Moi, j'ai eu mes dix-huit ans à une époque héroïque: celle du Minitel. Des milliers de francs dépensés, à se jurer chaque facture que la prochaine fois je le trouverais cet accès en 36 14 pour ce service rose dont j'étais féru.
C'est que la robotique, ce n'est pas les concours avec des étudiants Japonais et Américains venant avec des robots qui l'a faite progresser: c'est le Minitel. Les "BJR", "CA VA?", "TU VAS BIEN?", "SUPER!", qui arrivaient sur ton écran plus ou moins en accord avec ce que tu venais d'écrire, ont su trouver avec moi une victime parmi tant d'autres, pendant un certain temps.
Mais c'était aussi l'époque où tout était plus simple! Tu tapais MAURICE ou MAURICETTE c'était deux forums de rencontres aux objectifs clairement différenciés. Aujourd'hui, sur Internet, l'un donne un site commercial, l'autre un site culturel. Complètement désorganisé.
Et puis, il y avait les sorties en ville, l'après-midi. Il s'agissait d'écumer les libraires-maison de la presse. L'occasion de jeter quelques coups d'oeil plus ou moins furtifs à la presse spécialisée.
Et les premières humiliations. Quand ayant par trop abusé, la tenancière vous lâche un "Vous avez trouvé ce que vous cherchiez, jeune homme?", il faut partir. Si la lecture a été bonne, votre profil s'est transformé et c'est embarrassant. On sort à pas étudiés.
Sitôt mes dix-huit ans atteints, je poussais sans attendre les lourdes tentures de velours rouge de ces boutiques bien souvent dépourvues de portes. A cet âge, être tenancier de sex-shop apparaît certainement le plus beau métier du monde, et si l'on ne peut pas toujours prendre conscience que cette profession est d'engeance mafieuse, au moins peut-on se rendre compte que l'atmosphère qui règne en ces lieux est particulière.
Les rayons sont chargés de produits étranges pour qui ne les a jamais vus. Et il faut manoeuvrer dans les rayons avec circonspection, car il est évident que votre présence dans certains vous classe et vous stigmatise. Ne pas rester en attente trop longtemps devant un ustensile, même s'il vous laisse perplexe.
Quand là encore vient le "Expliquez-moi, [regard direct dans les yeux] précisément ce que vous cherchez, je vais vous aider.", on quitte le magasin, les yeux brûlés par la lumière du jour et au plaisir des buveurs qui sont assemblés au comptoir d'un bistrot qui fait face, et dont la prédilection est de jauger et se gausser de qui entre ou sort de cette boutique.
Dure est la vie que j'ai vécue, si je l'oppose à celle de la jeune génération qui a l'accès à l'Internet et tout ce qu'il suppose de débauches. Mais croit-on cela pour autant sans péril? Il n'en est rien.
Certes, il est instantané de recevoir par e-mail toute sortes de documents dignes d'étude. Oui, quelques sites vous procurent bien plus de sensations que je n'ai pu en avoir. Mais la tétanie peut vous prendre, lorsque par votre entourage arrivant inopinément vous êtes surpris, alors que déjà passablement raidi.
Et surtout, il y a les tubes. Oh, pas d'adresses à donner ici, mais ils sont là. Et là, non seulement se trouvent toutes sortes de courts métrages illustratifs, mais encore l'un ou l'autre étudiant dans un mouvement de fierté particulièrement grand, peut choisir d'y poster sa propre vidéo qui le pose dans des situations valorisantes. Jusqu'à ce que les semaines passant, il puisse avoir quelques regrets, qui vont parfois jusqu'aux remords.
N'est-ce pas?
Ai-je provoqué chez certains d'entre-vous des inquiétudes? Humm... vous l'avez fait? Eh bien, si ça se sait qu'à la quatre-vingt dix septième page d'un site célèbre, dans une rubrique inavouable, on vous trouve, vous, vous ébattant, ça va faire du pétard! Il vous faudra alors choisir: fuir, renommer votre avatar, peut-être même changer votre photo. Ou bien, assumer. Et trouver un nom de scène.
Moi, je les parcours, les tubes. Et avec mon sens de l'à peu près, je peux toujours prétendre y avoir reconnu l'un ou l'autre. D'ailleurs, sur les sites qui le permettent, je n'hésite pas à mettre un commentaire: "C'est le barien machin. Vous le voyez faire ça, mais il aime aussi les voyages et la musique disco."
A ceux de mon époque, avez-vous connu les déboires que j'ai eu? Sinon, dans quel monastère étiez-vous, comment avez-vous évité mes affres?
Dix-huitenaires d'aujourd'hui, êtes-vous déjà tombé dans ces pièges que j'ai décrits? Dites-le, car alors, on ne veut pas manquer de le savoir.
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