Ah, douces illusions...
A priori, les progrès qu'on peut attendre d'un tel jeu dépendent directement de la complexité de l'anglais utilisé par les joueurs.
Or, que constate-t-on ?
Une simple transposition de ce qu'on peut entendre sur nos bons vieux serveurs francophones s'avère lumineuse.
Nos oreilles y marinent dans une sorte de magma linguistique informe fait d'abréviations, d'anglicismes plus ou moins déformés, de tournures syntaxiques maltraités. Je passerai volontairement sur l'orthographe, qui a depuis belle lurette abdiqué pour laisser place à une sorte d'écriture semi-phonétique.
On peut en rire ou en pleurer. Mais le problème ne se résume pas à savoir s'il faut s'indigner, à la manière d'un docte défenseur de notre belle langue française, des atteintes faites à sa dignité et à sa pureté.
Je ne compte plus les malentendus IG (raaaah we're all doomed, can't escape those evil shortcuts

) à la suite d'une phrase trop sibylline, trop ambiguë. Une syntaxe correcte nous aurait bien des fois sauvés. Ca reste certes anecdotique.
Le vrai problème est ailleurs. Il concerne la richesse de la langue employée, et donc, fatalement, celle de notre expérience de jeu. Je ne m'emmerde jamais tant que lorsque je joue (et donc je parle) au lance-pierre, à coup d'abréviations et de smileys glissés ici ou là, histoire de me démarquer ontologiquement du bot (Je n'ai même pas d'équivalent pour le smiley verdâtre et ironique. Le : D fait plus stupidement joyeux que grinçant. Ah, misère !

).
Les joueurs se régalent souvent d'une sorte d'humour composé dans le meilleur des cas de choses sans doute drôles mais éculées ("Il a up, là, le mob !"), dans le pire de petites choses mignonnes et puériles qui me donnent une furieuse envie de verser une larmes sur mes vertes années perdues.
L'humour glacé et sophistiqué que j'affectionne exige un langage qui ne l'est pas moins. Nos aventures sont moins variées de par les changements superficiels de décors ou même de contenu (wooow it looks great, ToA !) que par les répliques qui les ponctuent.
DAOCiens, DAOCiennes, bossez donc votre bac de français, et lisez Shakespeare, quoi.
Le véritable intérêt des jeux online réside dans leur communauté. L'aventure proposée est plus sociale que guerrière. Et qu'on le veuille ou non, pour communiquer avec autrui et bien...on cause.
Plusieurs études ont été publiées sur les jeunes de certains quartiers guère favorisés, qui tournaient avec pas plus de 300 mots.
Pour moi, le parallèle avec DAOC est immédiat.
Il s'agit de savoir, en fait, si l'on privilégie, sur le clavier, les lettres ou les numéros. Il y a 10 numéros (avec peut-être une touche shift) non combinables entre eux, et pas moins de 26 lettres, plus la ponctuation, combinables à l'infini, pour accéder à un sens (et à un plaisir) qui ne l'est pas moins.
Je me permets de rappeler l'existence de pacman (4 touches) et de tetris (3 touches) auquels je dois d'inoubliables moments. Mais parfois, la fantaisie de varier un peu me prend... Il faut me comprendre.
<applique sa rétine à l'objectif de son télescope pour retrouver le sujet initial dans les profondeurs spatiales>
Pour en revenir à nos moutons, certains progrès sont effectivement possible. Je dois aux jeux vidéos l'acquisition d'un vocabulaire assez spécialisé tournant autour de la guerre et des arts occultes (Mais Harry Poter aurait tout aussi bien fait l'affaire), et peut-être d'une poignée d'autres mots. Encore que ce fut bien dans les rpg classiques que l'essentiel de ceux-ci furent fait.
Je ne peux repenser à Ultima 7 : Serpent Isle sans verser une larme. C'était du grand art. Verbalement aussi. Les dialogues étaient riches, variés, savoureux. La petite touche d'archaïsme aussi ("Art thou friend or foe ?").
De longues heures devant mon écran et mon Harraps.
J'ai eu récemment l'occasion de m'aventurer dans Istaria (Horizons). Le dépaysement fut grand. Le dépaysement social fut nul.
Les serveurs européens n'étant pas spécifiquement dédiés à une langue, l'anglais s'est naturellement imposé comme langue commune (amusant, ce parallèle entre les grands univers de la fantasy, où le "commun" coiffe les différents dialectes raciaux, et notre bonne vieille terre, où l'anglais joue peu ou prou le même rôle). L'occasion de constater la médiocrité, voire la nullité, de mon anglais. Pas au point de ne pouvoir être compris, non. Mais baragouiner pauvrement, quel joueur vivant pour autre chose que le « tape et frappe » s’en contentera ?
Moralité : à vos grammaires