Diffamation dans une oeuvre de fiction ?

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Bonsoir,

Je suis actuellement confronté à la question suivante, en milieu professionnel.
Si quelqu'un rédige un "roman", basé sur des faits réels, mais se réfugie derrière un disclaimer du type "les événements sont inspirés de faits réels mais ils sont romancés pour les transformer en oeuvre littéraire", les personnes dont les actes sont décrits peuvent-elles attaquer l'auteur du roman en diffamation ?

Si les faits sont rigoureusement décrits ? Si les faits sont exagérés, pour être rendus plus drôles, cocasses, incroyables ?
Si les auteurs de ces faits sont nommés explicitement ? Si leur nom est caché mais qu'ils restent identifiables ? S'ils ne sont pas identifiables, hormis par eux-mêmes ?
Si les faits sont rédigés dans une analogie plus ou moins obscure, mais claire pour toutes les personnes impliquées ? (Par exemple, prenez l'image d'un PDG transformé en chef de tribu, et un délit quelconque symbolisé par une analogie en milieu tribal)

La question est assez théorique car je pense que personne n'irait s'en inquiéter, mais je la trouve intéressante sur le principe.
D'un côté, c'est de la fiction et si on ne peut plus rédiger une oeuvre de fiction librement, où va-t-on. D'un autre côté, c'est un peu facile d'échapper aux plaintes en diffamation simplement en disant que les faits se déroulent dans un univers parallèle similaire au notre.

Merci
Ça dépend. Il ne suffit pas de se cacher derrière "c'est une fiction" pour éviter toute responsabilité, non. Si des propos mensongers sont tenus sur une personne identifiable, c'est condamnable que ce soit présente comme une fiction ou non. Et à contrario évidemment on peut pas faire condamner un auteur de pour de la pure fiction si rien ne permet d'être identifié, juste qu'on se sent visé.

Donc comme toujours la réalité est entre les deux.
Pour tous les cas cités, il n'y a pas de réponse basique ou mathématique, c'est comme toujours à l'appréciation du juge, qui jugera chaque situation dans sa globalité.
Effectivement ça a l'air aussi complexe que ce que je pressentais.
Si on résume :
Des faits vrais (supposons qu'on peut les prouver) ne peuvent donner lieu à des poursuites pour diffamation
Des faits exagérés (qui deviendraient faux mais basés sur du réel) pourraient donner lieu à des poursuites.
Quid de faits tellement exagérés qu'ils n'en sont même plus crédibles ? Est-ce un facteur aggravant, car les "accusations" sont pires, ou bien est-ce que cela exonère l'auteur, en faisant rentrer son texte dans la case de la pure fiction ?

Par exemple, une usine réelle existe. Un récit se base sur la vie réelle des employés. Pour amuser le lecteur, l'auteur exagère certains faits et dit par exemple que le management de l'usine enfreint des règles de sécurité. De manière tellement caricaturale que personne ne peut y croire. Par exemple, des ouvriers mourraient tous les jours si ce qui est écrit était vrai, or il n'y a évidemment aucun décès quotidien dans cette usine, et l'auteur du texte rappelle au début du récit que c'est inspiré de faits réels mais tout de même de la fiction.

Si les personnes ne sont pas identifiables, mais que leur organisation l'est, est-ce que cela change quelque chose ? On prend un Jean Michel dans l'usine Bidule, alors que le vrai s'appelait Gérard. Ca suffit ? Si non, si le nom de l'usine Bidule est changé en Trucmuche, ça passe ?
Et si les lecteurs du livre imaginent que l'auteur ne peut parler que de l'usine où il a passé toute sa carrière, ils risquent de conclure qu'il s'agit d'une histoire arrivée chez Bidule et non Trucmuche, car Trucmuche n'existe même pas.
Même si c'est identifiable, il y a un droit à la caricature qui permet pas mal de choses. Il va falloir être assez précis pour soulever une diffamation/divulgation de la vie privée/autre sans qu'on puise y opposer le droit en question. Par exemple, est ce que le propos est à l'opposé des valeurs défendues par ou communément attribuées à la cible ? décrire un Boeing qui tombe en pièces est plus facilement défendable qu'un Airbus en ce moment.
Entre autres subtilités, la caricature d'une personnalité publique (par ex. un directeur) ou d'une marque n'est pas traitée comme celle des anonymes pour qui cela devient leur seule vitrine.
Il y a pas mal de jurisprudences et d'estimations du juge, faut mieux étudier le dossier avec un avocat pour pouvoir éventuellement identifier des points bien définis si tu souhaites attaquer ou te protéger.
Citation :
Publié par Lesterknob
Effectivement ça a l'air aussi complexe que ce que je pressentais.
Si on résume :
Des faits vrais (supposons qu'on peut les prouver) ne peuvent donner lieu à des poursuites pour diffamation
Ah ben si. Je croyais aussi qu'on pouvait utiliser "l'exception de vérité" de manière absolue, mais apparemment la jurisprudence montre que non.
Donc c'est la grande blague de la diffamation, le principal critère c'est "est-ce que ça a vraiment porté atteinte à l'honneur/carrière etc".

Mais là il s'agit que de "donner lieu à des poursuites".
Pour une condamnation derrière, c'est beaucoup plus compliqué, et ça dépend vraiment des cas.
L'article wikipedia est un peu bordélique mais pas trop mal. https://fr.wikipedia.org/wiki/Diffam..._fran%C3%A7ais

Dans le cas d'OP, je pense que la justice prendrait en compte plusieurs critères, dont :
- Est-ce que la personne est vraiment identifiable, y compris par le grand public ? S'il faut être hyper initié à un certain milieu de niche, je pense que ce ne sera pas retenu comme de la diffamation.
- Est-ce que c'est clairement fait pour nuire à la personne, ou est-ce que ça peut dépendre des interprétations ?

En gros, c'est pas aussi simple que "joker c'est de la fiction".
Ni que "Ok mais c'est vrai" : même si c'est vrai exposer les agissements d'une personne au grand public peut être condamné pour diffamation si c'est fait expressément pour nuir à la personne (et donc là ça dépend des cas).
Mais… selon les cas, ça peut nuire à une personne grand public blabla et quand même pas être condamné pour diffamation… que ce soit parce que la personne est suffisamment pas reconnaissable, les faits suffisamment modifiés, ou encore vraiment totalement démontrés de manière absolument incontestable et déjà connue du public, par ex. Tu vas pas être condamné pour diffamation parce que t'as écrit un livre où tu reproches à Zidane d'avoir mis un coup de boule en finale en 2006.
Comme dit plus haut, ce sera à l'appréciation du juge,

Mais si j'écris un roman de fiction dans lequel j'écris :

"Gérard Pinchon était un petit manager aigri de la société Pinpin-Mouloux. Responsable des équipes de maintenance, il n'était jamais avare d'une blague raciste ou salace, son plus grand fait d'armes à son poste qu'il occupait depuis 5 ans : avoir placé une caméra miniature dans les WC des femmes "

Si j'indique que mon roman est inspiré de mon expérience pro dans le même secteur que la société fictive pinpin-mouloux et que dans la société réelle (appelons là Gubatex), dans laquelle j'ai côtoyé Maurice Goublon, responsable des équipes de maintenance et que des détails entre la personne et le personnage fictif, sont trop similaires et permettent de les associer sans mal .

Il sera facile pour Maurice Goublon de démontrer qu'il y a diffamation, justifiant qu'il dirige un équipe de 40 personnes qui m'ont côtoyé en tant que salarié et on reconnu Maurice dans le personnage de Gérard. Il lui sera d'autant plus facile de démontrer mon intention de nuire si :
- J'ai été en conflit avec Maurice et qu'il peut le prouver.
- J'ai fait la promotion de mon livre auprès de mes anciens collègues en mode " J'ai écris ce bouquin en m'inspirant de mon passage chez Gubatex vous allez bien vous marrer et certainement reconnaître du monde"
S'il s'agit d'une transposition dans un cadre totalement différent (une tribu de chasseur-cueilleurs à la place d'une entreprise d'informatique), ça va être compliqué de parler de diffamation…
"Donc, vous affirmez que le grand sorcier Ouraguk représente en réalité Marco Chifon-Serpi du service comptable et que le sacrifice humain de la page 147 est en réalité une allusion au licenciement économique de Frédérique Bithur de Lacuite ? "
Citation :
Publié par Aloïsius
S'il s'agit d'une transposition dans un cadre totalement différent (une tribu de chasseur-cueilleurs à la place d'une entreprise d'informatique), ça va être compliqué de parler de diffamation…
"Donc, vous affirmez que le grand sorcier Ouraguk représente en réalité Marco Chifon-Serpi du service comptable et que le sacrifice humain de la page 147 est en réalité une allusion au licenciement économique de Frédérique Bithur de Lacuite ? "
C'est drôle, car pour les membres de notre milieu professionnel, l'analogie en question était limpide
En l'occurrence cela décrivait des faits réels, mais le même auteur pourrait dénoncer des faits imaginaires par le même biais sans risquer la moindre poursuite ?
On aurait trouvé le cheat code ici. Donner la pierre de rosette en décrivant suffisamment de faits réels précis dans un folklore alternatif. Une fois que les gens du milieu et uniquement eux peuvent comprendre, balancer des accusations diffamatoires scénarisées dans le monde alternatif. Ca doit pouvoir s'utiliser pour jeter l'opprobre sur un dirigeant syndical, un cadre d'une chapelle adverse, ou que sais-je.

Pour donner un peu plus de contexte sur le topic, je discute avec un ami de rédiger des récits sur nos expériences pro. C'est un milieu technique et qui comporte certains risques (comme partout j'ai envie de dire).
Ainsi les questions que je suis amené à me poser sont plus précisément :
- Exagérer les situations de risque au travail peut-il m'être reproché par mon employeur, si c'est fait uniquement dans le but de tenir le lecteur en haleine ? Et contraire à la réalité de manière évidente pour tout professionnel du secteur (exemple : dire que le four d'un boulanger est tellement chaud qu'il pourrait m'arracher la main si elle n'était pas protégée par ma manique)
- Inventer des situations loufoques peut-il m'être reproché ? Par exemple, il y a des matériels qui sont très chauds, et j'invente à un moment que certains employés vont se faire bronzer sous leur chaleur, par terre dans l'usine, en attendant que des fournitures manquantes arrivent.
Jusque là on dirait non, mais un épisode en particulier me parait plus litigieux :
- Mettre en lumière la mauvaise gestion de l'employeur, peut-il être attaquable ? C'est uniquement pour la vivacité du récit et pas pour porter préjudice à ces personnes que j'affectionne par ailleurs, c'est juste qu'elles ont mal géré sur ce coup.

Citation :
Il lui sera d'autant plus facile de démontrer mon intention de nuire si :
- J'ai été en conflit avec Maurice et qu'il peut le prouver.
- J'ai fait la promotion de mon livre auprès de mes anciens collègues en mode " J'ai écris ce bouquin en m'inspirant de mon passage chez Gubatex vous allez bien vous marrer et certainement reconnaître du monde
Le récit ayant vocation à rassembler un maximum de situations, jusqu'à constituer un livre, il y aurait assez peu de chapitres pouvant porter préjudice.
Peut-on s'exonérer de l'intention de nuire si c'est un chapitre unique qui s'intègre à l'histoire, et que rien de tel ne transparait ailleurs que dans cet épisode ?

Pour finir, que peut-on dire d'un sous entendu appuyé ?
Par exemple, je décris mille problèmes ayant cours dans cette usine. Des défauts de maintenance principalement.
Puis je conclus mon récit en disant "Jean-Bidule prit le carnet de maintenance, s'enferma dans son bureau, et rédigea. Il rédigea".

Après, si le juridique est une chose, sur le plan moral je pense qu'un tel texte me grillerait Le milieu n'est pas très gros.

Dernière modification par Lesterknob ; 05/05/2024 à 02h49.
Citation :
Publié par Lesterknob
Le récit ayant vocation à rassembler un maximum de situations, jusqu'à constituer un livre, il y aurait assez peu de chapitres pouvant porter préjudice.
Peut-on s'exonérer de l'intention de nuire si c'est un chapitre unique qui s'intègre à l'histoire, et que rien de tel ne transparait ailleurs que dans cet épisode ?

[...]

Après, si le juridique est une chose, sur le plan moral je pense qu'un tel texte me grillerait Le milieu n'est pas très gros.
Tu peux être attaqué sur une phrase, un mot, peu importe le reste du livre. Si la situation est volontairement caricaturale, tu es plus ou moins couvert.

Si tu pense te faire griller directement, il y aura matière à attaquer mais pas forcément à gagner un procès contre toi.

Tu parles beaucoup des problèmes de maintenance, est ce que c'est connu en dehors de l'usine ? Exposer un problème caché qui peut nuire à l'usine nécessite d'avoir des preuves pour que ce ne soit pas de la diffamation.

Tu devrais refaire lire par un avocat.
Ca me fait penser au livre 99F pour lequel Beigbeder c'est fait virer par son entreprise de com. Malgré le fait qu'il avait changé le nom des entreprises et des personnes, l'identification était quand même sans équivoque.
Après à part son renvoi pour faute grave, il me semble pas qu'il y ai eu des conséquences juridique en diffamation ou quoi que ce soit.
Citation :
Publié par Krowax
Ca me fait penser au livre 99F pour lequel Beigbeder c'est fait virer par son entreprise de com. Malgré le fait qu'il avait changé le nom des entreprises et des personnes, l'identification était quand même sans équivoque.
Après à part son renvoi pour faute grave, il me semble pas qu'il y ai eu des conséquences juridique en diffamation ou quoi que ce soit.
Tu imagines bien qu'un renvoi serait une catastrophe pour n'importe qui impliqué
Ce livre ne verra donc jamais le jour.
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