesure où l'acte auquel ils se livrent est un acte auquel tout humain se livre. Il faut avoir la franchise de dire que ce qui est choquant ici, c'est que l'animal torturé est un chien, et que culturellement, pour nous, faire du mal à un chien est un acte hautement répréhensible, répugnant, honteux. (C'est de toute façon le fonds de commerce de Bardot, ce jeu sur la sensibilité occidentale très particulière aux bêtes à poil; je doute qu'elle se montre aussi humaine avec ses morpions pubiens qu'avec les bébés phoques, qui ont pour eux l'avantage du grand regard attendrissant)
Quant aux arguments qui tendent à mettre en cause la "plus grande douleur" qu'éprouverait un chien, en comparaison d'un lombric, ils ont peut être une réalité, mais je ne pense pas que le problème soit là; une personne qui sadise un vers de terre le fait parcequ'il postule que le vers de terre souffre, sinon ca n'a aucun interêt; non, le problème se situe bien dans le rapport que nous entretenons avec la douleur; la douleur que nous infligeons à l'autre, et à l'animal plus couramment, parcequ'il est assez délicat de torturer impunément des êtres humains de nos jours.
Et je ne pense pas, pour ma part, et cela n'engage que moi, qu'il soit possible de résorber cette part de plaisir que nous éprouvons en faisant souffrir un animal, dans la mesure où il s'agit d'une propriété humaine constitutive. Après, tombera dans la facilité du regard de chiot attendrissant qui voudra; je continuerai de tonner en revanche contre les propos qui tenderaient à faire des habitants de la Réunion des espèces de sauvages n'ayant strictement aucune idée de ce qu'est notre belle civilisation.
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