Publié par Sponsachtige scout
... un couple de porcs...
Et pour la p'tite dame, 200 g de gelée de porc, comme d'habitude... Y'a un peu plus, je vous le mets quand même ?
En 2012, les gens porteront tous des chapeaux.
Assis à la terrasse du café, ça faisait plusieurs minutes que je n’avais pas touché à ma bière. Je regardais les mouches voler. Deux d’entre elles suivaient une trajectoire erratique, soudées l’une à l’autre par l’acte de copulation, mais flottant toujours dans l’air chaud et subrepticement miellé de ce début d’été. Je me dis que ce ne serait pas mal si je pouvais en faire autant, faire l’amour en volant.
L’air était chaud, disons plutôt, caressant, et pulsait parfois d’une onde chostakovienne qui en troublait l’amène indolence. La météo avait prévenu que le temps risquait de tourner comme ça. Ca ne m’avait pas dissuadé de m’installer à la terrasse. Il est parfois aussi voluptueux d’être troublé que d’être bercé, et ça préserve de l’apathie.
- Je vous prie de m’excuser, Monsieur, mais il est déjà 11H12 <bip !> Monsieur devrait faire attention s’il ne veut pas rater l’Express pour Mars, qui part du Spatioport Ray Bradbury à 11H46.
Nestor assumait ses fonctions et remplissait son devoir en me rappelant que j’étais en retard. Ses circuits avaient dû chauffer dur pour résoudre le dilemme : "Dois-je le mettre en garde ou le laisser savourer sa paresse en paix ?" La bascule s’était faîte en faveur du travail, une inclinaison naturelle chez un robot.
- Oh, fais pas chier, Néné. On prendra bien le temps de mourir !
Les senseurs oculaires de l’androïde eurent, me sembla-t-il, un infime mouvement de rétraction.
- Le temps de mourir ? Que Monsieur veuille bien me pardonner une fois de plus, mais l’espérance de vie de Monsieur est estimée à 83 ans, 8 mois et 13 jours, plus ou moins un jour, et l’Express de monsieur part dans 34 minutes <bip !> Aussi, souhaitons que Monsieur décède bien après de manquer son Express pour Mars.
Je m’interrogeais en observant les éblouissements solaires qui éclataient sur la surface du crâne métallique et poli de Nestor : Jusqu’à quel point la machine était-elle involontairement ironique ?
Je répliquai :
- Fais chier, Nestor. Je prendrai celui d’après. Va donc au garage du coin, prends-toi un godet d’huile première pression à froid, et reviens dans une demi-heure, tu veux ?
- Oui, Monsieur.
Etendant mes jambes sous la table, je m’avachis entre les bras du siège osmoplastique, qui s’incurva alors pour épouser mon humeur et mes formes également amollies.
D’une pichenette appliquée sur le bord de mon canotier, je me dégageai un panorama sur le ciel rose pamplemousse, que zébraient de sporadiques lueurs amandes ; ils l’avaient bien dit, à la météo, que le temps serait instable jusqu’en fin de matinée.
En contrebas, de hauts et solides palmiers neptuniens déployaient leurs parures ultramarines au grès de courants invisibles, suivant une oscillation en légère décohérence. Au-delà de cette haie d’honneur exotique, une forêt d’immeubles aux architectures floues, tantôt courbes tantôt polygonales, se gondolait et se transformait comme du verre en fusion. L’un d’eux, le "Matsu Hito Building", venait d’acquérir la géométrie d’une sphère parfaite, avant d’accueillir en son sein un transport aérodyne, à la carlingue de jade et d’or, comme un gigantesque organisme ovocyte se ménageant une bouche pour gober une gamète mâle électronique et étincelante.
Avançant un pied hors de ma torpeur doucereuse, je me redressai - un geste et une intention que le siège osmoplastique accompagna en mutant aussitôt –, et portais à mes lèvres le verre de bière, afin d’en déguster de petites gorgées fraîches et amères, en dessous de la mousse assez dense.
Autour de moi, les gens déambulaient, sans qu’il fût possible de deviner vers quelles destinations et pour quels dessins ils s’acheminaient ainsi, promenade ou simple trajet utilitaire. Je voyais défiler des combinaisons en cellophane fuchsia, des redingotes aux basques mordorées, des ponchos d’aluminium, des chapeaux melons blancs écrus, des shakos à l’orfèvrerie rutilante, des chapeaux haut-de-forme diffusant sur toute la longueur de leurs circonférences des sentences en caractères chinois comme des dazibaos horizontaux. Les visages étaient gais et fiers ou sereins et mélancoliques ; certains frissonnaient des épaules sous l’averse chostakovienne. Un enfant emballé dans un burnous bleu zigzaguait parmi le train des passants, entraînant à ses trousses un petit dragon cyborg de la taille d’un chiot, et dont la langue fourchue brinquebalait hors de sa gueule, exténué qu’il était par le rythme de la course.
Et puis soudain, quelqu’un frôlant par inadvertance mon aura méta-psychique, en froissa doucement les franges. Elle avait des talons hauts et des bas résilles fluorescents, sous une jupe lamée écarlate ; son buste nu se colorait de tatouages chatoyants et animés, un serpent à plumes se lovant autour de ses seins, emmené de l’un à l’autre par une reptation soyeuse et ininterrompue. Son ventre était une forêt tropicale attendant la mousson où l’écrin de son nombril recevait un rubis moghol de petite taille, si vif qu’il paraissait briller d’un feu actinique. Sa chevelure rousse descendait en cascade indienne de dessous le béret pourpre dont elle s’était coiffée.
Je ne parvins pas à attraper son regard, mais, en passant à proximité, sans qu’elle s’en rendit compte - je le présume -, son troisième œil s’entrouvrit sous l’effet d’une concordance ontologique entre nos deux résonances synaptiques. Mon troisième œil s’ouvrit à son tour avec stupéfaction et nos flux harmoniques entrèrent en syntonie. Un flot d’excitation et de crainte me submergea en dévalant le canal cérébro-spinal avec une délicieuse acidité, alors qu’un napalm ravageur de dopamine engloutissait dans un incendie gourmand toute ma raison. Nos êtres astraux vibrionnaient au centre d’une stase spatio-temporelle ; c’était comme si elle et moi, nous nous connaissions vraiment.
Cela dura quelques secondes... Je crois.
Et puis elle s’éloigna, et le lien se désagrégea sans douleur. Ma conscience individuelle se recomposa peu à peu. Un claquement pendulaire, comme le balancement d’une horloge atomique ou le chant d’un pulsar. J’entendais encore le bruit de ses talons sur l’asphalte, en contre-point des notes aquatiques de l’une des gymnopédies d’Erik Satie.
La météo ne s’était pas trompée.
Bordel de Dieu ! Mais qu'est-ce que c'est que ces conneries ! Simone, change de chaîne !
* Bbzzzzt ! *