Rédemption partie 2
Le monstre la tenait fermement entre ses énormes pattes griffues et s’apprêtait à la déchiqueter. C’est alors que l’elfe, comprenant que sa magie n’agirait pas avait utilisé l’un de ses deux longs poignards courbes. Elle l’avait planté profondément dans le palais de la bête alors que celle-ci ouvrait grand la gueule pour lui arracher la tête. Bien sur le monstre l’avait lâché dans la neige et s’était enfui en glapissant de douleur, mais elle avait perdu définitivement son arme ainsi que bon nombre de ses facultés motrices…
Son arme…
Le simple fait de regrettait un bien matériel représentait-il un signe de sa guérison ? C’était un beau poignard… un manche d’ivoire ouvragé, finement ciselé d’or, une garde en Mythril et une lame elfique longuement travaillée, marquée de runes qu’elle n’avait jamais réussi à lire. Heureusement qu’il lui restait son jumeau. Peut-être que les moines consentiraient à le lui rendre lorsqu’une bonne âme sera venue la réclamer…
Car c’était là le but de son emprisonnement. Perdre toute sa mauvaise magie en vivant recluse dans la zone d’anti-magie du temple des Bergers de la Toile.
« - Lorsque le temps sera venu, un ami bravera à force de courage et de ténacité les 8000 marches. S’il en sort vainqueur comme tu l’as fait, alors il pourra te réclamer, et le temps de ta pénitence sera terminé. Ta guérison sera complète et ta magie oubliée. Guère plus qu’un mauvais souvenir. Mais pas encore, non, pas encore… »
« - Mais suis-je obligée d’endurer un tel emprisonnement ? » Avait-elle demandé à son arrivée.
« - Ta pénitence doit être similaire aux conditions de vie de nos agnostiques. Par la privation et la méditation tu pourras atteindre la transfiguration qui te permettra de te laver de cette magie négative qui s’est emparée de toi. Tu utilises la Toile de l’Ombre de Shar jeune elfe. Ton esprit, ton cœur et ton âme sont pervertis par une telle ignominie ! »
Elle était maintenant de retour à Eauforte. Ce devait être la fin de l’été, peut-être le début de l’automne. La nuit était chaude et les rues illuminées. Une fête battait son plein devant les portes du Théâtre des Illusions. La foule se pressait tout autour d’elle, allait et venait, dansait et buvait et à la faveur d’une bousculade, elle se trouva nez à nez avec Joshua.
Bien sur elle n’était pas là. Mais le revoir de si près lui gonfla le cœur d’une émotion nouvelle. Etait-ce de l’amour ? Elle n’aurait su le dire. Elle aurait voulu trouver sa sœur, mais il y avait trop de monde, alors elle saisit l’opportunité qui se présentait à elle et tenta de parler à l’âme de son ami :
« - Joshua… Mëryl… Bergers… 8000… »
Mais déjà la vision s’estompait, laissant la petite elfe effondrée sur le sol de pierre de sa cellule… Quand l’occasion de renvoyer un message se représenterait-elle ? Elle l’ignorait.
Epuisée, elle ferma les yeux, comme si par ce simple réflexe l’obscurité qui l’entourait pouvait disparaître…Puis elle revit les derniers jours de son ascension. L’avalanche qui avait failli l’engloutir, les cris du yéti qui l’avaient poussé à grimper plus vite, la neige et le froid qui avaient engourdi ses multiples contusions lui permettant d’avancer encore et encore…
Jusqu’à ce que les marches s’arrêtent devant un large précipice.
Curieusement, le Dragon qui gardait la passe l’avait aidé à sauter le gouffre. Un énorme Dragon Blanc dont les écailles, luisantes de glace trahissaient son grand âge. Se détachant de la montagne comme s’il en avait fait parti, Il s’adressa à elle, dans la langue des elfes, et sa voix, bien qu’effrayante et caverneuse avait été d’un grand réconfort. Le yéti qui la poursuivait lui servit de pitance, et après son repas, il lui expliqua longuement le pourquoi de sa présence en ces lieux.
« - Je me nomme Rauhozel’înbaach-Lôlag Rosshvâ’Chkonn, je suis la gardienne de la passe de Mystra. Seuls les moines et les pénitents ont le droit à mon aide pour traverser le précipice. Les autres doivent descendre au fond du gouffre et affronter ceux qui y vivent pour ensuite escalader l’autre côté et continuer leur marche si ils ont survécu bien sur… Toi, jeune elfe, à quelle catégorie appartiens-tu ? »
« - Je crois que vous pouvez me compter parmi les pénitents Ô grand Dragon des cîmes. »
« - Je peux lire en toi, et tu ne m’as pas menti. Grimpe sur mon dos, nous allons traverser le gouffre… »
Et c’est ainsi que l’elfe pu continuer sa longue marche vers le sommet.
Mais plus encore que le froid, le dernier avertissement de Rauhozel’înbaach-Lôlag avant de lui dire adieu lui glaça les sangs :
- Soit prudente petite elfe, le démon que tu as renvoyé dans les abysses sera bientôt de retour sous une forme différente qui ne m’a pas encore été révélée. Son esprit est hanté par ton image et la vengeance est sa seule pensée… Avait-elle crié à travers le vrombissement de ses longues ailes membraneuses alors qu’elle prenait son envol pour retourner de l’autre côté de la passe.
Deux jours plus tard, alors que les marches s’étaient faites de glace, elle émergea des nuages et, sur le parvis du Temple, elle contempla la mer blanche et cotonneuse qui baignait l’endroit. Des pics encore plus haut s’étendaient d’Est en Ouest, formant la chaîne que tous nommaient « L’épine Dorsale du Monde ». Elle se retourna et avança jusqu’à l’imposante porte de pierre, et, à l’aide d’un gros butoir de bronze, frappa la porte pendant de longues minutes.
Oui, Dieux que les minutes étaient longues dans cette cellule !
Les moines avaient dit qu’elle devait oublier.
Et c’était vrai. Elle commençait à oublier. D’où venait-elle déjà ? Qui était-elle ? Quel était son nom ? Ces questions qui flottaient dans le noir tout autour d’elle l’affolaient. Il fallait se raccrocher aux souvenirs qui subsistaient dans sa tête.
Où en était-elle de ses pensées ?
Ah oui, l’arrivée au Temple.
Un vieux moine chauve, engoncé dans une robe orange l’introduisit dans un petit boudoir où semblait méditer un autre moine qui avait l’air aussi vieux que la montagne elle-même. Lorsqu’il ouvrit les yeux sur l’elfe, un mystérieux sourire déforma soudain son visage parcheminé, donnant à ses rides l’aspect de crevasses aussi profondes que la Passe de Mystra.
L’homme se déplia difficilement et s’avança vers elle à petits pas. Encore plus petit qu’elle ne l’aurait pensé, il se mit sur la pointe des pieds pour pouvoir la regarder dans les yeux :
« - Beaucoup de mauvaise magie nous avons là. Mais pur fut ton cœur jeune elfe. La privation et l’emprisonnement tu subira pour laver ton âme. Et seulement lorsqu’un être cher te réclamera libre tu seras ! »
Ainsi donc le sort en était jeté.
Depuis des mois elle attendait. Telle une princesse dans la plus haute tour d’un château enchanté, elle attendait. Elle attendait.
Trouverait-elle la force d’envoyer d’autres messages à ses amis ?
Viendraient-ils la chercher ?
Elle attendrait…
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