[Votre Feuilleton de l'été] Chapitre 4 : Le témoignage.

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Chapitre 3

Le bureau de la Brigade du Bar était vide de tout occupant. Un peu de lumière filtrait de l’embrasure de la porte, projetant une lueur grise sur les quatre bureaux encombrés meublant la pièce. Trois d’entre eux étaient recouverts de papiers, de rapports, de classeurs, le tout pêle-mêle, orné de tâches de café, de sauce mexicaine et de vieux restes de sandwiches, témoignant du sens de l’ordre rigoureux et du soin dont faisaient preuve les inspecteurs.

Le quatrième était également encombré, mais d’une autre manière. Quelques cartons trônaient au-dessus, emplis des même sortes de papiers, rapports, classeurs, mais bien rangés, ainsi que des diverses petites choses que pouvaient accumuler un inspecteur matérialiste et sentimental tout au long de sa carrière. En dehors de ça, la surface du meuble était propre, et si on avait pu ouvrir les tiroirs on n’y aurait trouvé qu’une vieille gomme oubliée et un peu de poussière dans les angles.

L’occupant de ce dernier bureau, l’inspecteur Chandler, ouvrit la porte du local et alluma la lumière. Il contempla avec mélancolie la pièce dans laquelle il avait passé toute sa carrière, repassant en revue les nombreuses affaires résolues, les moments difficiles comme les moments de gloire. Il ne savait pas qui dominait, du sentiment de tristesse lié au départ ou de la joie et du soulagement de rallier un quartier plus calme en attendant la retraite. Le district était usant à la longue, et il se faisait trop vieux pour les interventions musclées que nécessitaient souvent les querelles si particulières au Bar.

Il soupira, alla s’asseoir une dernière fois sur son vieux fauteuil usé, prit son badge, son régulateur, et fronça les sourcils. Son co-équipier, Bardiel Wyld, l’attendait en général avant de partir au travail. Il lui arrivait de partir travailler en avance, mais c’était rare, et il n’était visiblement pas là. Chandler haussa les épaules, se dit qu’il devait déjà être sur place, et se leva pour attaquer sa dernière journée de travail.

* * *

« - Hohé ! Il y a quelqu’un ? » appela Edouard pour la troisième fois.

Les inspecteurs étaient arrivés quelques minutes plus tôt dans le petit jardin méticuleusement entretenu, dont la structure en cercle et la composition soignée appelaient à méditer sur son moi profond, sur la nature infinie et mystérieuse du cosmos, et sur le pourquoi du design rose bonbon du Modoaide.

Toutefois, ce n’était pas pour cela que les deux inspecteurs s’étaient déplacés, comme en témoignait la remarque de Bbali ( « Haha le pauv’ jardin remplis de caillasses et de buissons qu’ont pas poussé, en plus le mec il a passé le râteau sur les graviers plutôt que sur le gazon, trop la honte ! » ). Ils étaient venus interroger Yôko Kurama, et son absence les contrariait légèrement. Si leur seul témoin leur échappait, ils étaient bon pour tout reprendre de zéro, et la situation était trop grave pour perdre autant de temps.

« - Y a qu’à aller voir dans la pagode, j’entends quelque chose. » dit Bbali, qui avait l’ouïe fine.

Une petite pagode blanche en bois trônait effectivement sur le bord du jardin, et, en tendant l’oreille, Edouard put à son tour entendre des claquements secs s’en échapper. Il sortit son régulateur et, faisant signe à son équipier de faire de même, s’approcha en silence de la porte. Les claquements se faisaient plus nets au fur et à mesure de leur avance, et Bbali fit signe à Edouard qu’il distinguait en plus deux voix différentes, une féminine et une masculine.
Prenant son élan, Edouard ouvrit la porte d’un coup de pied magistral et entra dans la maisonnette en hurlant :

« - Modération ! Pas un geste ! Les mains en l’air ! Faites… Bardy ? »

L’inspecteur Bardiel était en effet présent aux côtés, ou plus précisément aux genoux d’une jeune asiatique équipée d’un fouet, tout deux vêtus d’une façon qui outrepassait joyeusement les limites de la Charte mais qui donnait la part belle au cuir et aux clous.
Les deux protagonistes se figèrent, la femme le bras encore ramené derrière elle, et il y eut un bref moment de flottement que vint briser le rire tonitruant de l’inspecteur Bbali.
Edouard se détourna, gêné, et dit :

« - Bardiel, si tu pouvais te rhabiller, on doit interroger ton amie concernant notre affaire… Et il me semblait que t’étais de service ce matin. »

L’inspecteur Bardiel Wyld ouvrit la bouche pour dire quelque chose, la referme, l’ouvrit de nouveau et, réalisant qu’il aurait de toute façon beaucoup de mal à se justifier, renonça. Il se releva avec toute la dignité que lui permettait la situation et après un regard d’excuse vers la jeune asiatique, s’en fut dans une pièce adjacente. Edouard s’éclaircit la gorge, puis reprit, toujours de dos :

« - Mademoiselle, nous allons avoir quelques questions à vous poser, mais je pense que pour le bien de l’interrogatoire, il serait bon que vous endossiez une tenue plus… correcte. Et Bbali, arrête de te marrer stp. »

Toujours muette et les yeux écarquillés, la jeune femme hocha la tête et s’en fut rapidement en empruntant le même chemin que Bardiel.
Quelques secondes plus tard, ce dernier ressortait, vêtu de sa tenue de travail, et l’air passablement gêné.

« - Les mecs, laissez-moi vous expliquer… commença-t-il. »
« - T’inquiète mec, le coupa Bbali avec un grand sourire, on dira rien. Enfin comme d’hab quoi, deux trois allusions par jour pendant un an. »
Bardiel chercha sans grand espoir du soutien du côté d’Edouard, qui détourna les yeux en essayant de garder son sérieux.
« - Aller, file, dit-il. Chandler doit t’attendre, et c’est son dernier jour, il va vouloir de la compagnie. »
Bardiel s’en fut, mais Bbali l’appela au bout de quelques mètres :
« - Bardy ? »
« - Oui ? »
« - Je crois que t’as oublié d’enlever quelque chose autour du cou, fit-il en pouffant. »

L’inspecteur repartit en se débarrassant de son collier et en se disant que putain, la vie n’était décidément pas juste.

* * *

La jeune femme, qui se révéla effectivement être Yôko Kurama, revint habillée d’un kimono rose qui atténuait la rougeur de ses joues causée par l’embarras. Leur calme retrouvé, les deux inspecteurs s’assirent en face d’elle à même le sol et purent débuter l’interrogatoire.

« - Yôko, commença Edouard, nous venons vous voir sur les conseils de Moine Gourmand, qui nous a dit que vous pourriez sûrement nous aider sur une affaire épineuse. »
« - Et en quoi puis-je vous être utile ? répondit la jeune femme. »
« - Il paraît que vous avez été témoin du meurtre de Bishiboosh… C’est vrai ? »
« - En effet, fit-elle après une légère hésitation, mais si je parle, je risque beaucoup, j’imagine que vous comprenez ? Me promettez-vous de m’offrir une protection suffisante ? »
« - Je pense que l’inspecteur Bardiel pourra s’en charger efficacement, intervint Bbali avec un grand sourire. »
« - Nous vous le promettons, répondit Edouard en jetant un regard de reproche à son équipier. »
« - Très bien, je vais vous dire ce que j’ai vu, êtes-vous prêts ? reprit la jeune asiatique. »
« - Euh… ben oui. »
« - Un soir, la semaine dernière, je suis allée faire un tour au Bar pour tenir compagnie à l’inspecteur Bardiel pendant son service, et après quelques heures à discuter, quelqu’un a lancé un questionnaire stupide, mais je ne saurais pas dire qui, il y avait trop de monde vous savez ? Bref, le questionnaire était tellement mal fichu que les gens ont commencé à s’énerver, et comme ils ne retrouvaient plus qui avait lancé le débat, ils ont commencé à se battre entre eux, vous voyez ? Et… »
« - Excusez-moi, la coupa Edouard, vous terminez toujours vos phrases par une question ? »
« - Ah, vous avez remarqué ? »
« - Oui… J’imagine que c’est pour ça qu’on vous appelle le Sphinx ? »
« - A votre avis ? »
« - Hm… Vous pourriez arrêter s’il vous plaît ? Ca me stresse un petit peu… »
« - Oh, et puis quoi encore ? »
« - Je… Bon c’est pas grave, poursuivez. »
« - Merci, je disais donc qu’une bagarre a éclaté, j’ai préféré sortir, et dehors j’aperçois Bishiboosh en train de rattraper quelqu’un, sûrement celui qui a lancé le débat, mais il était tard et ils se tenaient à l’écart des lumières, donc je n’ai pas pu reconnaître son visage, c’est grave ? »
« - Ben, faut bien avouer que ça nous aurait aidé… Enfin tant pis, continuez. »
« - Le plus important reste à venir, reprit Yôko qui commençait trembler légèrement, car pendant que Bishiboosh prenait l’inconnu à partie, une autre personne s’est glissée derrière lui, a braqué quelque chose dans sa direction et Bishiboosh s’est écroulé d’un coup, mais qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? » dit Yôko, sa voix se brisant sur ces derniers mots tandis qu’elle semblait revivre la scène. « Après avoir vu ça, reprit-elle en essayant de refouler ses larmes, j’ai préféré m’enfuir, mais en me retournant j’ai réalisé que le meurtrier m’avait aperçue, vous comprenez mieux pourquoi j’essaye de me cacher ? »

Bbali et Edouard échangèrent un regard, puis Edouard sortit son régulateur et demande doucement à la jeune femme :

« - Cet objet que le deuxième inconnu a braqué vers Bishiboosh, est-ce qu’il ressemblait à ça ? »
« - Oui, je crois que oui, répondit Yôko, qu’est-ce que c’est ? »
Bbali soupira. « - C’est l’arme qui nous sert à faire régner l’ordre ici. Et cela signifie que c’est un modérateur qui a fait le coup, de sang-froid, avec la complicité d’un posteur du Bar… Merci de votre aide, mademoiselle, dit-il en se relevant. Grâce à vous nous avons une piste, légère, mais une piste. »
« - De rien, je peux compter sur vous pour capturer le coupable le plus rapidement possible ? »
« - Bien sûr, répondit Edouard en se levant à son tour, et n’ayez crainte, nous veillerons sur vous. »

Songeurs, les deux inspecteurs prirent congé de Yôko et regagnèrent leur vieille BM. Bbali mit le contact et ils repartirent dans la circulation qui commençait à devenir dense en direction des Privés, se perdant en conjectures sur l’identité des deux coupables.
Citation :
Publié par Soupir
L’inspecteur Bardiel était en effet présent aux côtés, ou plus précisément aux genoux d’une jeune asiatique équipée d’un fouet, tout deux vêtus d’une façon qui outrepassait joyeusement les limites de la Charte mais qui donnait la part belle au cuir et aux clous.
*xptdr*

Je suis morte de rire IRL parce que j'imagine la scène, surtout Bardy
Ah c'est trop bon, j'en veux encore
Citation :
« - T’inquiète mec, le coupa Bbali avec un grand sourire, on dira rien. Enfin comme d’hab quoi, deux trois allusions par jour pendant un an. »
Lol².
Citation :
Publié par Soupir
méditer sur son moi profond, sur la nature infinie et mystérieuse du cosmos, et sur le pourquoi du design rose bonbon du Modoaide.

la remarque de Bbali ( « Haha le pauv’ jardin remplis de caillasses et de buissons qu’ont pas poussé, en plus le mec il a passé le râteau sur les graviers plutôt que sur le gazon, trop la honte ! » ).

tout deux vêtus d’une façon qui outrepassait joyeusement les limites de la Charte mais qui donnait la part belle au cuir et aux clous.
Trop bons ces passages !

Citation :
Publié par Soupir

« - T’inquiète mec, le coupa Bbali avec un grand sourire, on dira rien. Enfin comme d’hab quoi, deux trois allusions par jour pendant un an. »
Très réaliste !
Citation :
Publié par Lilandrea
(Bbali, ça te dirait pas d'illustrer le roman avec quelques scènes importantes ? )
Chandler pourra toujours faire le bruit du fouet.
Je l'attendais depuis hier, cet épisode !

Citation :
L’inspecteur Bardiel était en effet présent aux côtés, ou plus précisément aux genoux d’une jeune asiatique équipée d’un fouet, tout deux vêtus d’une façon qui outrepassait joyeusement les limites de la Charte mais qui donnait la part belle au cuir et aux clous.


Comme Lil', j'imagine trop Bardy dans cte scène.
Citation :
« - Bardy ? »
« - Oui ? »
« - Je crois que t’as oublié d’enlever quelque chose autour du cou, fit-il en pouffant. »


Joli joli, a quand la suite
Toujours aussi bon !


Bonne idée les petites contraintes d'écriture , ca donne un souffle au texte.

Et bien marrant quoi... ( 2-3 remarques par jour pdt un an )

Message supprimé par son auteur.
*trouve dommage de voir ce post descendre si vite*

Euh sinon Monsieur Soupir... comment trouvez vous l'inspiration pour écrire tout ça ...? entre 2 repas ...? avant d'aller dormir ..?
*se dit qu'il va falloir faire une interview de l'écrivain du bar*
Citation :
Publié par Little Love
Je l'attendais depuis hier, cet épisode !
On fait c'qu'on peut.
Citation :
Publié par Chandler
enfin, surtout la partie sur ma dernière journée
Alors qu'est-ce que ça va être quand... Huhuhu.
Citation :
Publié par Moine Gourmand
Si c'est à ce rythme pendant deux mois, ça promet
Je compte m'arrêter fin juillet, puisqu'après je suis en vacances loin des PC. \o/
Citation :
Publié par Yôko Kurama
Euh sinon Monsieur Soupir... comment trouvez vous l'inspiration pour écrire tout ça ...? entre 2 repas ...? avant d'aller dormir ..?
Secret professionnel désolé. :/

Bon, sinon je voulais dire aux gens qui m'ont demandé à apparaître de ne pas s'impatienter, comme j'ai eu plus de demandes que ce à quoi je m'attendais, les rôles s'étendront sur la longueur, donc ça peut être aussi bien le chapitre prochain que dans dix épisodes.

Et enfin, là je vais entrer en semaine d'exams, donc j'aurai sûrement un peu moins de temps, donc y aura peut-être une baisse de régime.

Voilà, merci tout le monde pour vos compliments !
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