Heroic Fantasy - Le retour

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Yop le peuple, comment il va le peuple ?

Je ne sais pas si certains parmi vous se rappellent le roman-feuilleton que j'avais écrit sur le forum voici un an de cela, narrant les aventures de Rekk, Shareen & compagnie. A l'époque, ça m'avait vraiment fait plaisir de voir vos commentaires et c'est ce qui m'avait poussé en avant pour me permettre de le terminer. On peut dire ce qu'on voudra de sa qualité mais, au moins, j'étais parvenu à la fin - c'était la première fois pour moi que je n'abandonnais pas en cours de route !

Depuis, j'ai corrigé, recorrigé, re-recorrigé l'histoire et ça commence par me sortir par les yeux. Besoin d'une chtite pause. Je me remets donc à une ancienne histoire, plus intimiste mais tout aussi bourrin ( ) que j'écrivais juste avant celle-ci.

Je voulais savoir si vous acceptiez de la voir publiée sur ce forum comme j'avais fait pour l'ancienne et si certains seraient intéressés par la lire et me donner votre avis. Je sais que sans votre aiguillon, je n'ai pas la moindre chance de la terminer

Qu'en pensez-vous ?
Message supprimé par son auteur.
Message supprimé par son auteur.
Citation :
Publié par Rodo
Ou t'en es avec des potentiels éditeurs mon cher Grenouille ?
Bah jusque là j'avais Bragelonne et Mnemos d'intéressés, mais Brag' a finalement refusé en dernière étape (de manière assez brutale, d'ailleurs, je me demande qui j'ai contrarié
) donc reste Mnemos... On verra bien. Je ne me fais pas trop d'illusions, en même temps - mais c'est vrai que ça n'a plus rien à voir avec la version que vous aviez eu entre les mains.
Citation :
Publié par Grenouillebleue
Bah jusque là j'avais Bragelonne et Mnemos d'intéressés, mais Brag' a finalement refusé en dernière étape (de manière assez brutale, d'ailleurs, je me demande qui j'ai contrarié
) donc reste Mnemos... On verra bien. Je ne me fais pas trop d'illusions, en même temps - mais c'est vrai que ça n'a plus rien à voir avec la version que vous aviez eu entre les mains.

Quelles genre de correction ont été apportées ?
Kikou Gregre !!
-d'abord mes plus plates excuses, j'ai pô étais trés trés assidu à la relecture (pourtant j'ai tout imprimé de la Couronne)

Mais je te lirais, dans tes nouvelles productions avec plaisir (et mes lunettes aussi , ça explose les p'tites lettres sur un écran )
Bon, ben c'est parti...
Pour ceux qui connaissaient l'histoire précédente, vous allez retrouver beaucoup de familiarités dans les noms - c'est plus ou moins fait exprès, j'espère que ça ne nuira pas au confort de lecture.

Et, oui, je sais, certains passages sont désespérément mièvres, je n'y peux rien, j'avais écrit ça dans une époque profondément amoureuse. Je pense que certains n'auront pas trop de difficultés à s'identifier à Mahlin. On a tous une Shani quelque part....

_________________________________________________________


Le gourdin frappa le tapis avec un bruit mat, et un nuage de poussière s’éleva. Mahlin toussa.
"Que les vents des Enfers emportent toutes ces corvées !" gronda-t-il.
Cela faisait quelques heures qu'il répétait cette phrase en boucle.

Il n’y avait personne pour l’entendre, bien sûr. Dans ce grand corridor du manoir, il n’y avait que lui, et la poussière. De plus en plus de poussière, au fur et à mesure qu’il battait les carpettes avec hargne. Un gourdin, ce n’était pas le meilleur objet pour cet usage, mais il n’avait pas réellement le choix. Au début, ça n'avait pas paru si compliqué. Il avait même trouvé ça amusant de frapper dans tous les sens, imaginant des ennemis dans les entrelacs de fils d’or pour pimenter un peu son travail. La tache, dans ce coin du tapis, pouvait bien ressembler à un monstre, après tout. Un monstre prêt à lui sauter dessus si jamais il relâchait son attention ! Un coup bien placé avait estourbi la créature imaginaire et Mahlin avait poussé un glapissement de victoire. Mais maintenant que la bataille traînait en longueur, il commençait à se lasser. Même son imagination débordante ne suffisait à rendre cette corvée passionnante. Il soupira.
Un nouvel ennemi se présentait ! Vite, vite, bondir dessus ! Tenant son gourdin comme une épée, il frappa d’estoc le pauvre tapis. La poussière s’éleva de plus belle. La sueur commençait à lui dégouliner dans les yeux ; il l’essuya sur sa manche d’un mouvement irrité. Absorbé comme il l’était, il n’entendit pas les bruits de pas.
" Tu vas finir par les abîmer, si tu y mets autant d’énergie ! "

Il se retourna d’un bloc. Il n’y avait pas à se tromper, seule une personne dans cet endroit lugubre arrivait à faire passer aussi aisément son sourire dans sa voix. Elle était là à le regarder, avec cette expression amusée, tête légèrement penchée, qui lui allait si bien.
"Ah, c’est toi Shani…"
"Qui d’autre irait récolter la poussière dans un endroit pareil ? " fit-elle en plissant le nez. "A bien y réfléchir, je me demande ce que, même moi, je fais ici."
Elle avait dix-neuf ans et elle était belle. Mahlin s’aperçut que sa machoire béait, et il la ferma avec un bruit sourd. Il se mit à tousser.
" Ca va ? "
Le jeune homme s'étouffa encore quelques secondes, et s’appuya au mur pour reprendre son souffle. Elle avait de longs cheveux bruns. Pourquoi fallait-il qu'il se rende toujours aussi ridicule en sa présence ?
" Oui… " fit-il enfin. " Oui oui, ça va. C'est la poussière, c'est simplement… tu ne m’as pas dit ce que tu venais faire ici ? A part me regarder travailler et tousser ? "

Restée jusque là dans l’embrasure de la porte, elle entra finalement, se pinçant ostensiblement le nez de la main gauche. Dans la droite, elle portait une assiette d’acier remplie d’une soupe fumante.
"T’apporter ton repas, quoi d’autre ?"
Il cligna des yeux.
"Il est si tard que ça ?"
"Six heures, tout de même. Cela fait toute une après-midi que tu bats des tapis. On dirait que tu y prend goût. "
" Certainement pas ! Je n’ai jamais vu une tâche plus stupide que celle-là ! "
Ecoeuré, il jeta le gourdin dans un coin, et s’approcha de la table.
" Tu étais obligée de poser l’assiette dans ce nuage de poussière ? "
" Oh, là, excuse-moi, monsieur le susceptible ! "
Sans répondre, Mahlin prit le bol de soupe et sortit de la pièce à grands pas, les yeux droit devant lui. Pourquoi se montrait-il aussi bourru ? Il avait l'impression d'avoir la langue paralysée dès qu'elle se trouvait proche de lui. C'était une sensation extrêmement désagréable. Là encore, il aurait aimé lui sourire et la remercier, tout naturellement, pour lui avoir apporté son repas. Au lieu de ça... A peine dehors, il s’arrêta.
" Le beau mage que je fais, n’est-ce pas Shani ? "
La fille le rejoignit. Son sourire était toujours intact.
" Allons, allons ! Tu ne sais que te plaindre... Sais-tu combien de temps j’ai dû recopier des parchemins pour le maître ? Dis une heure ? Je t’écoute ? "
Mahlin se retourna, sourcils froncés par la concentration.
" Eh bien, je t’ai vue il y a quatre heures et tu ne semblais pas particulièrement occupée, donc je suppose que tu as commencé après. D’autre part, le maître ne s’abaisserait jamais à me préparer de la soupe, et Aarel encore moins, je suppose donc qu’il a bien fallu que tu la prépares toi-même, ce pour quoi je te suis, au passage, très reconnaissant. Considérons vingt minutes pour cela, dix minutes de battement, je dirais… trois heures trente ? " Shani le regarda un instant, et il se hâta de rajouter : " Ce n’est qu’une estimation, bien sûr. "
" Bien sûr… " fit-elle. Elle battit rapidement des paupières, comme toujours lorsqu’elle était déconcertée. " Dis-moi, est-ce que tu as jamais répondu à quelque chose à l'instinct, plutôt que de faire des calculs compliqués ? "
Il la regarda, perdu.
" C’est que… "
" Mange ta soupe, ca va refroidir… "

Depuis le temps qu’ils parlaient, ils avaient atteint sans qu’il le notât la pièce meublée avec goût qui formait le c½ur du manoir. Ils allaient souvent ici pour étudier ; l’ambiance feutrée semblait inviter à la méditation. Mais cela pourrait faire affaire de salle à manger. Avec un soupir satisfait, il s’affala sur un des lourds sièges de brocard, posa son assiette sur la table de chêne, et commença à manger. Le brouet était chaud et épais. Shani n’avait jamais été une grande cuisinière – et n’y avait jamais mis de bonne volonté, quelques efforts qu’aient pu faire Aarel et lui pour lui expliquer diplomatiquement que c’était un travail de fille – mais il avait faim, et il mangea sans se plaindre. Comment osait-elle lui dire qu’il ronchonnait tout le temps ? C’était faux. Tout à fait faux.
" Je n’ai jamais rien mangé de meilleur ! " fit-il entre deux cuillérées, l’air le plus sincère possible.
Elle lui rit au nez.
" Oh, mais battre les tapis semble te réussir dis-moi ! Tu n’étais pas aussi gracieux lorsque tu avais à nettoyer la cave. Va, c’est moi qui ai préparé cette soupe, je sais quel goût elle a… "
Mahlin replongea son nez dans son écuelle, grommelant qu’il était honteux qu’elle doute encore de son honnêteté.
" Dépêche-toi de terminer, si ça te plaît tant que cela. Le Maître ne devrait pas tarder à rentrer. C’est la fin des corvées pour la journée ! "
Elle poussa un soupir de plaisir et s’étira. Il baissa les yeux. Comment faisait-elle pour s’étirer de cette manière ?
" Je dois dire que je ne suis pas mécontent d’être débarassé de ces damnés parchemins à recopier… tu as de la chance d’avoir une écriture atroce ! "
Mahlin s’étouffa sur sa dernière gorgée de soupe et partit dans une nouvelle quinte de toux. Shani eut un sourire espiègle.
" Eh bien ? Ca ne va pas ? Deux fois, déjà..."

Le jeune homme rassembla toute sa dignité et ne répondit pas ; si tant est qu’on pût parler de dignité dans cette situation. Mais enfin, il finit par retrouver son souffle.
" Ne recommence jamais ça ! " fit-il en tendant un doigt menaçant vers Shani. Elle lui sourit avec un air de merveilleuse innocence, et il se prit à penser qu’elle y réussissait bien mieux que lui.
" Recommencer quoi ? Tu ne vas tout de même pas m’accuser de t’avoir fait avaler de travers ? "
" Eh bien si, figure-toi ! " s’entêta Mahlin, se sentant ridicule. " Qu’est-ce que c’est que ces histoires au sujet de mon écriture ? J’écris très bien ! "
" Oui, et je cuisine très bien ! Bon, tu as fini de manger ? Viens, allons rejoindre Aarel ! "
Mahlin la regarda un instant, tâchant vainement de se mettre en colère. Il avait une belle écriture, vraiment. Enfin, il arrivait à se relire.
" Bonne idée. Tu lui as déjà apporté à manger ? "
" Pas encore, j’allais y aller. Il est en train de couper du bois, comme d’habitude. "
Mahlin haussa les épaules.
" Quand je pense que nous nous plaignons… c’est tout de même lui qui a la tâche la plus épuisante ! "
Shani sortait déjà de la pièce, légère, aérienne. Elle s’engagea dans l’escalier alors qu’il arrivait à la porte, et elle se retourna pour le dévisager.
" Tu oublies qu’Aarel n’est pas bâti comme toi, scribouillard ! C’est un homme, un vrai ! "
" Que ? Attends un peu ! " gronda Mahlin en se lançant à sa poursuite.
Bien sûr, il se fit rapidement distancer.
" D’abord tu me dis que je ne sais pas écrire, ensuite que je suis un scribouillard ? Il faudrait te décider ! " lança-t-il de dépit alors qu’elle disparaissait au coin d’un couloir.
Seul un éclat de rire lui répondit. Il suivit l’écho. Si Aarel était déjà rentré, il serait directement allé dans la salle d’études, et ils se seraient donc croisés. Il devait donc être toujours en train de fendre des bûches. C'était la logique même.

Il atteignit rapidement la porte du manoir, qui battait au vent. Shani l’avait bien sûr devancé. Il sortit ; aussitôt le vent le fouetta. Ce n’était pas désagréable, un vent tiède qui tourbillonnait autour de lui, jouant avec son pourpoint et faisant voler ses cheveux longs maintenus en catogan. Un rapide coup d’½il lui confirma que Aarel était encore au travail, à la lisière de la forêt. Shani était déjà assise à côté de lui, les jambes repliées.
On était encore en hiver, mais l’on se serait déjà cru au milieu du printemps. Il n’avait pas froid, malgré l’absence de sa cape de fourrure et de ses bottes montantes. Le soleil brillait dans un ciel sans nuages. La forêt qui cernait le manoir, de tous côtés, revenait à la vie. Moins de dix jours auparavant, seuls les conifères arboraient quelques touches de vert dans leur ramure. C’était désormais un véritable patchwork de couleurs où que son regard se posât. Les buissons s’étoffaient, les plantes repoussaient. Le contraste était d’autant plus saisissant qu’il n’avait pas mis les pieds dehors depuis une semaine, concentré qu’il avait été par ses études.
" Aarel ! Shani ! "

Il héla les deux silhouettes, à l’orée de la clairière, et se hâta de les rejoindre. Shani le regarda arriver avec le même regard amusé qu’elle dardait sur le monde. Aarel émit un grognement qui pouvait passer comme un salut, et continua sa besogne. Il était torse nu, et ses muscles saillaient alors qu’il maniait sa cognée de bûcheron, ahanant à chaque coup. Le métal scintillait sous le soleil, et les rondins tombaient. Aarel n’était que sueur, mais il ne paraissait pas s’en rendre compte. Toujours, la hache remontait et toujours elle se rabaissait – et toujours il ahanait.
En petits tas, adossés au dernier rempart du manoir, se trouvait le bois qu’il avait déjà coupé aujourd’hui. Les yeux de Mahlin s’agrandirent. Tant que cela ? En si peu de temps ? S’il avait, lui, à couper du bois… Supposition grotesque, il doutait de pouvoir même soulever cette cognée. Comment l’avait-elle appelé ? Scribouillard ? Il jeta un regard anxieux à Shani, et la vit en train d’observer les yeux mi-clos un oiseau qui s’était posé sur le même rondin qu’elle. Ses yeux étaient écarquillés, avec un air d’émerveillement non feint. Elle avait toujours aimé, non, adoré les animaux. Quels qu’ils fussent. Sauf les araignées. Elle n’aimait pas les araignées. Mais les guêpes, les serpents, oui. Tant qu’elle ne regardait pas le torse d’Aarel avec ces yeux là, tout irait bien.

" Dur travail, Aarel ! " dit-il finalement d’un ton qu’il voulait compatissant.
Le géant se tourna vers lui et le toisa de toute sa taille. Ses muscles roulèrent alors qu’il déposait sa hache contre un arbre.
" On peut le dire, oui ! D’un autre côté, ça me maintient en forme ! Bien plus que de battre des tapis, hein Mahlin ? "
Son sourire se fit roublard alors qu’il se laissait choir sur le sol. Il s’installa comme à son habitude, jambes croisées, et regarda Shani dans les yeux. La différence de taille était telle que le rondin qu’elle occupait ne faisait que mettre leurs regards à même hauteur.
" Aaah, je vois que notre cuisinière favorite a préparé quelque chose de bon ! Montre-moi un peu ? "
L’assiette de soupe changea de main. Comment elle avait eu le temps de passer à la cuisine et d’arriver ici avant moi, Mahlin se le demandait bien. Aarel eut un soupir de contentement et commença aussitôt à manger. Il ne parla pas avant d’avoir terminé sa gamelle, et les deux autres se turent également. Le silence était agréable, à peine troublé par les chants d'oiseau.
Enfin, son repas fut fini, et il se lécha les doigts.
" On peut dire ce que l’on veut, Shani mais, lorsque j’ai faim, je mange même ta cuisine ! "
Elle rit.
" Je prendrait cela pour un compliment ! "
" Oh, c’en est un, c’en est un ! " Il posa l’écuelle à l’écart, et grimaça en plein mouvement. " J’ai des élancements dans les bras. Stupides corvées. Quand est-ce qu’il se décidera à nous apprendre finalement les bases de sa magie ? "

Nul besoin de préciser qui était ce il, bien sûr. Barel Khorr. Sorcier Vert, Maître Mage. Tous ici étaient ses apprentis.
Des apprentis frustrés.
" Quand il nous jugera prêts, je suppose " fit Shani de sa voix douce. Elle était toujours soit calme, soit rieuse. Mais elle ne paraissait jamais irritée, ou en colère. Elle riait de sa propre frustration autant que de celle des autres. C’était merveilleux.
" Oui, mais quand ? " grommela Mahlin. " Cela fait bientôt deux ans que nous sommes ici à devoir travailler comme des prisonniers de guerre sans qu’on nous apprenne la moindre chose… "
" Pas la moindre chose ? Tu peux parler, toi qui as toujours le nez dans les livres de la bibliothèque du maître ! Ose dire qu’ils ne t’apprennent rien.. "
" Je voulais parler de magie ! Tous ces volumes ne traitent que d’histoire, de géographie, de légendes diverses et variées ! C’est très intéressant, mais ce n’est pas de la magie… et les rares ouvrages d’ésotérie que je trouve me sont totalement hermétiques… "
"Ce qui confirme ce que dit maître Khorr, je suppose. Nous ne sommes pas encore prêts " fit lentement Aarel.
Mahlin se releva et fit quelques pas, exaspéré.
" Mais comment savoir quand ? Quand serons-nous prêt ? Tu penses que cela sera une sorte d’éclair de lumière, ou bien une voix céleste dans notre tête qui nous avertira que nous sommes enfin capables d’apprendre ? "
" Si le maître décide que la révélation nous viendra ainsi, alors ce sera ainsi qu’elle viendra " sourit Shani. " Mais je dois dire que je suis assez fatiguée de recopier ses parchemins. D’autant plus que la plupart détiennent un savoir magique, je le sens. Mais je suis aussi incapable que toi de comprendre les runes, Mahlin. " Brusquement son regard se posa sur Aarel. " Et toi ? Ne me dis pas que tu n’as jamais essayé de comprendre tout cela ? Peut-être que tu y arriverais ? "
Le colosse la regarda, mal à l’aise.
" Ne te moque pas de moi. Si vous n’y arrivez pas, comment veux-tu que j’y arrive ? Non, non, je n’ai jamais essayé. Et cela me paraît l’attitude la plus sage, au vu de vos mines dépitées. "

Le silence s’installa, mais, comme d’habitude, il ne dura pas longtemps. Ce fut Mahlin qui le brisa. Non, ce n’était pas dans ses habitudes de se plaindre, maudites soient Shani et sa langue agile ! Mais certaines choses devaient être dites, et il les dirait.
"C'est comme cet écran qu'il a mis sur nos souvenirs, soi-disant pour nous protéger. Ca ne vous rend pas mal à l'aise, vous, de ne plus rien savoir de votre passé ? Je ne me souviens même pas du visage de mes parents !"
"Nous avons déjà eu cette conversation, Mahlin…" protesta Aarel. "En fait, si je ne me trompe pas, nous l'avons même tous les soirs. Si Maitre Khorr nous dit qu'il faut que nous ayons un esprit neuf pour apprendre la magie, eh bien nous n'avons pas vraiment le choix." Il soupira. "De toute façon, peut-être est-ce mieux ainsi. Tu dis que tu ne te souviens pas de ta famille. Qu'est-ce qui te dit que ce sont de bons souvenirs ? Peut-être qu'ils te battaient… peut-être qu'ils te détestaient…"
"Non, jamais. Je suis sûr qu'ils m'aimaient… qu'ils m'aiment. J'en suis certain !"
"Et j'en suis certaine aussi" murmura Shani. Sa main réconfortante vint se poser sur le bras du jeune homme. "Oui, moi aussi je me sens stupide à ne pas avoir de souvenirs qui remontent à plus de deux ans. Mais c'est pour notre bien ! Je ne peux pas imaginer que Maître Khorr nous veuille du mal."
"Du mal, non. Mais trouver de bons serviteurs qui nettoient son manoir sans rétribution, oui."
A peine avait-il prononcé ces mots que Mahlin les regrettait. Il ne le pensait pas vraiment. Barel Khorr n'était pas comme ça. Mais pourtant, cette attente insupportable…
"Ca viendra" fit gentiment Shani. "Un jour, alors qu'on ne s'y attendra pas, il nous dira que nous sommes prêts."
"Si nous le sommes un jour… non, j'en ai assez de ne pas savoir ce qui nous attend. Ce soir, je demanderai au maître combien d'années encore il compte nous faire travailler ainsi." Il eut un regard écoeuré pour le tas de bûches qui allait sous peu nourrir les cheminées ronflantes du château. Les jours avaient beau se réchauffer, les nuits restaient glaciales dans ces pièces humides. "Ce qui m’exaspère le plus, c’est l’inutilité de tout ce qu'on fait. Je veux dire, je suis sûr que maître Khorr serait capable de couper tous ces rondins en une unique formule. Il ferait voler sa cape dans un vent imaginaire, comme d’habitude, pour tous nous impressionner, puis prendrait une pause martiale. Oh, je le vois d’ici ! Il fermerait les yeux, étendrait les bras, comme ceci " Il mima la posture avec des gestes exagérés " et les arbres s’élagueraient tout seul, les branches voleraient dans les airs, et retomberaient ici " il désigna le mur " en un splendide tas de bûches prêtes à l’emploi. "
" De même pour tes tapis " ricana Shani. " Une incantation, deux ou trois mouvements de robe, et un vent violent chasserait la poussière de toutes ces vieilles carpettes. "
Aarel sourit, les yeux brillants. Il était généralement bien trop calme et sombre pour son âge ; il était rare de le voir sourire, mais de nombreuses filles auraient tué pour cela.
"Oui, une incantation magnifique, avec des mots incompréhensibles, un rythme monotone…"

Aarel prit la même pose que Mahlin, mais sa taille et sa corpulence la transformaient en une caricature grotesque. Le colosse était tout, sauf souple. Il n’en continua pas moins. Les yeux fermés, il joignit les mains et commença à improviser, parlant lentement tout d’abord, puis de plus en plus vite.
" Ash’n She’zn She’szn Sebe’k, Par les deux-cent trente-sept puissances extérieures, que les vents des plaines désertes viennent battre ces lieux ! Que les pouvoirs jadis disparus se réveillent et découpent proprement cet arbre en rondins ! "
Les autres rirent et applaudirent alors qu’il lançait soudain la main en avant comme pour projeter son énergie.
L’arbre, devant lui, oscilla.
Et il oscilla.
Puis on entendit des craquements.
Dans un bruit de tonnerre, l’arbre se déracina et commença à s’élever.
Il s’éleva ainsi jusqu’à se retrouver suspendu à cinq mètres de hauteur.
Là, il se mit soudain à tourner sur lui-même, lentement, puis vite, plus vite.
De plus en plus vite.
Et il s’illumina soudain.
Dans l’air planaient une vingtaine de rondins, impeccablement coupés, qui vinrent s’entasser contre le mur, avec les autres.
Il n’y avait pas un bruit.
Shani regardait Aarel. Mahlin regardait Aarel. Aarel regardait l’endroit où l’arbre se dressait quelques minutes auparavant, et les yeux paraissaient prêts à lui sortir de la tête.
Le silence dura. Puis, finalement, Mahlin s’aperçut qu’il avait la bouche ouverte ; elle se referma avec un claquement sec.
" C’est… " commença-t-il, hésitant. " C’est toi qui as fait cela ? "
Shani, toujours sous le choc, ne bougeait pas plus qu’une statue. Aarel se retourna, le visage décomposé.
" Je… " commença-t-il.
" Non, ce n’est pas lui " fit une voix que tous ici connaissaient. " C’est moi. "
" Maître ! "

Les trois jeunes gens se retournèrent dans le même mouvement, et c’était effectivement Barel qui leur souriait. Le soleil derrière lui l’auréolait d’or alors que le vent faisait bouger sa cape. Tous ceux qui le connaissaient savaient que la pose était étudiée, voire outrée, mais elle n’en restait pas moins efficace. Cape verte, pourpoint vert, bottes vertes montantes et pantalon vert. Ses cheveux flottaient eux aussi dans le vent, libres, sombres. Ses yeux étaient amusés alors qu’il regardait le trio. Ainsi placé, il semblait irradier le pouvoir.
" Vous pensiez vraiment que ceci " il montra l’emplacement où l’arbre s’était élevé " était l’½uvre d’Aarel ? " Il écarta les murmures de ses disciples d’un geste souple de la main. " Ne soyez pas ridicules, il y a des limites aux coïncidences."
Il rejeta la tête en arrière et rit.
" Je vous vois là, discutant de la magie, de ses tenants et aboutissants. Je comprendrais que des chiens brûlent de courir avec les loups, mais vous n’êtes encore que des chiots ! " Il eut un mouvement de cape, cligna des yeux, et des flammèches vinrent l’environner, dessinant une silhouette lumineuse dans la clairière ensoleillée. " Si vous voulez un jour maîtriser les Arts Mystiques, il vous faut apprendre la rigueur. Et la discipline. " Il hocha la tête. " Très important, ça, la discipline. "

Les trois ne baissaient pas les yeux, inquiets mais ne l’osant pas se l’avouer. Barell n’avait jamais été doux, ou compatissant, ou complice avec ses disciples. Et il souriait en ce moment, d’un sourire cruel, qui jamais ne venait adoucir ses yeux noirs. Si profonds. Si noirs. Même Aarel, Aarel et ses muscles puissants, Aarel qui parvenait à tuer seul un sanglier armé de son épieu, Aarel le regardait avec inquiétude. Barel plissa les yeux..
" Eh bien, eh bien. Vous ne dites plus rien ? Mahlin ! " il tendit un doigt osseux vers celui qu’il interpellait, et le jeune homme recula comme si on l’avait frappé " Mahlin, tu avais quelque chose à me demander, je crois ? "
" Non… c’est que… enfin.. " balbutia le pauvre garçon. Ces yeux. On aurait vraiment dit deux trous sans fonds, deux ouvertures sur le néant.
D’un autre côté, Shani était derrière lui. Il n’allait pas se laisser effrayer par des yeux, aussi terrifiants soient-ils. Qu’avait-elle dit ? Un scribouillard ? Il n’était pas un scribouillard.
" En fait… si vous avez écouté notre conversation, je suppose que vous le… enfin, nous discutions… nous nous demandions quel intérêt ces corvées que vous nous faites faire… ahh, je veux dire… quel intérêt exactement en retirez-vous ? " Une fois les premiers mots passés, le reste était plus facile. Il suffisait de penser à quelque chose d’agréable au lieu de se concentrer sur le visage du maître. Le parfum que lui apportait le vent rendait cette tâche aisée. " Je conçois que la rigueur et la discipline vous paraissent importants, mais.. enfin il y a d’autres manières de vivre un apprentissage que de battre des tapis à longueur de journées… "
Barel leva un sourcil interrogateur.
" Oh ? Et que suggères-tu ? "
Mahlin s’humecta les lèvres. Que les enfers engloutissent Aarel et Shani, était-il le seul à devoir parler ?
" Je ne sais pas… étudier… vos bibliothèques paraissent inépuisables… je veux dire… ne pensez-vous pas que toutes ces connaissances nous serviront lorsque vous nous jugerez… ahh… dignes, d’apprendre la magie ? "
" Certes, mais ce n’est pas cela qui enlèvera la poussière de mes tapis. N’est-ce pas ? "
Barel Khorr lui dédia une grimace amusée, et se détourna dans un grand mouvement de cape.
" Et, non, je ne peux pas utiliser quelques formules toutes prêtes pour effectuer ces tâches. Du moins je le pourrais, mais je n’ai aucun intérêt à le faire. Gaspiller vainement ses Pouvoirs dans des tâches triviales, voilà le cauchemar de tout mage. Non, vraiment. " Il secoua la tête, et soudainement son visage se durcit. " Nous ne reparlerons plus de cela. Vous n’êtes pas encore prêts, et je ne veux pas risquer de donner des leçons à des enfants sans bon sens ni discipline. Vous saviez tout cela lorsque je vous ai pris en apprentissage. Vous, tous, étiez d’accord. Même si vous ne vous en souvenez pas maintenant. " Il se tourna de nouveau vers eux, et les toisa. Ses yeux étaient froids, mais à tout le moins ils n’absorbaient plus la lumière comme ils le faisaient une minute auparavant. "Je ne vous dois rien, comme vous ne me devez rien. Si l’un de vous désire arrêter son apprentissage, qu’il le dise. Vous pouvez partir quand vous le désirez. Je suis beaucoup de choses, mais pas un geôlier. Je ne veux pas l’être. " Il plongea sa main dans les replis de sa robe, et la ressortit tenant une bourse de cuir. D’un geste méprisant, il la lança à Mahlin. " Si tu désires me quitter, je ne veux pas me sentir redevable de tes services. Cette bourse contient un peu d’or, et des pièces d’argent. Assez pour te permettre de vivre aisément pendant un an. Je te rendrai tes souvenirs, tu pourras retrouver ta famille."

Mahlin regarda la bourse, ahuri. Il sentait les larmes lui monter aux yeux, mais il ne lui ferait pas ce plaisir. Jamais. Et certainement pas ici, devant les autres. Il relança la bourse à Barel.
" Je n’ai jamais dit que je voulais abandonner… maître… "
" Oh ? " fit le mage. " Bien. Très bien. Dans ce cas, cesse de te plaindre. Par les abysses gelées, on croirait que tu ne sais faire que cela ! "
Lorsque Barel se tut, le silence s’installa. Mahlin s’attendait à entendre le rire de Shani dans son dos ; mais ses yeux étaient agrandis, et le jeune homme vit avec une certaine gêne qu’elle aussi retenait ses larmes. Barel parut le remarquer également, car sa voix s’adoucit.
" Je ne voulais pas vous effrayer ainsi… je suis vraiment désolé. Quelques mauvaises nouvelles, et voilà que je perds la raison. Je ne suis plus comme avant." Il soupira un instant, puis sa voix reprit tout son mordant. " Ceci dit, tout ceci ne serait pas arrivé si vous respectiez quelques règles élémentaires de courtoisie, ne croyez-vous pas ? Comme ne pas médire derrière mon dos, et ne pas se plaindre de corvées que je vous impose… pour votre propre bien " Il se gratta le menton, pensif, et répéta : " pour votre propre bien. Sur ce, le soleil ne va pas tarder à se coucher, et vous feriez bien d’en faire autant. J’aurai besoin de vous demain. Aux aurores. Vous irez en ville pour m’acheter quelques objets nécessaires. Je pourrais le faire moi-même, mais il semblerait que vous ayez besoin d’un peu de détente. Cette promenade vous fera du bien. Oui, nous avons tous besoin de nous détendre. "
L’écho de ses mots n’avait pas encore disparu qu’il se détournait pour rentrer au manoir. Trois paires d’yeux écarquillés le suivirent.
"Il ne t'a pas fait de cadeau" murmura enfin Aarel dans le silence retrouvé.
"Mmh… merci de votre aide, d'ailleurs. J'ai bien senti à quel point vous me souteniez…"
Shani se planta devant lui et lui effleura la joue de ses lèvres. Mahlin rougit doucement.
"Oh…" bafouilla-t-il. "En quel honneur ?"
Elle sourit.
"Tu t'es très bien débrouillé. Pour un scribouillard."
Malheureusement le support internet se prête très mal à la lecture d'un long texte :/
J'ai beaucoup de mal à accrocher sur un texte quand il n'y a pas le support papier pour le soutenir :/
As-tu réfléchis à l'idée de t'auto-édité ?
Moi j'aime bien Grenouille. Bravo. Continue, ne perds pas espoir d'être édité.
Par contre c'est vrai que l'écran est un très mauvais support de lecture, c'est fatiguant. Alors vivement que ça sorte sur papier !

Jio
Houlala, ca me plait ca y'a une bonne base de depart... 3 apprentis qui s'font chier a faire des taches inutiles pour ensuite passer a la magie* ... un costaud un maigrichon une pucelle, plus de souvenirs du passé, un maitre misterieux, des soucis cachés (mauvaise nouvelle du maitre) ... mmmh ca fleureuuuuuh bon !

( * repiqué a Ninja Kid )
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