Les Européens acceptent de modifier la directive Bolkestein Wed March 23, 2005 7:25 AM CET
par Sophie Louet et Yves Clarisse
BRUXELLES (Reuters) - Les partenaires européens de la France ont volé au secours de la Constitution européenne en annonçant
une profonde modification du projet de libéralisation des services au sein de l'Union européenne.
Estomaqués par deux sondages qui prédisent la victoire du "non" lors du référendum du 29 mai prochain et la mobilisation populaire contre la proposition de l'ancien commissaire au Marché intérieur, Frits Bolkestein,
les dirigeants européens ont voulu ôter un prétexte au camp du refus dès leur dîner de mardi.
Après avoir entériné l'assouplissement du pacte de stabilité de l'euro, ce qui redonnera une marge de manoeuvre aux pays en situation de dérapage budgétaire, comme la France et l'Allemagne, ils se sont attaqués à la "directive Bolkestein".
Jacques Chirac a ouvert le bal en demandant de "remettre complètement à plat" ce texte "inacceptable", sans demander son retrait et tout et marquant "naturellement" son accord pour que "l'Europe puisse développer un marché intérieur des services".
"La France y a d'ailleurs intérêt puisque nous sommes particulièrement performants dans ce domaine", a-t-il ajouté en demandant que le sommet acte dans ses conclusions que l'on part "sur de nouvelles bases" afin de respecter les droits sociaux, les services publics et la diversité culturelle.
Il a pour l'essentiel obtenu gain de cause.
"Des modifications seront apportées à la directive pour répondre au souci que nous avons de répondre aux exigences du modèle social européen", a déclaré le Premier ministre luxembourgeois
Jean-Claude Juncker, qui préside l'Union.
"
On ne se fout pas des conditions de travail et des conditions de vie (...) des travailleurs", a-t-il dit.
Il a ensuite lu le passage qui se trouvera mercredi dans les conclusions du sommet, où les Vingt-Cinq affirmeront que la proposition actuelle ne répond pas pleinement au modèle européen et demanderont que "tous les efforts" soient entrepris dans les négociations avec le Parlement européen et les gouvernements.
PAS BESOIN DE "CASSER LA BARAQUE"
La Commission européenne, qui a déjà annoncé sa volonté d'exclure certains secteurs, comme la santé et l'audiovisuel, du champ de la libéralisation et d'éviter tout "dumping social", s'associera à cette démarche afin de trouver un consensus.
Chirac n'a donc pas eu besoin de "casser la baraque" pour obtenir gain de cause, comme un diplomate français l'avait craint en raison de l'appui de nombreux pays au texte original.
Plusieurs dirigeants européens se sont ralliés à la cause des opposants à la directive Bolkestein, qui regroupaient déjà l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et le Sud de l'UE.
Tout à tour, des pays comme le Danemark et la Suède ont exprimé leur refus d'une libéralisation incontrôlée, une ligne qui est déjà majoritaire au Parlement européen.
Le chrétien-démocrate allemand Elmar Brok, qui préside la commission des Affaires étrangères du Parlement européen, a même pris le contrepied de la position officielle de son groupe politique en réclamant carrément "le retrait (de la proposition) pour donner un bon signal pour le référendum français".
"Nous devons nous concentrer sur la Constitution et faire les autres choses plus tard", a-t-il déclaré à Reuters, allant plus loin que la France, qui ne demande pas le retrait du texte.
Même les pays de l'Est et le Royaume-Uni, pourtant soucieux d'obtenir cette directive, ont compris l'urgence qu'il y avait à couper l'herbe sous les pieds des partisans du "non" en France pour éviter une crise de la construction européenne.
"Les enjeux sont très élevés dans ce débat, nous ne pouvions que montrer un minimum de flexibilité pour qu'il n'y ait pas une grave perturbation du processus de ratification de la Constitution", a dit le Premier ministre polonais Marek Belka.
Une longue négociation, qui pourrait prendre deux ans, va maintenant s'ouvrir et le résultat n'est pas garanti. La France veut en effet une harmonisation secteur par secteur avant la libéralisation, alors que de nombreux pays veulent préserver la notion du "droit du pays d'origine" du prestataire de services, ce qui exclut l'harmonisation. Mais le débat est désormais lancé sur d'autres bases et les chefs d'Etat et de gouvernement pourront s'atteler mercredi à la réforme de l'agenda de Lisbonne", un processus entamé en 2000 sans beaucoup de succès: il s'agit maintenant de concentrer les efforts sur la croissance et l'emploi, notamment en investissant dans la recherche, sans oublier le social et l'environnement.