Faisant partie des premiers habitants venus repeupler le village de Bahrcelieux, j'ai toujours vécu à l'écart des autres habitations, à la lisière de la forêt où je me rends régulièrement pour ramasser les plantes et autres champignons nécessaires à la fabrication des cataplasmes dont les villageois ont régulièrement besoin. Les travaux des champs entraînent en effet des lésions innombrables : être fermier est un métier bien plus dangereux qu'on ne l'imagine et, à tout prendre, si j'avais dû avoir le choix, j'aurais préféré être soldat. Bien heureusement, je n'ai pas à m'occuper d'animaux indociles - hormis ma satanée chèvre - ou à manipuler des outils lourds ou tranchants.
Voilà maintenant des années que je panse les plaies et les bosses du village et, j'en suis d'ailleurs assez fier, j'ai mis au monde la plupart des jeunes bambins qui couraient hier encore dans les rues.
Depuis la tragédie, bien entendu, leurs parents les gardent dans leurs chaumières et l'ambiance est devenue bien morne.
Il paraît que certains membres de la communauté ont décidé de réagir contre le fléau qui s'est abattu sur nous et que les fermiers vont mener la résistance. Je n'ai pas pour habitude de m'immiscer dans les affaires du village, mais je vais aller prêter main-forte à ces gens-là : nul doute que confrontés à des bêtes qui tuent des enfants, les villageois auront besoin de quelqu'un capable de les soigner.
(...)
Parvenu sur la place du village, j'aperçois un attroupement devant un panneau et m'en approche. Comme souvent, les autres s'écartent sur mon passage : s'ils ont besoin de moi, ils ne m'aiment guère, ne parvenant pas à comprendre comment je les soigne, et je dois dire que j'ai souvent entendu des murmures peu flatteurs à mon sujet. Je ne m'en suis jamais soucié.
Après avoir lu la proclamation, j'exprimai mes réflexions à haute voix - une vieille habitude qui me valait des sobriquets tels que le Fêlé ou le Fada.
"Ma foi, un maire, pourquoi pas. Faut bien quéqu'un pour diriger les r'cherches. Mais qui d'vous-là pourrait-y faire l'affaire ?
Bah, j'vous connais presqu'tous, mieux que vous ptêt bien, et m'semblez point avoir la fibre de chefs.
M'enfin on va voir si y a d'autres gars qui sont tentés, après tout, la journée est pas finie."
En attendant de voir comment tout cela allait tourner, je décidai de m'écarter un peu : je ne tenais pas à croiser le bailli Cerbardus, qui ne ratait jamais une occasion de me tancer pour l'aspect négligé de ma demeure qui, à l'entendre, effrayait les colporteurs et décourageait les nouveaux arrivants. Bref, un enquiquineur. Comme si la maison d'un guérisseur devait être proprette et accueillante : enfin, je n'allais pas inciter les villageois à tomber malades pour le plaisir de venir me rendre visite !
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