Historiquement, Strasbourg, a été une ville-état jusqu'au 16-17 ième siècle.
Elle est en Alsace, mais les alsaciens sont les premiers à dire qu'elle est tout sauf alsacienne.
Ensuite aujourd'hui, c'est la capitale de l'Europe.
Donc autant de visions ...
Disons que pour moi la "liberté" se traduit par une multitude de points de vue, ce que Strasbourg rend parfaitement.
Quand j'ai atterri là-bas, je venais de Vienne (Autriche), où j'ai passé mon bac au Lycée Français de Vienne, et il y avait 62 nationalités différentes dans ce Lycée (promotion 96).
En arrivant à Strasbourg, j'ai pas foncièrement eu l'impression d'être dépaysé.
Et surtout , la vie là-bas se déroule à taille "humaine", on est très loin de Paris en comparaison par exemple.
N'allant pas comparer systématiquement à Paris les villes que je rencontre, je dirais c'est amusant, de voir qu'on peut renifler une ville suivant des impressions différentes. Interessant, dites.
Pour moi, Strasbourg, c'est l'arrivée en gare, un soir d'hiver coloré et lumineux, une ville terriblement charmante, aguicheuse par sa quiétude. On se sent sécurisé en marchant tranquillement jusqu'au pied à terre. Les quais sont propres, aménagés, baignés de lumière tamisées propices aux balades amoureuses, donnent envie de s'y promener des heures et font culpabiliser d'y marcher en patauguasses. On se sent prince d'un petit microcosme et bientôt l'on devient même précieux. Le sapin gigantesque sur la grande place brille dans les yeux et chatouille les restes de l'enfance, les rues illuminées de noël donnent des impressions de fête et de bonne humeur. Les odeurs de vins chaud, de cannelle, de tartine aux lardons vous écoeure jusque dans le fond du ventre, mais c'est plaisant. Les habitants sont d'une discrétion et d'un calme incroyable, la ville baigne dans un coton agréable. peu de voiture, peu de cris, peu de bagarres (ou invisibles, seulement quelques traces de sang maladroites sur les trottoirs, parfois) on ne se bouscule que rarement, on vous tient les portes, on ne supporte seulement que les voix gutturales des touristes allemands.
Et puis au fil du temps, on perçoit l'envers du décors. Des gens qui se dévoilent plus méfiants que discrets, plus introvertis que calmes. C'est l'espèce de toile de fond protestante et bourgeoise qui gonfle le ventre en avant et reprend sa véritable place. On remarque que les rapports humains sont mauvais, branlants et douloureusement faux. D'une superficialité ridicule. Si on vous tient les portes, c'est sans amour, sans humanité, comme on place bien ses coudes à table, inconsciemment et fort de son éducation. On s'emprisonne dans des codes à la con et on barricade ses sentiments, à Strasbourg. Et puis on fait briller le centre ville. On l'habille, le cajole, le brique. Des lampions de baccara dans la jolie rue passante, des brumisateurs géants sur la grande place. Et puis quand on s'enfonce dans les quartier voisins, c'est une descente aux enfers dans l'oubli délirant. Les trottoirs se défoncent au fur et à mesure qu'on s'éloigne du centre ville, les visages se font tristes, fatigués. La pauvreté, le climat de tension des banlieues oubliées. On construit un palais de la danse et de la musique et on oubli de construire des trottoirs au neudorf.
Les personnes auxquelles je m'accroche là-bas sont en pleine révolution. Anarchistes, féministes, jeunesse en plein ragoût sexuel, qui s'acharne à lutter contre soi-même, contre des réflexes protestants castrateurs. On dégueule de la pub et des belles images dorées, on gratte les couches de névroses, on se débarrasse avec rage des années d'éducation Alsaco. Mais lutter d'un côté, c'est souvent garder des traces d'un autre. Ca donne des sortes de pantins un peu tristes aux mouvements contradictoires, terriblement exigeants avec eux-même, se pardonnant très peu, vous pardonnant tout. Ces gens-là sont nourrissants et on les aime sans réfléchir.
Les autres me pompent toute énergie. Etrangère, lointaine, éducation région alimentation et culture différente, autant de choses qui enfonce dans le bordel des genres. On comprend rien, on n'y connait rien et c'est très souvent qu'on se retrouve sans armes face à eux. Ils vous éviscèrent avec le sourire et c'est plus tard que vos tombez sous les blessures, indolores sur le moment, assassines à contre-coup.
Bah, tout ça pour dire que c'est pas vraiment comme ça que je vois la liberté.
Tu es resté longtemps à Strasbourg ? Ou juste le temps d'une descente de train ?