|
LA NORMANDIE n'avait plus vécu pareille mobilisation depuis soixante ans et le Débarquement. Alertées par la Ligue et par les dirigeants du PSG, les forces de l'ordre, qui s'apprêtent à accueillir aujourd'hui une armée de supporters parisiens, vont déployer un dispositif sans précédent dans la région pour un match de football.
A l'intérieur du stade d'Ornano tout d'abord, avec 70 stewards en supplément des 180 habituels.
Une sécurité interne à l'enceinte, renforcée d'un système de vidéosurveillance dernier cri avec 27 caméras mises à disposition.
Mais c'est à l'extérieur que le niveau de sécurité a été singulièrement renforcé : 251 fonctionnaires de police (sur les 780 que compte le Calvados), trois compagnies de CRS, soit 250 agents environ, prendront place dans la ville. Sur les axes routiers du département, un escadron de gendarmerie filtrera aussi les « voyageurs » parisiens.
Un huissier présent parmi les supporters parisiens ?
L'essentiel des forces de l'ordre sera déployé aux abords immédiats du stade d'Ornano. Ne pourront accéder à une première zone sécurisée que les possesseurs de tickets. « La situation », indique Jean-Marc Urvois, chef d'état-major de la Direction départementale de la sécurité publique, « est en adéquation avec les difficultés rencontrées lors des déplacements du PSG. Nous devons être réactifs mais nous sommes confiants. » Les responsables de la sécurité redoutent les Parisiens qui auraient acheté des billets en dehors de la tribune visiteurs, pour échapper au système de traçabilité mis en place par le PSG (présentation d'une pièce d'identité et de la carte d'abonné avant tout achat de billet). Les estimations effectuées hier après-midi chiffraient à 200 le nombre de billets vendus par le PSG pour la tribune visiteurs (sur un total de 1 015 places disponibles) et 200 le nombre de supporters parisiens munis d'un billet en tribune latérale pour échapper au contrôle. « On ne peut interdire ces personnes mais des physionomistes du PSG et de la préfecture seront présents à toutes les entrées », poursuit Jean-Marc Urvois. Tout supporter parisien un peu trop démonstratif sera immédiatement conduit dans l'espace réservé aux visiteurs.
Sur le point d'entamer une procédure en justice pour discrimination, plusieurs associations de supporters envisageraient de venir a à Caen accompagnées d'un huissier de justice. Chez les amateurs de foot normand, l'engouement lié à la venue du PSG est important. Pour acquérir les dernières places, les fanatiques étaient présents lundi dernier dès 3 heures du matin pour une ouverture des guichets à 9 h 30. Tous les billets ont été vendus en deux jours. Comme face à Marseille début décembre, mais avec seulement 200 policiers, et pour la septième fois de la saison, le stade d'Ornano sera plein à craquer. Mais pas près de déborder. « Il faut que cela reste une fête pour Caennais et Parisiens, conclut Jean-Marc Urvois. On veut juste prendre toutes les précautions. »
Amélie Lièvre est avocate spécialisée en droit public. Elle s'intérroge sur la légalité d'une partie des mesures de sécurité édictées par la LFP :
La ligue interdit d'introduire dans les stades des "banderoles, insignes, badges, tracts dont l'objet est d'être vus par des tiers à des fins politique, idéologique, philosophique". N'est-ce pas contraire aux libertés publiques ?
Effectivement, on peut considéter qu'il s'agit là d'une remise en cause de la liberté d'expression des supporters, à partir du moment où ces différents supports ne sont pas à caractère raciste ou xénophobe : seule l'exhibition de banderoles de ce type est sanctionnée par la loi.
Ces interdictions seraient donc illégales ?
En tt cas, ce n'est pas parce qu'elles résultent du règlement intérieur d'une institution comme la Ligue qu'elles sont légales. En effet, un règlement intérieur ne peut pas être contraire ç un texte supérieur qu'il s'agisse d'une loi ou d'un principe constitutionnel. Or, les libertés publiques font justement partie de ces principes qui ne peuvent être remis en cause par un simple règlement intérieur.
La Ligue outrepasse-t-elle ses compétences ?
Oui. Et même doublement, car la liste des objets interdits dans les stades aété établie par une commission de la Ligue, alors que légalement, seule la Fédération est compétente pour définir et fixer les règles de sécurité...
Alors, qui faudrait-il attaquer devant les tribunaux : la ligue ou la FFF ?
C'est une question relativement complexe. Etant donné que la fédération est compétente pour se prononcer sur ces mesures, c'est contre elle qu'il faudrait théoriquement agir. Cependant, dans les faits, le règlement a été édicté par la ligue. La situation est donc assez étrange et en pratique, seule cette dernière pourrait faire l'objet d'un recours.
Qui pourrait agir en justice pour contester de telles mesures ?
Toutes les personnes ayant un intérêt à agir. On peut notamment penser aux individus interdits de stade pour y avoir apporté ces objets interdits, ou que l'on aurait empêchés de rentrer dans une enceinte sous prétexte qu'ils voulaient y faire pénétrer l'un de ceux-ci... On peut aussi imaginer une personne mandatée pour agir au nom d'un groupement de supporters (le président d'une association d'Ultras par exemple) ait un intérêt à agir.
Devant quel tribunal ?
Il faudrait en premier lieu saisir la Commission juridique de la ligue avant de faire un recours devant un tribunal. En cas d'échec, ce sont les juridictions judiciaires qui pourraient statuer sur l'incompétence de la ligue à édicter de telles mesures. Puis les tribunaux administratifs prendraient le relais pour juger de la légalité de ces dispositions, qui auraient dû être prises par la FFF. Reste à savoir si cette dernière les aurait prises....
La ligue constitue-t-elle un Etat dans l'Etat ? Une institution possédant ses propres règless, et pouvant s'absoudre des principes de la République ? L'affirmation pourrait semble exagérément grandiloquente, pour qualifier les agissements d'une institution qui n'est finalement que l'organisateur d'un spectacle sportif. Reste que la facilité avec laquelle la LFP contourne les textes laisse perplexe. Parmi la longue liste des objets interdits dans les stades récemment communiquée par la ligue, on trouve ainsi les "banderoles, insignes, badges, tracts dont l'objet est d'être vus par des tiers à des fins politique, idéologique, philosophique". Une atteinte significative au principe de liberté d'expression.
Prenons d'abord quelques garanties :
la plupart des mesures édictées par la ligue dans son règlement intérieur constituent effectivement des mesures de bon sens. On voit mal ce qui pourrait justifier de pénétrer dans un stade avec un "animal", ou des "boîtes métalliques", ou des "produits stupéfiants". Ou plutot, on voit très bien, mais on comprend que la ligue prenne le soin de préciser que ces divers objets n'ont naturellement pas le droit de cité dans les gradins un soir de match (et mon ptit pèt d'avant match alors les cdf...??).
En revanche l'interdiction de banderoles ou de tracts contenant des messages "politique, idéologique, philosophique" interpelle. Sur le fond, on peut comprendre la volonté d'enrayer des dérives constatées par le passé dans certains stades (cf Weah). Mais le règlement de la Ligue n’apporte en rien un outil juridique supplémentaire permettant de combattre ce genre de phénomènes : de telles banderoles sont de toutes façons déjà prohibées par la loi.
En conséquence, quelles sont celles qui sont visées par les textes ?
Logiquement, toutes les autres. Y compris les bannières véhiculant des messages positifs de lutte contre la xénophobie ou défendant plus simplement une vision de la société. Un comble. A titre d’exemple la banderole déployée (« Ultra contre le racisme ») par les supporters bordelais lors de la finale de la coupe de la ligue en 2002 (perdue contre nous en passant aux tirs aux buts pour ceux qui s’en souviennent) pourrait être interdite d’entrée dans le stade au nom de cette lutte contre la « politisation » des gradins. Pour les Ultrasmarines girondins, cette mesure est inacceptable : C’est la liberté d’expression qui est bafouée. Et c’est qq chose qui doit nous tenir à cœur : pas seulement en tant que supporter de football, mais en tant qu’être humain », explique l’un des représentants du groupe.
La situation est d’autant plus anormale que pour interdire ces banderoles, un contrôle a priori est imposé aux supporters à l’entrée des stades. Une vérification assurée par les stadiers….et les forces de l’ordre. Un CRS pour juger de la validité ou non d’un message politique (on n’ose évoquer les messages philosophiques), voilà qui dénote en tout cas une grande confiance de la Ligue dans la police nationale…
Face à cette situation, que reste-t-il aux supporters pour défendre leurs droits de citoyens ? La loi, tout simplement (voir interview de l’avocate plus haut).
On n’en est probablement pas encore là : la culture judiciaire n’est pas suffisamment implantée chez les Ultras pour voir demain l’un d’entre eux faire appel à un juge pour défendre ses intérêts. Et il est sans doute utopique d’espérer un regroupement des supporters pour une action concertée contre certaines mesures outrancières dont ils sont actuellement victimes, en raison d’antagonismes encore nombreux entre les différents groupes. Il faudra donc encore attendre un peu pour voir les associations se transformer en « syndicats », défendant les droits de leurs adhérents avant de défendre leurs intérêts particuliers. Dommage….
tiré des cahiers du foot les 2 derniers
|