Naissance
"Et bien! Es-tu fait de l'étoffe dont Elune brode ses martyrs pour ainsi t'époumoner? A t'entendre, on dirait que la vie n'est que maux!" fit la dame en noir, dans une expression crispée, à l'enfant hurlante qu'elle tenait à bout de bras.
Effectivement, en cet instant, la vie de cette belle enfant était douloureuse. Du cocon douillet d'une panse gonflée, elle passait aux mains râpeuses d'une sage-femme malhabile, et de la chaleur rassurante de l'antre maternelle, elle goûtait à la bise du matin qui soufflait autour d'elle. Il n'en fallait pas plus pour encolérer la demoiselle, et ses poumons, aux alvéoles fraîchement irriguées, donnaient déjà de toute leur puissance.
Ses jeunes yeux éblouis pour un rien se décollaient avec peine, lui révélant par bribes le monde hostile qui serait désormais sien, à commencer par le triste faciès de la vieille inconnue qui avait osé l'extirper de son nid douillet. Ses oreilles encrassées, déjà gênées par ses propres hurlements, firent taire sa gorge afin de saisir une voix douce et rassurante, une voix qu'elles connaissaient bien, celle de sa mère.
- Comme elle est belle... s'extasiait-elle.
- Oui, bon, vous savez, ils sont tous comme ça...
Car en plus d'être laide et brutale, la marâtre maternelle à la peau fripée était également désagréable. C'en fut trop pour la jeune arrivante, qui ne put retenir ses larmes.
- Vous l'avez fait pleurer avec vos méchancetés!
- Hmpf.. Ca pleure tout le temps, ces marmots. Je vais chercher de l'eau.
- Faites, et prenez donc le temps. Allons, calme-toi, n'écoute pas cette mégère, tu es adorable.
Adorable ou pas, la nuit passa sans que les vocalises ne cessent, et maman parti sans elle.
Adoption
Le coup ne l'avait pas tué, mais peu s'en était fallu. Sursautant au gré des pavés instables de la longue route de sa vie, Nyu - ainsi allait-elle se nommer - avait été abandonnée. Un enfant, dans une noble famille, est une babiole que l'on garde pour son aspect décoratif ou lucratif. Une nuit à gindre avait suffit à faire perdre tout l'amour artificiel que sa mère s'était promise de lui offrir, et elle s'était reveillée, la tête en sang, dans la caravane d'un mendiant qui avait récupéré la poubelle où elle avait été jetée.
"Bon sang, v'la t'y pas qu'mes ordures s'mettent à hurler! Ce s'ra bien la dernière fois que j'récupère des trucs chez un d'ces magiciens d'malheurs!"
Mais la grandeur du c½ur d'un homme est bien souvent inversement proportionnelle à celle de sa bourse, et le mendiant, huit années durant, cassa son pain en deux et fit de Nyu une charmante petiote.
Rupture
Tierfold était un gnome, et déjà, du haut de ses huit ans, Nyu était plus grande que lui. Cela valait nombre de sarcasmes à l'étrange cortège qui passait régulièrement dans les villages de Dun Morogh en quête de matériaux de récupération divers. Il était bien souvent d'humeur bourrue, mais Nyu avait également son caractère; l'équilibre était pour ainsi dire parfait.
Mais la perfection est bien trop belle pour durer. Alors qu'ils traversaient un sombre bosquet, la petite compagnie de Tierfold et Nyu fut attaquée par quelques brigands cruels. Ils tuèrent le gnome, et la jeune elfe de la nuit devint une esclave. Elle fut bien vite rachetée par une noble famille anonyme, et elle vécut cinq longues années de sévices et d'humiliation.
Puis elle n'en puit plus, et assassina ses tristes maîtres, avant de prendre la fuite. A treize ans, Nyu devint une assassine, et repris sa vie de nomade solitaire, tuant pour vivre, et vivant pour tuer. Eternelle vengeance de la vie contre elle-même; complainte de l'injustice.
Errance
Trois années passèrent, durant lesquelles Nyu devint une ombre, froide et assassine, brisée entre l'innocente folie de son âge et la pénible réalité de ses jours. Ses pérégrinations la menèrent partout dans les royaumes de l'Est, faisant fit du conflit qui opposait la Horde à l'Alliance.
Mais la vie des brigands est généralement courte, et Nyu trouva bientôt le chemin des geôles. Il est certains convois qu'il vaut mieux éviter; la leçon serait retenue, désormais. La jeunesse éprise de liberté qui habitait l'âme de Nyu la poussa à s'évader, et ses pas hasardeux, esquivant incessamment les patrouilles, la menèrent jusqu'à la foret d'Elwynn, où elle fut reprise.
Malgré sa verve et son énergie, elle ne parvint pas à se défaire du convoi qui l'amenait inexorablement à Stormwind, à ses geôles, à la fin de sa liberté. Alors elle décida de prêter oreille aux signes du Destin.
- Tu as entendu parler de l'Ordre qui s'est installé dans le coin?
- Bah! Une bande d'allumés, comme tous les autres.
- Tout de même, on dit que c'est une magicienne qui le dirige...
- Magie rime avec folie! Je te le dis, rien ne vaut une bonne vieille épée.
Arrivée
Nyu, bien que peste et canaille, n'était pas une mauvaise fille. Du haut de ses seize dures années, et du cheval où elle était retenue, elle murmurait quelque sourde prière de son invention à l'attention d'Elne. Celle-ci, qui devait certainement être d'humeur taquine, l'entendit et décida de lui sourire.
Le convoi fut attaqué par quelques brigands de la Horde - et qui sait s'ils étaient rares en cette région. Pris au dépourvu, dans la surprise et l'incompréhension, ce fut la débandade. Les lames volaient au hasard dans tous les sens, et Nyu parvint à se libérer. La chute ne l'assomma pas, et elle réussit à prendre ses jambes à son cou en même temps que ses deux poignards sur la dépouille de son gardien.
Elle atteint bien vite Stormwind, qu'elle traversa en courant, attirant nombre de regards d'une foule peu habituée à voir ainsi des elfes de la nuit tremblant de peur et regardant de tous côtés dans leur charmante ville. Lorsqu'elle atteint enfin la place centrale, elle ferma ses yeux, pensa à sa vie, à son passé, et le déglutit avec peine comme l'on avalerait un morceau de viande trop grand pour notre gorge, puis elle s'écria d'une voix claire et emprise de résolution ces quelques paroles.
- Je veux parler à quelqu'un de l'Ordre de la Nouvelle Aube!