Je prend le verre de vin chaud que me tend un marchand installé pour la période des fêtes de fin d'année sur la grande place d'une ville quelconque.
Je le gratifie d'un sourire et de quelques pièces, mais il ne me rend que la monnaie, son regard se porte déjà sur l'amateur de vin chaud suivant, qui passe sa commande entre deux phrases sibyllines lancées à son téléphone, invisible.
La place est remplie de boutiquiers ambulants, tous plus doués les uns que les autres pour mettre en scène l'indispensable dans l'inutile et l'exotisme dans le banal.
Un homme achète des figurines en bois, elles sont assurément originales d'après le marchand, et l'homme tombe bien car c'est justement le dernier exemplaire en stock, ça se vend très bien, et ça fera cent euros tout rond.
L'homme quitte la place, sa trouvaille à la main, se félicitant probablement d'avoir utilisé ses finances à bon escient : il pourra faire face honorablement au rituel à venir.
Les passants se succèdent sur la place et ne se ressemblent pas, chacun sacrifie comme il se doit aux principes de singularisation vis-à-vis de ses contemporains.
Toutefois, ils ont tous certains points en commun : ils ne sourient pas, ils semblent tous avoir une destination précise et un horaire fixé, et ils portent un chapeau.
Il fait froid, très froid, à peine dix degrés sur la vieille échelle de Celsius.
Une femme passe à vélo le long de la place. Un enfant s'agite sur le porte-bagage aménagé en siège. Le vélo est vieux et l'on pourrait se demander comment il tient encore la route, mais le plus surprenant est de voir cette femme accompagner son enfant ; c'est passé de mode, après tout.
Elle a la quarantaine, mais, comme les autres femmes de son âge, les miracles de la médecine-religion ne lui en laissent guère plus de vingt d'apparence.
Quittant la place, elle croise une autre femme, qui se démarque, elle, par la laisse qui la relie au gros chien qui la précède ; on ne voit plus ces vieilles laisses, les implants télécommandés sont bien plus efficaces.
Le temps d'une fraction de seconde, un regard s'échange, puis plus rien, la ville surpeuplée reprend son aspect morne qui ne la quitte jamais.
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