De prime abord, je ne vois pas ce qu'on ne peut pas comprendre dans ce film. Qu'on ne "comprenne" pas Inland Empire de David Lynch ne m'étonne pas: ce n'est pas qu'il n'y ait rien à "comprendre" mais, visiblement, le film n'a pas été fait pour être "compris". Par "comprendre", j'entends le fait de saisir le sens d'une histoire qui est racontée.
Dans Eyes Wide Shut, l'histoire me semble très explicite et claire et d'autres posteurs l'ont exposée. Ce qui rend difficile la compréhension de certains, c'est peut-être le fait qu'ils ne saisissent pas les ressorts affectifs qui poussent les personnages à agir et à penser comme ils le font. Ce serait donc plutôt un défaut d'expérience qu'un défaut d'intelligence, pour employer le terme du premier posteur, qui empêcherait de saisir le sens et l'intérêt de l'histoire. Il faudrait alors mettre le film de côté et se dire qu'on le reverra dans quelques années, après avoir connu une vie de couple et les affects, les rêveries, les craintes qui peuvent y naître.
La fin de l'histoire m'avait surpris. Est-ce parce qu'il est devenu rare de voir une fin "heureuse" dans un film de cinéma (que je distinguerais d'un film de consommation, par commodité) ? C'est plutôt dû au caractère moral que cette fin projette rétrospectivement sur l'ensemble de l'histoire. Par là, je ne signifie pas qu'Eyes Wide Shut soit un film moralisant, c'est-à-dire qu'il promeuve certaines conduites, qu'il nous commande de suivre une quelconque façon d'agir. Je ne crois pas que ce film nous incite à conclure: "eh bien, dans mon couple, si je veux que tout se passe bien, il faut que nous fassions souvent l'amour". C'est à l'histoire de ce couple qu'on assiste.
Si je qualifie l'histoire d'Eyes Wide Shut de morale, c'est au sens où l'on parle de conte moral ou de fable, c'est donc lié à la structure même de l'histoire plus qu'à ce qu'elle raconte. Les personnages, leurs actions et les événements qui leur arrivent paraissent avoir illustré une sentence ou une maxime, qui pourrait bien être, comme le suggère Dandal, qu'il faut cultiver son jardin. C'est étonnant de voir un film si contemporain par bien des aspects suivre une structure narrative héritée de la littérature classique. Cette sorte de tension entre la matière cinématographique et la structure de l'histoire est probablement à l'origine de l'embarras, de la déception ou de l'incompréhension dont témoignent ici certains posteurs.
D'autres parleront sans doute mieux que moi des qualités manifestes du montage, du cadrage et de la photographie d'Eyes Wide Shut. Je veux seulement retenir, pour finir, la très longue scène de l'orgie qu'on ne peut pas oublier quand on l'a vue et qui tient de l'hallucination inquiétante, du rêve dont il y a craindre qu'il soit plus réel que "la réalité". Pas étonnant que le nom de Lynch soit venu sur le tapis, finalement.
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