Le goût de la langue

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Le goût de la langue

Une série édifiante

par La Clef


« On ne va pas se prendre la tête ». Eh bien, on a tort. On devrait se la prendre un peu plus souvent, ne serait-ce que parce que cela occupe utilement les mains qui sinon reposent bêtement sur les genoux ou vont s'égarer en n'importe quel endroit. Nous pourrions aussi longuement argumenter sur l'importance de se tenir droit dans la vie plutôt que de vivre relâché, amolli, cool, mais nous ne serions pas entendus.


Les moralistes, dont je suis, tiennent souvent le mauvais côté du manche. Ils veulent nous élever à coup de trique. En un temps où chaque individu est fier et croit valoir assez les quelques milliards d'autres que la planète supporte, c'est se tromper lourdement de méthode. Aussi, me suis-je proposé de parler un tout autre langage, dans un but pourtant édifiant, celui du plaisir.


Ah, le plaisir ! Comme on aime à en parler et comme chacun se presse de s'en dire l'ami ! Or, que voit-on ? Que ce qui prend ce nom ne sont que de faibles et fugaces excitations: un supplément frites dans une entreprise de restauration rapide, une adroite fellation par une amie portugaise, un film nouveau avec des acteurs qu'on aime, une soirée entre amis dont on rigole encore le lendemain et qu'on a oubliée deux jours plus tard. Derrière cet apparent éloge aux plaisirs de la vie, se cache un profond scepticisme, une sorte de christianisme inavoué, une austérité qui ne se pense pas elle-même: la vie n'a rien de mieux à nous offrir, consumons-la avec frivolité en attendant la mort.


Erreur ! Il y a bien mieux à en attendre que ces surfaces glissant sur d'autres surfaces et chacun, en certaines occasions bien rares, a pu éprouver quelque moment d'une profondeur qui ne trouve pas de mot pour se dire. Mais voici assez de mystères. Révélons plutôt un secret que se passent de siècles en siècles les véritables amis de la vie: le plaisir se cultive.


Scandale ! On voudrait nous faire travailler pour jouir ! -- Non point. Nous nous proposons seulement de lever un peu le voile qui sépare nos regards de la profondeur de ce que nous possédons déjà. Notre corps, nos sens, notre pensée, voilà les instruments du plaisir. Si on les laisse à leur état grossier, on n'éprouvera jamais rien que de grossiers remuements. Si l'on veut connaître des jouissances irisées, verticales ou sonores, il faudra consentir à cet effort de s'affiner soi-même, de « sculpter sa propre statue ».


Nos premières leçons seront consacrées à la langue. Ne faites donc pas la moue: notre vie est, dans sa plus grande part, une simple histoire de mots. Nous apprendrons à les soigner.








[ Qu'il soit entendu ici, ami lecteur, que ces textes sont écrits et qu'ils le sont à l'image d'autres. On trouverait à me reprocher aisément de la hauteur et du dédain. Je les ai trouvés chez de vieux maîtres, excellents maîtres, hommes détestables. De la même façon qu'on ne peut présenter une émission de cuisine sans embonpoint, on ne peut écrire sur le « bien parler » qu'avec un regard d'aigle, des mains osseuses et des lèvres fines et méprisantes. A défaut d'être doté de ces attributs, il faut les imiter. N'étant rien en particulier, j'ai le goût pour la fiction. ]
Les liaisons
1-





Parler, ce devrait être toujours faire oeuvre de délicatesse. C'est ainsi que l'on respecte au mieux la finesse de l'oreille et la disponibilité de la pensée de son interlocuteur. Hélas, comme bien des gens n'ont cure de la façon dont ils parlent « pourvu qu'on les comprenne » ! N'est-ce pas là une marque bien nette de barbarie ? Qui soutiendrait qu'il n'importe pas de savoir comment on cuisine « pourvu qu'on mange » (ou, plus probablement, « pourvu qu'on bouffe ») ? Qui négligerait les arts érotiques au prétexte qu'on "jouit" aussi bien sans eux ?

Il y a justement quelque rapport entre la parole et l'acte sexuel pour celui qui a compris comme, dans les deux cas, le plaisir y vient de la liaison. La raison pour laquelle les films pornographiques ne sont pas érotiques, et qu'ils habitent notre imaginaire sans l'enchanter, tient à ce qu'ils éludent systématiquement les transitions pour nous livrer, découpées, les différentes séquences brutes de l'acte sexuel: on ne s'y déshabille pas, on y est toujours déjà nu, prêt pour tous les coïts.

A combien de souffrances l'ami des liaisons ne s'expose-t-il pas dans la vie quotidienne ! Un mot attire particulièrement à lui toutes les catastrophes: l'euro, notre monnaie. Cent fois par jour, il se trouve affublé d'un H aspiré qu'il n'a jamais porté et qui ne lui siérait guère. Tous les boutiquiers le bousculent et le soulignent.

Et voilà qu'on vous rend la monnaie sur "vingt h'euros" ou qu'une modeste emplette vous coûte "deux h'euros". Aurait-il donc été plus cher de dire, ici, "vingt t-euros" et là, "deux z-euros" ? Sans doute pas... Passe encore que bon nombre semble ignorer que "quatre-vingts" prend un S s'il n'est pas suivi d'un autre déterminant numéral (comme dans: "quatre-vingt-quatre", par exemple) et que ce S doit donc s'entendre, mais d'où vient donc ce ridicule "cent z-euros" que l'on entend continuellement ? De la crainte de paraître affecté en prononçant la liaison avec le T ?

Les liaisons ont mauvaise réputation. On ne peut se passer de toutes mais on cherche à les éliminer. Ainsi le veut la religion du mot séparé, dont nous aurons l'occasion de parler à nouveau. Pour l'heure, bouchons nos oreilles et courons au théâtre, où l'on peut, par surcroît, alors que le rideau tombe, se toucher un peu la bite.
Un délice pour ceux qui aiment la langue et cultive le bon usage des mots.
J'attends la suite avec impatience, car en plus d'être instructif et de bonne réflexion, voila qui se lit comme du petit lait.

Ne faites pas l'entracte trop long, monsieur !
Il serait dommage de me stopper alors que j'huile le bois de mon strapontin.
T'es partie dans un délire là avec tes 'liaisons' en pensant a l'unification de deux corps charnelle, et les liaisons avec les chiffres... Oui, la langue ne sert pas qu'a parler, elle nous fait prendre et découvrir bien des plaisirs chaque jour que ce soit le goût, le chaud/froid, le toucher....
Citation :
Publié par Soir
Sa s'est parler ! Je sous-tient plaineman. Et jè un ami a te présenté, il te plèras : http://www.teaser.fr/~epersonne/francais/ezine/bd_012.htm
Je le dit haut et fort, j'aime Talon !
Il m'a donné le goût de la langue quand j'étais gosse, ce con.
Je lisais ses bandes-dessinés comme d'autres.. d'autres.
Ben moi aussi j'aime Talon. Comment ne pas aimer quelqu'un qui dit "La noblesse de cet élan n'a d'égale que l'envergure de son inconséquence. Je salue : ce n'est pas à la portée du premier irresponsable venu. " . Un peu comme ce sujet, quoi.
Après que j'ai lu ton message avec attention, j'ai choisi, entre deux possibilité -celle de laisser le texte de côté et celle de le transmettre- l'alternative de le copier dans un courriel. Je ne peux que t'approuver: nous cherrions si nous laissions de côté une sémantique aussi riche que celle de notre langue. Il n'est pas'z encore temps d'y songer. Nous ne sommes pas des z'our analphabètes ou des "h"andicapés de l'expression orale,


- J'aime la langue comme elle est: évolutive.


(ps: mes excuses d'avance si j'ai fait des erreurs dans mes tournures malgré mon soin, "errare humanum toussa toussa"

ps2: le correcteur connaît "cherrions"! Drôlement fortiche... )
T'as oublié les gens qui disent "huit z'euros", "donne-moi z'en", "trop z'émotif" etc.

(edit: au temps pour moi, tu avais précisé le cent z'euros -> notez d'ailleurs le "au temps pour moi" et non pas "autant" )

Vivement qu'on passe à la leçon sur la grammaire, certaines personnes pourront comprendre qu'on ne dit pas "faut que je voye" ni "ils n'y croivent / croyent pas."

Ah et aussi la différence entre "sa" et "ça".

Et puis aussi "aller au docteur" "au coiffeur"

Sans oublier que "conneXion" prend un X et non pas CT

[...]

Oué en fait il te reste du boulot
Citation :
Publié par Bleys d'Ambre
T'as oublié les gens qui disent"donne-moi z'en"
L'un des trucs qui m'a clairement le plus marqué en fin de primaire, notre professeur avec fait une réflexion là dessus et avait dû passer une bonne demi-heure à expliquer pourquoi c'était incorrect. Maintenant à chaque fois que j'entends "donne-moi z-en", j'ai les dents qui grincent et une sauvage envie de reprendre la personne dans ce qu'elle viens de dire, d'autant plus énervant que ces sacripants s'amusent la plupart du temps à renchérir frénétiquement cette même phrase les uns après les autres, comme s'ils avaient conscience de leur erreur et qu'ils en connaissaient l'effet sur ma pauvre personne. Monde injuste me dira t-on, mais c'est évidement ce qui fait son charme et ce pourquoi il y a toujours de l'intérêt dans cette existence dérisoire.
Citation :
Publié par Tsabo
L'un des trucs qui m'a clairement le plus marqué en fin de primaire, notre professeur avec fait une réflexion là dessus et avait dû passer une bonne demi-heure à expliquer pourquoi c'était incorrect. Maintenant à chaque fois que j'entends "donne-moi z-en", j'ai les dents qui grincent et une sauvage envie de reprendre la personne dans ce qu'elle viens de dire, d'autant plus énervant que ces sacripants s'amusent la plupart du temps à renchérir frénétiquement cette même phrase les uns après les autres, comme s'ils avaient conscience de leur erreur et qu'ils en connaissaient l'effet sur ma pauvre personne. Monde injuste me dira t-on, mais c'est évidement ce qui fait son charme et ce pourquoi il y a toujours de l'intérêt dans cette existence dérisoire.
chui d'accord.

Mais j'ai pas comrpis.

si tu pouvais dé"velopper.
Citation :
Publié par Neosine
chui d'accord.

Mais j'ai pas comrpis.

si tu pouvais dé"velopper.
On remarquera que depuis de nombreuses années, il est devenu courant d'observer un phénomène de dégradation de la langue, comme l'explique si bien La Clef, le soucis correspondant à "donne-moi z'en" est assez simple à expliquer, et c'est pourquoi il est très choquant qu'on puisse encore être surpris à l'entendre dire dans quelque situation du quotidien, alors qu'une erreur si naïve pourrait être simplement évitée.
Il suffit de partir de la phrase "Veux-tu me donner aussi de cette eau, s'il te plait.", par exemple, pour se rendre compte qu'il faut alors prononcer, si l'on connait déjà l'identité de l'eau dans la phrase, "Donne m'en également, s'il te plait.". D'ailleurs les détenteurs d'une ouïe fine et pure pourront venir nous affirmer que cette prononciation sonne de toute manière beaucoup plus juste, et est plus agréable et élégante à entendre que la vulgaire expression populaire, dont on se demande si elle ne proviendrait pas d'un nouveau verbe à la signification encore mystérieuse à nos yeux : "moizer".
Citation :
Publié par Tsabo
On remarquera que depuis de nombreuses années, il est devenu courant d'observer un phénomène de dégradation de la langue, comme l'explique si bien La Clef, le soucis correspondant à "donne-moi z'en" est assez simple à expliquer, et c'est pourquoi il est très choquant qu'on puisse encore être surpris à l'entendre dire dans quelque situation du quotidien, alors qu'une erreur si naïve pourrait être simplement évitée.
Il suffit de partir de la phrase "Veux-tu me donner aussi de cette eau, s'il te plait.", par exemple, pour se rendre compte qu'il faut alors prononcer, si l'on connait déjà l'identité de l'eau dans la phrase, "Donne m'en également, s'il te plait.". D'ailleurs les détenteurs d'une ouïe fine et pure pourront venir nous affirmer que cette prononciation sonne de toute manière beaucoup plus juste, et est plus agréable et élégante à entendre que la vulgaire expression populaire, dont on se demande si elle ne proviendrait pas d'un nouveau verbe à la signification encore mystérieuse à nos yeux : "moizer".
j'examine ce truc demain ,quend je serais moins bourré, ok.

sinon gg le pavé
Pardon, M Tsabo. Un phénomène appelé dégradation par ceux qui aiment la langue telle qu'elle est actuellement figée dans les grammaires. Mais on va m'accuser de détourner la bonne volonté du post initial, normatif au possible mais salutaire sans doute pour ceux qui seraient susceptibles d'améliorer la qualité de leur parler. Pardon. Je me fouetterai après avoir placé une brève parenthèse.

Il n'y a pas qu'une seule conception de la langue. Certes, on divise notre langue (le parler, tout particulièrement) en deux catégories: le bon usage et le mauvais usage. Mais n'oublions pas ce qu'il y a en amont.

Basiquement, la langue cherche à communiquer. Bien parler, c'est optimiser notre communication. Grammaires, dictionnaires et autres ouvrages qui rappellent l'usage <dit> correct ont cet unique but: donner une norme à notre langue, norme à laquelle il est bon de se conformer pour être compris par une quantité maximale d'auditeurs (ou de lecteurs).

En revanche, n'oublions pas que ces ouvrages ne sont pas construits sur des règles abstraites, des axiomes ou même des évolutions chronologiques: ils tracent des lois en se basant précisément sur les usages. Paradoxe.

Il arrive donc incessamment et ce depuis des siècles que les règles du bon usage se modifient. Et donc que certaines formes deviennent une norme et que d'autres tombent en désuétude, influencés par les différences linguistiques issues des régions, des classes sociales, des proximités linguistiques, etc.... Les liaisons en font partie.

Tout n'est pas justifiable, en langue, tout n'est pas justifié. La matière est évolutive. Reprendre quelqu'un vertement en lui déclarant avec aplomb : "C'est faux" n'est souvent pas très productif, et rarement adapté. Il y a ostensiblement des formes en train de changer dans notre langue et nous n'y pouvons rien (combien de temps durera encore le "Après que" + indicatif, par exemple? Ou ta fameuse liaison Eurotique?)

Bref. Pas de quoi en faire un drame. La langue, particulièrement les formes orales, sont construites et normalisées avant tout par les locuteurs.



Pardon monsieur Clé pour le pourrissage de post. Je ne le referai plus, promis. Je ferme sagement ma parenthèse et ma grande bouche.
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