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Pouvez-vous imaginer un instant notre Eglise sous la houlette exclusive des femmes? Impossible, me direz-vous, injuste puisque l'humanité est constituée de presque autant d'hommes que de femmes. Alors vous comprenez ce que je vis...
COLETTE NYS-MAZURE, mère de famille nombreuse, enseignante, écrivaine, résolument chrétienne
Cher Père,
Permettez-moi de m'adresser à vous, un peu familièrement, comme à un papa. Le mien a été fauché dans un accident de la route à l'orée de la trentaine et j'ai eu des pères de remplacement qui m'ont fait découvrir la valeur de ce titre magnifique, reflet de la paternité de Dieu. Cependant, plus que toutes les mères dont j'ai hérité par la même occasion tragique - ma mère a emboîté le pas de mon père quelques semaines plus tard (1) - et plus que les prêtres qui ont jalonné mon chemin, c'est une religieuse qui m'a révélé l'amour infini de Dieu; elle m'a éveillée à la foi, à l'espérance et à la charité.
Je sais que vous êtes le père de tous, ici en Europe mais tout autant en Afrique ou en Asie, en Australie et dans les Amériques: ce n'est pas rien de composer avec tant de cultures et de sensibilités différentes! Je prie pour que vous ayez la force d'être universel. Je souhaite que vous n'hésitiez pas à aller sur place, comme le faisait Jean-Paul II, afin d'écouter les appels qui montent de chaque terre et de son peuple, d'accroître la dimension démocratique de l'Eglise.
J'appartiens à des familles où hommes et femmes partagent les responsabilités. Comme sa mère avant elle, la tante qui m'a élevée assurait l'éducation de ses quatre enfants mais aussi la charge prenante de femme de médecin de campagne. Et je me réjouis de voir que mes fils ne sont pas moins doués que mes filles pour prendre soin de leurs petits.
Notre aventure vitale est commune et il fait bon avancer en nous tenant la main dans le respect des dons de chacun, de chacune, sans hiérarchie ni sentiment de supériorité. Sans doute parce qu'elles ont porté leurs petits dans leur ventre, les ont mis au monde, et les accompagnent, comme Marie, jusqu'à la mort, les femmes ont rarement le goût du pouvoir; leur intérêt est ailleurs: elles créent la vie et l'entretiennent, elles inventent les mille façons de tisser et retisser les liens fragiles entre les êtres. Vous ne devez pas craindre de leur part la folie des grandeurs, ni la rivalité sournoise pour le pouvoir.
Laissez-moi vous confier un des malaises profonds que je ressens dans notre Eglise. Je vais vous demander un effort d'imagination, mais n'est-ce pas indispensable lorsqu'on tente de quitter son point de vue pour envisager celui de l'autre? Pouvez-vous imaginer un seul instant notre Eglise sous la houlette exclusive des femmes? Les choeurs et les conclaves peuplés uniquement de robes noires, blanches ou rouges, résonnant des voix des femmes auxquelles serait réservé le droit de célébrer la passion et la résurrection du Christ, d'administrer les sacrements, de gouverner... Impossible, me direz-vous, injuste puisque l'humanité est constituée de presque autant d'hommes que de femmes.
Alors vous comprenez ce que je vis dans le choeur de la cathédrale de ma ville remplie de prêtres qui célèbrent la fête de Pâques... et pas une femme - si ce n'est dans l'assemblée où elles sont les plus nombreuses - alors qu'elles étaient les premières au tombeau. De même, lorsque je vois la marée rouge des cardinaux qui se rassemblent pour l'élection, je tremble: aucune femme pour choisir le représentant du Christ sur la Terre! Je voudrais rêver, mais c'est la réalité cruelle.
Rassurez-vous! Je suis une femme heureuse de l'être et heureuse tout court; je n'ai rien d'une râleuse, mais j'essaie d'être lucide et cohérente. Votre prédécesseur a rappelé la dignité de la femme, le respect qui lui est dû comme à tout être humain; c'est un bon début mais il se fait temps de traduire les mots en gestes significatifs afin qu'ils ne restent pas lettre morte, autrement dit de partager les responsabilités. Oserez-vous ce tournant décisif?
Il y a Mère Thérésa et Soeur Emmanuelle, bien sûr! mais tant de femmes ordinaires pourraient délivrer leurs richesses si on leur laissait le droit de s'exprimer et d'agir, et pas seulement lorsqu'on a besoin d'elles, ponctuellement pour pallier les carences.
J'ai une immense confiance dans les ressources de chacun et de chacune alors j'aimerais que la peur aux multiples racines disparaisse du coeur des prêtres en présence des femmes. Dans le sillage du Christ ressuscité, Jean-Paul II l'a dit d'emblée: «N'ayez pas peur». La liberté de l'amour, (2) c'est elle qui rayonne de l'Evangile et nous engage à sa suite.
Je compte vraiment sur vous pour tendre l'oreille et la main à toute notre humanité, hommes et femmes parties prenantes. Le père comme la mère impriment une direction, communiquent l'esprit de famille. Je vous souhaite d'être intrépide et joyeux, large et vigoureux. Je prie avec vous et pour vous.
(1) l'Enfant neuf, Bayard, 2005-03-23
(2) Dernier livre paru chez Desclée de Brouwer, 2005.
Elle tient maison ouverte.
Elle y reçoit les fatigués, les rongés du dedans,
ceux que la vie trop courante a usés.
Les éraillés, les exténués. Leur trame est à vif.
Elle n'y touche pas.
Elle ne les dévisage pas. N'exige aucun compte. Elle sait.
Elle a traversé déserts et dérives.
Elle leur demande d'arroser les cosmos,
de clore les volets aux heures torrides,
de nourrir les chiens ou les chevaux,
de lire une histoire aux oiseaux de passage.
Des parfums de menthe, d'artichaut, d'ail, de pain
ou de tarte au sucre rôdent, enivrent et s'évadent.
Les pommes mûrissent sur les claies.
Les noix, les châtaignes patientent au creux du jonc tressé.
Le vin prend de la bouteille sous les toiles d'araignées.
Aux murs des éclats de couleurs, des formes surgies
de mains amies - peintres, sculpteurs, céramistes...
Sur les tables des livres en précaire amoncellement.
La musique relaie sa parole. Réseau subtilement ourdi.
Au couchant, elle s'assied sur le seuil en pierre
et accueille la nuit qui monte avec les cris odorants des lavandes,
la navette des chauves-souris. Accords.
Un nuage s'effiloche à la cime des arbres
dressés dans la dernière lumière.
Elle perçoit le pas de Celui qui vient.
La tisseuse in «Secrète présence», Desclée de Brouwer
© La Libre Belgique 2005
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