|
Loin dans le passé, le MMO était une affaire de gens passionnés. Conçu par des individus socialement détraqués pour des individus socialement déviants qui avaient ensemble accepté de sacrifier toute vie honorable au profit d'un simulacre électronique, donnant au passage à la livraison de pizza à domicile ses lettres de noblesse.
Bref. Tout allait bien dans le meilleur des mondes virtuels, car voilà qu’à force d’acharnement les pionniers du genre firent gagner de l’argent aux concepteurs et de fil en aiguille des types en costume trois pièces se dirent : "hé, il y a de l'argent à se faire !". OK, on est dans un système capitaliste, on va pas crier au loup pour ça. Alors je vous le demande, comment peux-t-on faire passer un petit monde de quelques centaines de milliers de passionnés à plusieurs millions ? Non pas en rendant les jeux plus riches, que nenni ! Mais plutôt en inventant les stéréotypes du hardcore gamer et du casual gamer. Définissons donc ! Le hardcode gamer, c'est le gars d'avant, celui qui a le teint blafard et les yeux bouffis par la privation de sommeil, qui se ferait greffer une main supplémentaire si c'était possible. C'est le gars qui tapisse son bureau d'écrans 32", s'achète un PC de guerre en s'endettant sur 30 ans. Et qui pèse au moins un quintal et demi à force de bouffer des pizzas hawaïennes en les tartinant de beurre de cacahuète : une insulte à la face de la cuisine française. L'ennui, c'est que notre larron a un inconvénient majeur : il ne se reproduit pas, et on ne peut donc pas compter sur sa descendance pour peupler les MMO du futur. And your money ! Buy MMO Funds ! Le casual lui présente bien. Il a une vie équilibrée, travaille la semaine, a une copine (ou une femme), voire un gosse qui assurera la relève plus tard. Il regarde le foot à la télé, c'est dire si finalement il s'emmerde. Et c'est là que les génies du marketing interviennent : autant qu'il s'emmerde en dépensant des sous dans un jeu en ligne. Et que doit-on bien faire pour attirer ce gentil petit animal ? Mmm ? Non pas rendre le jeu plus intéressant, bien sûr que non. Le rendre plus accessible voyons ! Pourtant le MMO est déjà un style fort simpliste à la base, construit sur les concepts hérités du bon vieux D&D des années 70, j'ai nommé le fameux paradigme "une salle, un monstre, un trésor". Vous la voyez bien là, la genèse du MMO ? Tout y est, y compris la 3D. C'est bizarre, en tant que pratiquant du JDR Papier + Crayon, cette image me paraît horriblement désuète. Pourquoi n'en est-il donc pas de même avec le MMO ? Étrange, hein ? Donc comme l'industrie du MMO n'est pas à un poncif près, elle a décrété que le casual était débile et que pour lui plaire il fallait réaliser des jeux débiles, au grand dam du hardcore gamer qui aimait bien son jeu d'antan, simpliste mais coriace. Car le MMO nouveau est facile d'accès, intuitif, vous permet de jouer une heure par-ci par-là, en solo, ou en groupe, maximise le fun immédiat, le sans prise de tête, bla bla bla. Car c'est ce que veut le casual gamer (pourtant si on se réfère à cette étude, ses besoins ne sont pas si différents du hardcore gamer). Je vais donc me mettre dans la peau du casual. Que puis-je donc attendre du MMO d'aujourd'hui ? Je suis un casual, j'ai peu de temps pour jouer. Je n'aime donc pas perdre mon temps à lire une quête, puis à chercher où se trouvent les monstres à tuer, et encore moins à revenir chercher ma récompense. J'ai besoin d'un GPS intégré qui me dit quoi faire en permanence, car je suis débile. A aucun moment ce ne peut être la quête qui atteint de tels sommets de nullité qu'on se demande bien pourquoi personne ne veut passer plus de 2s à la déchiffrer. Mais si elle présentait un intérêt, si elle suscitait la curiosité plutôt que l'ennui, ne serais-je pas plus enclin à la suivre, et plus satisfait de l'avoir achevée ? L’avantage de récupérer l’interface du GPS : mutualisation des coûts de développements. En plus on ouvre le marché du jeu aux autoMMObilistes ! C’est pas du génie marketing ça ? Je suis casual, il paraît qu'il me faut une histoire à suivre, comme dans les RPG offline, ça me rassure. Mais si les blockbusters ont apparemment un budget éléphantesque pour la conception des décors et diverses options graphiques high-tech, il faut croire qu'un scénariste diplômé coûte fort cher. Les intrigues proposées sont stupides à pleurer, pondues par des amateurs indigents. Je pense qu'ils devraient lire un peu la littérature SF ou fantasy moderne ; on y trouve des perles extraordinaires. L'histoire d'un MMO devrait être comme un bon bouquin : qu'on en lise un chapitre chaque soir ou qu'on le dévore d'une traite, on devrait tous s'accorder à l'apprécier. Oui, oui, il y a des gens qui n’ont jamais étudié le coréen et qui arrivent à jouer à ça. Si c’est pas la preuve qu'on peut être analphabète et pratiquant de MMO. Militons donc pour la réhabilitation de ce loisir décrié : c'est une chance de réinsertion sociale pour les exclus du système éducatif ! Je suis casual, donc j'ai 12 ans et demi et c'est ma mère qui m'empêche de sombrer dans la délinquance vidéo-ludique. Comme je suis prépubère boutonneux et débile, le MMO doit obéir à des codes faciles à comprendre : le méchant a la mâchoire carrée, les yeux rouges, une voix forte, un rire sardonique, et mettons-lui encore des cornes sur le front pour être sûr. Le gentil dégouline de sentiments chevaleresques, réagit d'une façon stéréotypée et prévisible à tous les événements, et son jeu d'acteur admirable fait trembler les acteurs de la télé-réalité. Surtout n'oublions pas un dragon vorace, un démon vicelard et un dieu maudit qui se réveille. Les histoires de MMO, c'est comme la confiture : arrivé au troisième pot, c'est la gerbe. Aucun des bouquins auquel je pense plus haut n'est mentionné "interdit au moins de 12 ans" ... Alors qu'est-ce qu'on attend au juste ? Des scénaristes qui savent lire peut-être ? Je suis casual, donc je ne peux pas passer du temps à comprendre comment fonctionne ma classe de personnage. J'ai droit à des systèmes de jeu conçus par des scientifiques dans les années 50 ou 60 pour tester l'intelligence des singes : stimulus A pour la touche A, stimulus B pour la touche B, récompense ou punition selon la réaction. Et comme je suis encore plus débile que le singe, on retire la punition. D'accord. Et pourtant, ne serait-il pas possible de concevoir des systèmes de jeu simples dans leurs bases, mais avec assez de profondeur pour nécessiter du temps à les maîtriser ? Prenons le cas des échecs : les règles sont faciles, mais je l'admets il va falloir que je bûche un max pour rattraper Kasparov. Et alors ? Est-ce que je ne peux pas apprécier les échecs à mon modeste niveau ? Gégé est un champion du MMO : en huit ans de carrière, pas une seule fois il n’a loupé la touche F1 après l’activation de TAB et tout ça avec un ordinateur de 1964. La qualité de son assist fait baver d’envie pas mal de mes camarades de jeu pourtant moins poilus. Je suis casual, et je vais me décourager si je ne gagne pas un niveau dans mes 5 minutes quotidiennes de jeu. Il faut dire aussi que c'est le seul objectif qu'on me propose : un chiffre qui monte, alors forcément s'il ne monte pas, c'est désespérant. Pour buter un monstre LVL 1, je dois être LVL 1 avec du matériel LVL 1. Et puis pour flinguer du monstre LVL 2, je dois ... ô surprise ! être LVL 2 avec de l'équipement LVL 2 et ainsi de suite. Donc en y réfléchissant, s'il n'y avait pas de niveau du tout, ça reviendrait au même ? Ah non pas tout à fait, dans un jeu sans niveau, on risque sa vie partout (et c'est bien l'intérêt du jeu non?). Dans le MMO moderne, il y a juste un petit bac à sable tout au bout qui craint quand on a fini. Et on s’étonne après qu’on s’emmerde, prisonnier d’une zone grosse comme un mouchoir au milieu d’un continent géant qu'on n'a fait que traverser une fois. Je suis casual et moi aussi je veux me battre contre d’autres joueurs, mais surtout sans rien risquer. Du RvR oui ! du PvP oui ! Mais sans raison, sans foi, sans cause à défendre, sans ennemi à haïr, sans famille ou terre à protéger, sans leader charismatique à suivre ou combattre. Comment croire en des factions qui se battent sans autre motif que de se battre, qui ne reconnaissent ni leurs héros ni leurs traîtres ? Comment ressentir fierté ou espoir quand les murailles qu'on a abattues vingts minutes auparavant sont retombées à l'ennemi ? Surcouf a dit un jour qu'on se bat pour l'or ou pour l'honneur, ce qui nous manque le plus. Pas dans un MMO où le modèle à suivre relève plus de Don Quichotte et ses moulins. Je suis casual et mon cerveau étriqué n'est pas capable d'appréhender un autre concept que celui de la sainte trinité : concept hérité des premiers jeux et très rarement révisé sous le prétexte fallacieux que ce serait le seul viable. En vérité facilité économique car elle dispense les développeurs de créer une IA décente et peut se décliner à toutes les sauces en ajustant un multiplicateur quelconque pour créer des contenus prétendument difficiles. A de rares exceptions, tous les jeux se ressemblent par leur platitude, par des mécanismes périmés dont l’invention remonte au siècle dernier. Quel manque d'imagination ou d'audace ! Ou les deux. Quand un MMO qui pourrait être un TPS s'obstine par manque d'imagination à user du TAB targeting, on obtient le tir laser courbe ! En contradiction avec les lois de la physique les plus élémentaires. OK c’est pas les premiers ni les seuls à s’essuyer les godasses sur les faces de Newton et Einstein, mais est-ce réellement une raison pour continuer ? Je suis casual, et j'ai peur de mourir, alors je ne dois décéder sous aucun prétexte. Mais comme je suis débile ce n'est certainement pas mon talent qui va empêcher mon trépas. Il faut que les monstres soient nullissimes et adoptent des stratégies de mollusques. Pour créer de la difficulté si des fois un hardcore gamer s'acharne à participer, facile, il suffit de reprendre les mêmes en multipliant attaque et défense par 10, 100 ou 1000. Si on parlait plutôt de variété (dans les attaques, les résistances, les défenses), d'imprévisibilité, de mouvement, chaque combat ne deviendrait-il pas d'un coup moins répétitif ? Et simplement plus intéressant. Je suis casual, et je n'ai pas de temps à perdre à former un groupe équilibré pour explorer un donjon. La réponse évidente est de créer des classes polyvalentes qui savent tenir à peu près tous les rôles, des hybrides, en les affublant de noms sans équivoque : guerrier, prêtre, sorcier, pour faire croire qu'il y a une différence. Ne faudrait-il pas à la place se creuser la tête pour offrir les mêmes chances à chacun de progresser équitablement, mais différemment ? Si je suis prêtre, ne devrait-on pas me récompenser d'abord pour mes soins, et non comme tous les autres pour éliminer des monstres ? Parce que si je choisis d'être prêtre, c'est pour soigner mon prochain, pas pour soloter. Enfin je crois. Je suis casual, et le modèle F2P est ce qui me plaît le plus. Je n'aime plus le P2P. Ce n'est absolument pas parce que les jeux sont si creux qu’on en a fait le tour en deux mois pour les plus lambins. Du coup, je prédis un avenir radieux au modèle B2P : 50 € comme ticket d'entrée, et après ciao, va engorger les serveurs d’un concurrent. A comparer, je ne m’abonnerais sans doute pas à un journal mensuel qui me resservirait les mêmes articles à chaque parution. Logique vous me direz, sauf apparemment pour les concepteurs de MMO. Si le jeu est captivant, je veux bien parier qu'on y resterait six mois, un an, en acceptant une progression à l'ancienne. Alors mon personnage il gagne de l'XP en farmant les points jaunes. Des fois, il avale une fraise et gagne un buff overpowered qui lui permet de one-shot les world-bosses fantômes. Et nous voilà à la conclusion de cet article. Je dresse un bilan bien amer du MMO aujourd'hui, sans doute parce que j'aime tant ce style de jeu que je suis navré de constater ce naufrage ludique, cette Bérézina intellectuelle. Au travers d'autres articles, je vois que je ne suis pas le seul à nourrir des doutes. Je regarde des blockbusters s'annoncer à coup de teasers racoleurs avec pour unique objectif de dépasser en moins de 5 minutes le grotesque des plus grosses bouses hollywoodiennes. J'en frémis d'horreur dans mon siège. J'entends des gourous clamer "on va revenir à l'essence du MMO !" Ce fameux MMO du millénaire précédent, simpliste, ardu, et paré de toutes les vertus qui manquent cruellement désormais : mais accepter de sacrifier les casuals pour plaire aux survivants du hardcore, n’est-ce pas un constat d’échec plutôt qu’une vision d’avenir ? Comme si idées passées et nouvelles ne pouvaient cohabiter. Dans l'esprit bipolaire des concepteurs, le hardcore gamer et le casual ne peuvent se croiser, le pve et le pvp faire bon ménage, le sandbox et le themepark se côtoyer. Il est vrai qu'il est des remises en questions qui donnent mal à la tête... |
08/04/2013, 20h30 |
|
Aller à la page... |
Je suis casual, je suis débile.
Suivre Répondre |
|
Partager | Rechercher |
#382088
Invité
|
Chacun ses goûts.
|
08/04/2013, 20h50 |
|
#382088 |
|
you fuck my life?
|
08/04/2013, 20h58 |
Alpha & Oméga
|
J'ai beaucoup aimé ce texte et je partage pas mal de ces points de vue.
|
08/04/2013, 21h00 |
|
Jean Sébastien Gwak |
Voir le profil public |
Trouver plus de messages par Jean Sébastien Gwak |
|
Pourquoi penses-tu qu'avec Destiny ça sera encore pire ^^?
Dernière modification par BeshiStyle ; 09/04/2013 à 03h16. |
09/04/2013, 03h05 |
|
|
|
09/04/2013, 12h51 |
|
|
Tout n'est pas noir ou blanc , il y a aussi des joueurs qui sont entre les 2 .
|
09/04/2013, 19h53 |
|
Suivre Répondre |
Fil d'ariane
Connectés sur ce fil1 connecté (0 membre et 1 invité)
Afficher la liste détaillée des connectés
|