Il y avait Lucile, qui s'entendait dire depuis gamine que son vivant cognait comme son paternel. Même nez, même caractère, même façon de manger, même gourmandise pour les pâtes de fruits et identique façon de se mouvoir dans l'espace, le pied droit légèrement vers l'intérieur, discret. Aujourd'hui en place numéro 12, elle soupire une brise sur sa caisse enregistreuse et regrette de n'avoir pu être danseuse. Parce qu'elle avait un nez trop gros. Parce qu'elle avait un caractère. Parce qu'elle était trop gourmande. Parce qu'il lui manquait une démarche gracieuse. "Oh lala, c'est fou ce que tu ressembles à ton père !".
Il y avait Delphine, qui avait grandit dans un logement social à Paris. Parce son grand frère cumulait les conneries, elle se faisait coton avec ses parents, petit sucre doucâtre et attentionné, discrète "pour faire du bien, compenser le mal, équilibrer la balance". Au service du bien et de l'amour filiale. Léger papillon de couleur, bonnes notes à l'école etc. Aujourd'hui elle se tient debout dans son jardin, lotissement propre, un gamin tire sa jupe de sa petite main. Les cheveux soulevés par une petite brise découvre un oeil abîmé par les bons soins d'un mari exigent.
Il y avait Martine, qui avait toujours quelque chose à dire. Elle ne comprenait pas comment le chômage et les gens dépressifs pouvaient exister, dès lors qu'elle avait inventé la volonté. Un peu de chagrin ne mérite pas de s'attarder quand il suffit de se secouer les puces et de faire "quelque chose" "n'importe quoi" une tarte ou un footing, du désherbage. Au journal, ces gens qui se plaignent et grognent lui semblent bien anormaux. On a pas idée de se lamenter quand il suffit de se bouger soi-même et de changer "ses" choses. Tous les jours, elle met des dizaines de coup de pied au cul de la civilisation.
Et il y a Sophie, qui avant de rejoindre les cours qu'elle prend à la fac, s'accorde une pause en terrasse d'un bar-tabac. Elle s'allume une cigarette, et ouvre son télé-poche à la page de l'horoscope. Si celui-ci est bon, elle commande au serveur de lui apporter un millionnaire "à gratter". Sinon, elle regarde le programme télé du soir et oublie les mauvaises prédictions. Un matin par semaine, télé-poche lui annonce qu'elle va rencontrer "quelqu'un" et lorsqu'elle arrive dans l'amphi, on lui fait remarquer qu'elle est jolie, aujourd'hui, avec son beau sourire et son air décontract'.
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