Les fenêtres, me faut les localiser quand je pénètre chez quelqu'un que je ne connais pas ou peu. Elles me rassurent, pour je ne sais quelle raison, me donnent l'impression de pouvoir m'enfuir. Puis en général on ne vient pas vous presser de questions lorsque vous regardez à l'extérieur, c'est une manière de prendre un peu de distance sans paraître malpolis, et pourtant, il se crée une drôle de communion d'esprit avec le locataire de cette vue - on l'imagine vivre là, et accompagner les variations de paysage, son quotidien domestique empli de cette image.
Une fenêtre c'est un tableau mouvant. Qu'elle soit urbaine ou campagnarde.
Je suis une privilégiée de la lucarne.
Du printemps où les arbres éclatent de bourgeons, du vert doux en pagaille. L'air délicieux des journées tièdes qu'on aspire avec optimisme et éternuements (satané pollens de platanes). L'été avec ses cris d'enfants, ses soirées arrosées, ses mauvais joueurs de djembe. L'automne et ses tourbillons de feuilles, ses inondations qu'on guette, mi-anxieux mi-excités par une potentielle catastrophe, les cris des gens qui s'exclament sous l'averse soudaine. Le chuintement doux des pneus sur l'asphalte humide.
L'hiver enfin, où il faut tirer les voilages pour éviter que le voyeur, de l'autre côté de la rivière, ne songe à chausser ses jumelles. Les rares flocons qui font bondir le coeur.
Mais la fenêtre, ouverte toute l'année, c'est aussi la porte ouverte aux drames. Dans les immeubles, on entend les gens souffrir, pleurer, se grogner, s'agripper, respirer et éternuer. On se penche et on assiste, impuissants, aux scènes de ménage expéditives. Les objets qui volent sur la tête des passants. On retourne très vite dans son chez soi pour se punir, honteux d'avoir volé une seule seconde de l'intimité de ces voisins malheureux.
La fenêtre c'est du bruit, des frôlements de tôle, des films violents qui se déroulent dans les imaginaires. Ce sont les ambulances qui hurlent et les coups de patins des conducteurs imprudents. Ce sont les éboueurs qui viennent faire du bruit à des heures impossibles, en priorité dans les quartiers de hlm, pour préserver les douces oreilles des mieux-situés. Ce sont aussi les sifflements du balayeur vers 6h00 du matin, guillerets souvent, inspirés par les radios populaires qu'ils écoutent à décibels vibrants dans leurs drôle de petites voiturettes. Avec ces petits frottements modestes des brins de genêts de son balai sur le trottoir, il repeint notre chaussée et ordonne nos couleurs. Efface les traces des disputes de la veille.
Ma fenêtre est toujours ouverte, sauf au plus glacé de l'hiver, car le chauffage onéreux pousse à l'avarice. La rumeur de mon quartier peut ainsi me construire une musique de fond qui s'accorde parfaitement à celle que je sélectionne sur ma platine.
La fenêtre permet de se reposer les yeux, après un travail épuisant devant la machine à bombardements lumineux. Elle fait retomber sur terre, dans le monde qui ne pixellise pas.
Une fenêtre c'est quantité de mains qui se sont posées dessus, qui laissent leurs empreintes. C'est aussi l'image d'un petit chat posé sur un coussin bleu, qui regarde le monde avec un regard vif et curieux. Cette petite fille qui quelques semaines plus tard, au même endroit, se transforme ce félin intrigué par les hommes-poissons qui passent sous ses yeux qui dominent l'espace - la même expression légèrement inquiète au bord des paupières.
J'aime toutes les fenêtres, et comme Frida, je n'aime pas les murs.
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