De plus en plus souvent au fil des fils politiques du net, ces forums en étant un exemple parmi d'autres, le nom de Mitterand ne peut être évoqué sans qu'apparaissent des propos auxquels même ses plus extrèmes détracteurs n'auraient pas adhéré de son vivant, voire Mitterand n'est évoqué que comme un raccourci pour évoquer une "période sombre" (conversation type "blabla la gauche c'est bien", réponse "oui mais.... Mitterrand"). Mitterand a bien entendu plus d'une ombre dans son parcours, certaines indiscutables comme les amitiés longtemps entretenues datant de son passé vichyste ou le mensonge sur sa maladie, mais quand même...
Même les journalistes les vigoureusement opposés aux socialistes, ceux qui n'eurent aucun scrupules quand il s'agissait de détruire Beregovoy ou Emmanuelli, n'ont jamais accusé Mitterand d'être un homme d'argent, ils ont évidemment mis en cause certains de ses amis, profiteurs protégés du régime ou la manière dont la république prenait en charge sa double vie, mais il eut été si difficile de faire croire que Mitterand était "quelqu'un qui en croquait" de son vivant ou à une époque où les gens se souvenaient bien de lui que personne de sérieux, ni même Jean-Edern et ses disciples, ne serait allé jusqu'à en faire un corrompu. Même l'inénarrable Montaldo, essayiste fouilleur de poubelles spécialisé dans la démolition de présidents, eut du mal à le présenter comme autre chose qu'une victime de ses amitiés coupables, là où les fautes de Chirac lui permirent d'être bien moins tendre plus tard avec ce dernier.
Seulement voilà, 10 ans ont passé, et quand sur un forum fréquenté par une majorité de gens qui votaient à peine à l'époque quelqu'un le décrit comme "La vieille enflure (...) qui magouillait pognon et vies comme le dernier des enculés" (sic) ou tente de le mouiller dans des "affaires" aussi précisémment évoquées que restées obscures "Quand il a averti tous ses copains pour les actions American Can ?" personne ne relève.
L'affaire de l'Observatoire est certainement la plus trouble dans laquelle ait pu tremper Mitterrand, il fut au moins coupable de mensonge par omission, et comme il fut amnistié plutot que jugé il est permi de croire qu'il aurait été retenu responsable de faux témoignage et outrage à magistrat. Néanmoins, ce n'est pas pour rien que l'affaire ne fut pas exploitée longtemps par ses adversaires, dès qu'il fut lui-même amnistié en 1965, Pesquet reconnut avoir agit sur ordre de ses amis d'extrème-droite Tixier-Vignancourt et Lepen, et manipulé Mitterand pour détruire quelqu'un qu'il considérait comme traitre à la cause de l'Algérie française. Selon ce témoignage, qui a suffi pour convaincre les médias même de droite d'enterrer l'affaire dès cette époque, si Mitterand n'avait pas déclaré avoir été mis en garde, c'était pour protéger sa source (Pesquet), mais il croyait bien avoir affaire à de vrais assassins.
Seulement voilà, 42 ans ont passé et quand quelqu'un écrit "Parce que Miterrand dans le jardin de l'observatoire, allongé par terre en train de dire "bon, vous vous dépêchez oui !" ou quelque chose approchant, ça doit pas être terrible." (sic) personne ne relève (à part moi, etc...)
Des centaines qui ont enquêté, aucun journaliste, même de la presse d'investigation, même de Minute, n'a défendu longtemps la thèse des "assassinats de l'Elysée". L'Evennement du Jeudi, seul magazine sérieux à avoir accordé du crédit à François de Grossouvre a fait machine arrière en moins d'un mois, réalisant que tout les témoignages s'accordaient à le dépeindre comme mythomane et dépressif. Quant à Beregovoy, malgré la tentation qu'il y eut pour les journalistes de se dédouaner de sa mort, je ne me rappelle pas avoir lu le moindre torchon aller jusqu'à parler d'assassinat.
Pourtant des internautes qui devaient avoir douze ans au moment des faits "savent", ils ont conscience d'un complot tel que plusieurs milliers de détenteurs de cartes de presse, du Figaro au Canard ne le dénoncèrent pas, ce qui comme toujours avec les complots ne peut que confirmer qu'il y a anguille sous roche. Donc si quelqu'un écrit par exemple à propos de Mitterrand "Quand il a (oh, aucune preuve bien sûr, mais bon. Si ce n'est lui, c'est le Père Noël) fait exécuter deux personnes au sein de l'Elysée ?" (sic) ou quand quelqu'un ajoute Beregovoy à la liste de ses victimes supposées, ça fait tout juste débat (plus ou moins modéré cette fois sur la Taverne il y a quelque temps, par quelqu'un qui conclut "Oui mais le problème avec le débat sur un thème qui manque de preuve, c'est que chacun file librement sa version et qu'il est impossible d'avoir des repères communs, et que ça vire inévitablement au troll. Et là dedans, la modération est impossible: les informations ne sont accessibles à personnes." en d'autres termes se sent-il presque obligé d'ajouter "rien n'est exclu").
Pour compléter les pures calomnies se trouvent bien entendu les monceaux de discours selon lesquels Mitterand (ou les fameux "20 ans de socialisme" comme disent certains alors qu'il a cohabité 5 ans sur 14, et gouverné de 1988 à 1993 sans majorité absolue, obligé de composer entre udc et communistes) aurait ruiné la France, dans de telles proportions qu'elles expliquent bien entendu les résultats bien pires des gouvernements qui lui ont succédé.
A ce niveau certes on ne peut rien dire, c'est irréfutable, il est évident qu'on ne pourrait pas dire qu'un tel échec s'explique par le fait qu'il hérita de la situation calamiteuse issue de crises pétrolières mal gérées par ses prédécesseurs, il est bien connu qu'avant comme après Mitterand rien n'a pu avoir un impact sur la France.
Restent encore les accusations d'immobilisme, celles de ne pas avoir été de gauche ou au contraire de ne pas avoir été réaliste (quand il fut les deux, hélas un peu trop successivement). Enfin avec tout ça accumulé il ne peut y avoir qu'une conclusion, le Mal a existé, la France l'a connu, c'était Mit'ran l'infâme, en matière politique les pires solutions pour le futur ne peuvent qu'être justifiés par l'existence de ce diable auquel la France s'était donné. On attend toujours les chars rouges sur les Champs-Elysées qu'on nous annonçait en 1981, on attend toujours la France en cessation de paiement qu'on nous annonçait en 1988, on attend même d'être envahis par la "Grande Allemagne" qui faisait pleurer Giscard et que tant à mots couverts rendirent Mitterand coupable de laisser exister.
Pourtant, après 30 années de ridicule, la diabolisation du personnage ne semble pas prète de s'arréter, et à en discutter avec mes petits frère et soeur de vingt ans d'age, j'ai même l'impression qu'elle marche enfin . A "Calomniez calomniez il en restera toujours quelque chose", on peut ajouter "moins les gens s'en souviennent plus ça devient crédible", puis "tant qu'à taper fort, choisir un mort pas de risque de procès en diffamation" ; formée par des gens ayant de si sains principes on peut faire confiance aux générations d'internautes qui viennent pour faire vivre tout en la renouvelant la légende de Mitran, demain l'antéchrist assassin, prévaricateur, spéculateur, incompétent et mangeur d'enfants, et l'utiliser à justifier les échecs des 3 ou 4 générations de politiques à venir.
Mitterand n'était pas parfait loin de là, mais ce n'est certainement pas pour moi le président dont on ait à avoir le plus honte. Pensez vous vraiment qu'il mérite ça ?
ps : toutes les citations viennent de threads d'ici ou de la taverne (mais j'aurais pu prendre bien des forums extérieurs à JoL en exemple la mode du net est ainsi) oublié de noter lesquels, ça doit se retrouver en cherchant "Mitterrand" (trouver un thread sur Mitterand où on ne l'accuse pas de tout et nimporte quoi est plus difficile que l'inverse).
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