[Orcanie] Le Champion

 
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Episodes précédents :

Rencontre avec Sire Guesclin

L'oeil ensanglanté du Lion

L'ange gardien

Songes

Les huit sceaux de Lumière

En route

Le baiser volé



Ils avaient repris leur chemin. Arslann resta silencieux toute la journée. Soleine ne savait que penser du baiser échangé ce matin là. Jamais elle n’avait songé qu’un homme puisse la regarder autrement que comme une représentante sur terre, de la Lumière. Sa vision du monde était construite autour de son appartenance au clergé d’Albion. L’amour n’était possible pour elle que donné à l’humanité entière, et non à un être en particulier. L’amour libérait l’âme, la passion l’enchaînait. Et son idéal mystique l’empêchait de s’attacher à cette sphère imparfaite. Pourtant, elle devait admettre avoir été profondément touchée par ce baiser, tant par la douceur de l’étreinte que par ce que cela révélait au sujet d’Arslann. Il n’était donc pas le compagnon désintéressé qu’elle imaginait, mais elle devait admettre également qu’il n’avait jamais rien fait pour la retenir dans l’exécution de son projet. Tout au contraire, il avait aplani bien des difficultés et sans son aide, elle ne serait jamais arrivée jusqu’ici. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la journée passer.



De nouveau le paysage changeait pour se transformer à nouveau, petit à petit, en un univers désertique. Vers la fin de la journée, ils aperçurent une vaste dépression parsemée de rochers. Arslann observait la disposition des rochers, cherchait un passage.
« - Il n’y a qu’un seul cheminement possible, et il nous conduit vers une grande tente que j’aperçois là-bas, au loin. Ces rochers sont disposés de telle façon qu’ils organisent un labyrinthe dont l’unique issue se trouve conduire à cette tente. Si j’en juge d’après le chemin parcouru jusqu’ici, nous ne pourrons éviter de passer la nuit dans cette tente puisque le soleil semble vouloir se coucher derrière elle. C’est la première fois que nous rencontrons un signe de présence humaine sur notre route. Qu’il y a-t-il la bas ? »
Ils s’avancèrent et parvinrent aux environs de la tente alors que le soleil finissait de disparaître à l’horizon.
« - Ceci évoque-t-il quelque chose pour toi ? Devais-tu rencontrer quelqu’un sur ton chemin ? Nous sommes attendus, je ressens des présences, humaines et animales. C’est étrange, humains et animaux semblent aussi fébriles les uns que les autres, attendre avec impatience notre arrivée. Non, pas notre arrivée, MON arrivée. Je ne suis ici que parce que je t’accompagne, et pourtant c’est moi qui suis attendu. Des lions, trois lions et un homme ! »
La tente était installée près d’un gros rocher. Au pied de celui ci, un filet d’eau claire s’écoulait d’une fontaine. Devant la tente, sur support reposait une armure de mailles faite d’un étrange métal luminescent. Posées à côté, deux épées faites du même métal. Autour du support trois lions majestueux se tenaient, allongés, semblant garder l’armure et les armes. Leurs regards convergeaient vers Arslann. Une voix profonde se fit entendre.



« - Salut à toi, Champion ».


« - Salut à toi, fils du sable et de la pluie » reprit la voix. De la tente, un homme grand, à la peau noire comme l’ébène était sorti. Il était vêtu d’un pagne en cuir et une peau de lion lui servait de capeline. Des lanières de cuir entouraient des bras puissants ainsi que ses chevilles. Son torse, ses épaules et son visage portaient des scarifications qui dessinaient des formes géométriques.

« - Soyez les bienvenus, je suis Mandiwa le shaman, Mandiwa l’oracle, Mandiwa le reclus. Je vous attendais, toi Champion, ainsi que celle qui marche à tes côtés. Vous êtes parvenus dans le petit domaine que les Puissances ont bien voulu m’accorder après m’avoir exilé il y a fort longtemps. Ici, vous êtes en paix, personne ne peut venir ici sans mon consentement. J’ai rarement de la visite, les ombres sont difficiles à parcourir pour les humains, et les autres créatures qui les parcourent savent qu’elles ne sont pas les bienvenues ici. Les lions montent la garde. Ma tente et mon petit domaine vous sont ouverts. Un repas vous attend ainsi une couche pour dormir. Mais avant que vous alliez vous reposer, j’ai quelque chose à dire à chacun de vous. Venez, je vous prie, la nuit tombe, et je ne pense pas que vous ayez eu un vrai repas depuis plusieurs jours. J’espère que ce que je vous ai préparé vous conviendra, surtout à toi, Fille aimée de la Lumière, je ne crois pas que tu connaisses la cuisine de mon peuple. »



« - Tu dis m’attendre » demanda Arslann. « Pourtant, ma présence ici n’est connue que d’une seule personne en dehors de celle que j’accompagne. Même mon père l’ignore. Je n’ai pris ma décision il n’y a que quelques jours, comment pourrais-tu m’attendre ? Et pourquoi ce nom de champion que tu m’attribues ?»


« - Champion, même si tu penses n’avoir choisi de suivre la Fille aimée de la Lumière qu’il y a peu de temps, saches que je t’attends ici depuis 8 000 ans. Ton nom, je ne l’ai entendu prononcer pour la première fois qu’hier de la bouche d’un homme qui portait le même emblème que toi, et auquel tu ressembles fort. Lui et ceux qui l’accompagnaient ont laissé ici l’armure et les armes que gardent les lions. Elles sont destinées au Champion, celui dont tous attendent qu’il tranche le n½ud qui étrangle cet univers. Même si c’est ta compagne qui semblait le centre de l’histoire, les évènements récents ont reporté sur toi l’espoir de tous. »


« - Mandiwa l’oracle, tu as la langue aussi claire que le jus de pierre qui sourd dans les sables du Chott el Arab. Mais c’est souvent le cas des oracles et les humains peinent à comprendre ce que les oracles leur disent. Peux-tu nous expliquer tout ce que tu viens de nous dire ? »


« - Arslann, mon garçon, tu es né alors que le regard du Lion s’ensanglantait. Tu sais ce que signifie ce signe. De ce que j’ai entendu dire à ton sujet, tu vis dans un océan de sang depuis que tu es arrivé dans le royaume où vit ton père. La guerre fait rage, et un combattant tel que toi ne peut échapper à son destin. Mais tu portes en toi un pouvoir dont tous ont pu prendre la mesure, un pouvoir qui fait de toi un être particulier. »



« - Oui, Arslann est habité par l’Esprit du Lion » dit Soleine. « Je l’ai vu progresser dans la maîtrise de ce pouvoir, déchiqueter trois midgardiens en moins de temps qu’il faut pour le dire, dominer des ennemis en surnombre, commander à une meute de lions furieux qui ont mis en déroute une foule de séthiens qui nous pourchassaient. C’est surhumain. Ce pouvoir fait de lui un être hors norme. La Lumière fait des prodiges quand elle illumine nos guerriers mais cela n’a rien de commun à ce qu’Arslann peut faire quand le Lion prend possession de lui. Est ce pour cela que tu l’appelles Champion ? »



« - Le multivers est bien plus complexe que ce que les humains peuvent imaginer. Des Puissances le gouvernent. Certaines sont antagonistes. Ainsi la Lumière de Camelot que tu révères, Soleine, appartient aux Puissances de la création. D’autres Puissances appartiennent aux Forces du néant. Arslann est le Champion des Forces de l’équilibre. Soleine doit quitter cette sphère pour que son âme rejoigne la Lumière de Camelot. Mais un péril terrible la guette. Un être d’une puissance incommensurable la guette. Ce démon est entré par effraction dans notre cette sphère il y a 8 000 ans par la faute d’un homme qui l’a invoqué. Cet homme fut puni de sa faute et sa descendance maudite. Mais beaucoup d’innocents payèrent un prix atroce car l’irruption de ce démon dans ce monde s’accompagna de la chute de l’Atlantide.
Aujourd’hui ce démon guette ton âme, Soleine, car il espère la capturer pour attirer ensuite d’autres de ses semblables dans ce monde. Si cela survenait, une catastrophe encore plus terrible que la fin de l’Atlantide se produirait, mettant en péril toute vie dans ce monde. Mais il est impossible aux Forces de la création de prévenir ce péril car il n’existe aucun de ses serviteurs dans cette sphère. Le démon réside maintenant ici, les serviteurs de la Lumière viendraient d’une sphère extérieure, et perdraient une grande partie de leur puissance lors du transfert. Soleine ne peut donc espérer d’aide des Forces de la création. En raison du péril qui menace ce monde, les Forces de l’Equilibre ont alors décidé de fournir une aide pour empêcher que ne survienne ce drame. Cette aide, c’est un Champion, un être issu de cette sphère mais investi du pouvoir d’une Puissance du multivers.
Ce Champion, c’est toi, Arslann. Ce pouvoir tu l’as reçu le jour de ta naissance, alors que ce signe funeste se manifestait dans le ciel. Mansour, ton arrière-grand-père savait qui tu étais et à quoi tu étais destiné. L’invocation du Lion n’était pas pour te protéger comme on te l’a toujours dit, mais bien la réalisation d’un projet dont tu étais le centre. Depuis ce jour, le Lion est en toi. Ce pouvoir s’est manifesté de façon erratique au début, puis ensuite tu as appris à le maîtriser, à l’utiliser. Ta venue ici, n’est pas fortuite non plus, car tu vas recevoir les armes que tu utiliseras pour combattre ce démon. Ensuite, j’invoquerais cette Puissance pour toi. Tu deviendras alors le Champion, prêt à combattre et à accomplir son destin.
Mais l’on ne côtoie pas impunément les Puissances quand l’on est humain. Je vais devoir protéger Soleine en la plaçant dans un champ de stase, une espèce de bulle de protection. Privée de contact avec l’extérieur, ses sens ne lui fourniront aucune information sur ce qui se déroulera. Elle échappera ainsi aux risques que courent ceux qui s’approchent trop des Puissances. A l’inverse, Arslann devra se soumettre à un rituel destiné à le mettre en harmonie avec l’Esprit du Lion, afin que le Lion le rejoigne enfin ».



« - Mais comment ses armes sont elles parvenues ici ? Seule Soleine possède le pouvoir de voyager dans ce qu’elle appelle les ombres ».


« - Elle n’est pas la seule, d’autres humains ont également reçu cette faculté, mais ils sont forts rares, et chacun d’entre eux reçoit ce don car il a une mission particulière sur cette terre. Dans le groupe que j’ai reçu hier, il y avait une femme qui semblait diriger. Ce n’est pas la première fois qu’elle venait ici, je l’avais déjà reçue. Elle aussi possède ce pouvoir de navigation dans les ombres. Mais c’est la première fois que je rencontre de nouveau un visiteur. Je ne pensais pas qu’il fût possible de revenir à son point de départ une fois parvenu jusqu’ici. »


Arslann se tenait debout au centre de la dépression. Mandiwa avait tracé autour de lui dans le sable un symbole mystérieux, ressemblant à l’enchevêtrement d’une étoile à six branches avec des runes atlantes. A chacune des six branches, il avait placé un petit brasero dont la lumière fantomatique éclairait maigrement la scène. Déposées devant lui, l’armure et les armes irradiaient une faible lueur. Arslann se pencha pour ramasser l’armure. Fils d’une armurière lé et d’un forgeron légendaires, il savait reconnaître un équipement d’exception. Et là, rien de ce qu’il avait pu voir jusqu’à présent ne pouvait égaler ce qu’il avait devant lui. Même les puissants artéfacts atlantes n’avaient cette perfection d’exécution, ce souci du détail, cette adaptation parfaite à sa morphologie et à son style de combat, cette puissance magique émanant de chaque pièce posée devant lui. En examinant l’armure, il avait reconnu une fabrication albionnaise, certains détails identifiant clairement les armuriers qui l’avaient réalisée. Lui-même armurier, il avait souvent discuté avec Aripha, la plus grande armurière qu’Albion ait jamais connu. Ensemble, ils avaient imaginé un nouveau dessin d’armure, une combinaison de mailles mélangées de façon particulière afin d’entraver le moins possible les combattants à deux armes tout en leur assurant une protection maximale. L’armure dont il se ceignait en était la concrétisation la plus aboutie que l’on puisse imaginer. Il se surprit à se dire qu’Aripha devait savoir qu’elle travaillait pour lui, car l’armure s’adaptait à chaque détail de sa morphologie. A peine l’avait-il enfilée qu’il ne la sentait plus peser sur sa peau. De même, il remarqua certains aménagements dont il avait un soir discuté avec Bowen et Macguyre : A la ceinture ne pendait aucun fourreau. Ceux ci étaient disposés dans le dos de telle façon que ses bras ne devaient plus se croiser pour les dégainer, les armes jaillissant vers l’avant quand le combat commençait, il obtenait ainsi un précieux avantage d’initiative en début de combat. Une fois l’armure revêtue, il sentit affluer en lui une puissance qu’il n’avait jamais connue.


Mais serait ce suffisant pour lutter à armes égales avec un démon ?


Il examina ensuite les armes. Il reconnu immédiatement le travail de son père, quoiqu’un détail lui montra qu’une autre main avait aidé à forger ses épées. Les deux armes ressemblaient fort aux armes légendaires que son père fabriquaient, pourtant il était sûr de ne jamais avoir vu auparavant le métal dont elles étaient forgées. Ayant combattu avec des armes imprégnées d’effets volatils, il reconnut leurs effluves, et en conclut que son père avait enfin trouvé le moyen de combiner plusieurs effets sur une seule arme. Il n’en faudrait pas moins pour combattre un tel adversaire.


Une fois équipé, il regarda autour de lui. Ce n’étaient plus trois lions qui se tenaient maintenant autour de lui, mais six, un devant chaque brasero. Il sentit alors ses poils se hérisser. Un ronronnement commença à se faire entendre. Celui ci venait de la zone non éclairée, mais il ne put le localiser plus précisément car il semblait venir de toute part. Les six lions regardaient vers l’extérieur du symbole magique tracé au sol, chacun dans une direction différente. Une présence s’affirmait, une présence qui lui était familière, familière au point qu’il s’étonna qu’elle fût différente de lui.
Enfin, devant lui, apparu doucement la forme fantomatique d’un lion immense, haut de dix mètres, LE LION arrivait. Il rugit et brutalement, engloutit Arslann dans sa gueule. La forme spectrale sembla un instant vouloir se dissiper, mais elle devint au contraire plus tangible, se contractant pour adopter une nouvelle forme, une forme humaine : celle d’Arslann…
Le jeune homme fut bientôt de nouveau présent au centre du symbole, mais cette fois, les six lions le regardaient fixement.


Soleine se réveilla brutalement en criant le nom d’Arslann. Mandiwa était assis à ses côtés.
« - Que t’arrive t’il, Fille aimée de la Lumière ? ».
« - La Lion, Arslann… il l’a dévoré ! »
« - Quel lion ? »
« - Mais enfin, LE LION, celui qu’Arslann devait recevoir ! »
« - Le Lion a dévoré Arslann ? Arslann est mort ? »
« - Non, après l’avoir dévoré, le Lion s’est métamorphosé pour prendre la forme d’Arslann. »
« - Ainsi Arslann est toujours présent ? ». Il semblait intrigué.
« - Oui, à la fin de mon rêve, seul Arslann restait. »
« - Tu n’aurais pas dû avoir ce rêve, Soleine, le champ de stase devait t’envelopper d’une protection te rendant insensible à ce qui se produirait en dehors. On ne fréquente pas impunément les Puissances du multivers. »
« - Ce n’est pas du Lion dont je te parle, mais d’Arslann ! »
« - C’est peut être là l’explication, le champ de stase te protégeait du Lion, mais je n’avais pas pensé que ton âme pourrait percevoir ce que celle d’Arslann ressentirait au cours de sa fusion. Vos âmes sont plus proches que je ne le pensais. »
« - Nous ne nous sommes plus quittés depuis plusieurs mois. Nous avons beaucoup combattu ensemble, et un lien particulier s’est établi entre nous. Il pressent tout péril nous concernant bien avant que nous ne soyons directement menacés. Pas un adversaire ne peut s‘approcher de moi sans que ses épées le déchirent dans l’instant. De mon côté, je n’ai nul besoin de porter mon regard sur lui quand il combat, je sens au plus profond de moi s’il a besoin de soins, je peux ainsi focaliser mon attention sur les autres combattants de notre groupe sans qu’Arslann ne manque du moindre soin. »
« Il est dehors, il s’entraîne au maniement de ses nouvelles armes. Si tu t’inquiètes pour lui, tu verras qu’il est en parfaite forme. » Dit Mandiwa en souriant.


Soleine sortit de la tente. La nuit n’était pas encore finie, l’aube rosissait à peine l’horizon au loin. Dès qu’elle fut sortie de la tente, les trois lions se levèrent et virent s’installer près d’elle. Le plus gros était en fait une lionne. Elle croisa son regard et fut surprise de lire dans ses yeux jaunes comme une affection profonde. La lionne vint s’allonger à ses pieds, et se roula dans le sable, lui présentant son ventre. Soleine resta interdite devant ce spectacle, ne sachant que faire. Comme si elle avait senti son hésitation, la lionne s’installa sur le flanc, et sa tête vint se frotter contre les pieds de la jeune femme. Soleine s’assit alors aux côtés de l’animal et sa main vint caresser sa tête. Elle regarda alors Arslann. Il mimait un combat et elle fut soufflée par la vitesse d’exécution de ses mouvements. Jamais elle ne l’avait vu se battre ainsi. Il semblait ne pas toucher terre, ses armes virevoltaient dans l’espace, laissant une traînée lumineuse dans l’air. Il était comme une espèce de tourbillon coloré, insaisissable, en permanence en mouvement et seule les traînées lumineuses trahissaient la position de ses bras. L’air était bruissant du sifflement de ses lames, et une sorte de grésillement se faisait entendre, comme si les effets magiques de ses armes voulaient se déchaîner sans qu’un adversaire ne fut touché. Parfois ses armes semblaient s’éloigner de lui plus que l’envergure de ses bras n’aurait du le permettre, comme reliées par un fil à ses mains. Il était comme une araignée qui aurait tissé autour d’elle un cocon de lumière. Ce cocon n’avait pas la douceur de la soie, il formait une barrière infranchissable autour du Champion et quiconque aurait tenté de s’en approcher y aurait instantanément trouvé son trépas.
Arslann était devenu le Champion, il n’y avait pas de doute à ce sujet. Une puissance incommensurable l’imprégnait. Aucun mortel, humain ou monstre ne semblait pouvoir représenter un danger pour lui. Seul un immortel pouvait affronter un tel combattant.


Soleine attendit qu’il termine son combat. La lionne avait posé doucement sa grosse tête sur les genoux de la jeune femme qui lui passait la main entre les oreilles. Quand il eut terminé, il vint s’asseoir près d’elle.
« - Les armes que l’on m’a forgées sont merveilleuses. Il n’existe pas d’armes plus mortelles que celles là. Elles ont été faites selon mes désirs, avec certains détails particuliers. La garde est munie d’une sangle spéciale qui se noue autour du poignet et me permet de les man½uvrer à distance. Je peux ainsi les utiliser pour des styles particuliers auxquels je m’entraîne depuis longtemps. Je crée autour de moi une sorte de bulle qui me protège tout autant qu’elle inflige des blessures impressionnantes à mes adversaires. Je peux ainsi me battre contre plusieurs assaillants à la fois, mais à la différence des sauvages midgardiens, je me protège bien mieux des attaques de ces adversaires multiples. »


Soleine eut la désagréable surprise de constater que la voix d’Arslann était devenue froide, son regard gris acier, vide de toute chaleur. Il parlait sur un ton impersonnel, bien éloigné de celui qu’elle lui connaissait. Quelque chose avait changé en lui. Même s’il avait conservé l’apparence d’Arslann, le Champion semblait dépourvu d’humanité. Un malaise profond saisit Soleine. Le contraste entre celui qui lui faisait face et le souvenir de celui qui lui l’avait étreinte de façon fugace lui parut encore plus marquée quand il se leva, sans un regard, pour partir s’installer de nouveau au centre du symbole dessiné au sol et reprendre ses exercices. Où était donc passé son compagnon ? En gagnant cette puissance inouïe, Arslann n’avait-il pas perdu le principal ?
Elle se souvint alors de la conversation avec Gwodry près de la forge. Pour la première fois, elle s’interrogea et examina l’âme de l’homme devant elle. Comme Gwodry lui avait expliqué, elle ne perçut qu’un écran grisâtre, une barrière infranchissable s’opposant à son examen. Pas la moindre parcelle de Lumière n’apparaissait dans cet examen. Comme s’il avait senti qu’elle le scrutait, Arslann se tourna vers elle et lui dit « Je suis le Champion ». Il se détourna ensuite et repris son combat imaginaire. Un immense désarroi s’empara alors de Soleine. Elle rentra alors dans la tente pour s’éloigner de cet être dont elle ne sentait plus l’humanité. Mandiwa s’y trouvait toujours.



« - Mandiwa, quel est donc exactement le rôle d’Arslann dans cette histoire ? Pourquoi doit il subir cette transformation ? »


« - C’est une histoire bien longue, et bien compliquée. De plus, je ne peux pas tout t’en dévoiler. Saches que si à l’origine de cette histoire les Puissances cherchaient à empêcher un nouveau cataclysme, elles se sont tellement opposées les unes aux autres qu’une situation inextricable s’est crée. Pour comprendre ceci tu dois abandonner les conventions humaines auxquelles tu es habituée. Le bien et le mal n’existent pas à l’échelle du multivers. Ce sont des notions étriquées créées par l’Homme pour se donner une image du monde. La représentation qui consiste à dire que les forces de la Création sont orientées vers le bien, les Forces du Néant vers le mal et que les forces de l’équilibre sont neutres n’est que la vision déformée qu’ont les humains du fonctionnement de l’univers.
Le multivers est le résultat d’un subtil équilibre entre les diverses factions qui le peuplent. Les Puissances sont les causes premières de la circulation de la substance primordiale, l’éther, substance immatérielle qui baigne la totalité du multivers, et dont les courants engendrent l’énergie source de vie. Cet équilibre est tout sauf un équilibre figé, mais au contraire un permanent renouvellement où création et néant sont tout autant nécessaires. La destruction de l’Atlantide n’est rien à l’échelle du multivers. Cela n’affecte en rien les Puissances, pas même les Forces de la Création. Simplement, il y a eu une modification temporaire des courants parcourant l’éther. Ce que les Forces de la Création et du Néant désirent, c’est tirer le meilleur parti de ces modifications.
Si la transmigration de ton âme se déroule sans qu’Azraël, le démon qui provoqua la chute de l’Atlantide, ne parvienne à s’en saisir, ce sont les forces de la création qui bénéficieront des nouvelles conditions de circulation de l’éther. Dans le cas inverse, ce seront les Forces du Néant.


A l’échelle de l’univers, ton âme n’est rien, jeune fille. Mais, afin de tirer partie des modifications engendrées par cette transmigration, les Puissances ont préparé des plans qui s’opposent si exactement qu’un équilibre pervers s’est institué. Il n’y a plus de circulation de l’éther depuis plusieurs siècles à l’échelle de l’humanité. Les Puissances se sont emprisonnées elles-mêmes dans leurs mesures et contre mesures pour s’assurer le contrôle des flux d’éther qui se modifieront avec ta transmigration. Même l’action des Forces de l’Equilibre n’a pu empêcher cela. L’univers vit une situation de blocage qui est bien plus grave que le succès ou l‘échec de la transmigration de ton âme.
Au milieu de tout ce n½ud de pouvoirs, il y a Arslann. Arslann n’est qu’un outil, rien de plus pour les Puissances. Il est le résultat d’un plan mis au point il y a 8 000 ans afin d’éviter que les Forces du néant ne prennent le contrôle de la première âme pure qui réaliserait sa transmigration après la survenue de la grande conjonction. Ni toi, ni Arslann n’avaient jamais été envisagés autrement que comme des pions sur un échiquier cosmique. Les Puissances n’ont pas de sentiments. De même le Champion n’a pas de sentiments. Il est Arslann, mais Arslann tel que le voient les Puissances, un contenant, rien de plus. Les liens vous unissant n’existent pas pour elles, même si cela a pu favoriser votre rapprochement. Les Puissances ont simplement exploité l’amour qu’Arslann a pour toi. »


Entendant Mandiwa évoquer les sentiments d’Arslann pour elle, Soleine rougit. Face à cette révélation, elle eut envie de revenir sur leur histoire. Elle avait besoin de faire le point sur tout ce qu’elle venait d’apprendre en si peu de temps.
« - J’ai été la dernière à prendre conscience de ses sentiments. Jusqu’à la nuit précédente, j’en ignorais tout. En lui je voyais un homme très proche de moi, le plus proche de tous, mais au sujet des sentiments duquel je ne m’étais jamais posé la moindre question. Tel un grand frère, sa présence était naturelle. Nous étions ensemble, inséparables. Mais je ne voyais que mon objectif propre, sans me demander pourquoi il avait décidé de mettre ses pas dans les miens. Ma s½ur Ketty m’a souvent reproché de vivre trop à l’écart de la foule des fidèles de la Lumière, de ne me préoccuper que de ce qui dépassait de loin l’entendement des simples fidèles. Dans nos expéditions dans les sombres donjons d’Albion, je ne voyais que les épreuves destinées à renforcer mon âme, alors que la motivation de mes compagnons était bien plus terre à terre d’après Ketty. Nos compagnons de passages recevaient mes bénédictions et nous partions combattre les horreurs tapies au fond des ténèbres fangeuses. Jamais je ne posais de questions sur eux. Ketty me disait à l’inverse, qu’elle était obligée d‘éconduire vertement certains d’entre eux qui avaient des vues trop prononcées à mon égard. Je suis une clerc de L’Eglise d’Albion, j’ai fait v½ux de chasteté et d’obéissance. L’union avec un homme ne m’a jamais préoccupée, il y a tant de choses plus importantes. Se rapprocher de la Lumière, par exemple. Un jour, un « Etre engendré de Lumière » m’annonça que je faisais partie des rares à pouvoir espérer être admis à contempler la Lumière de Camelot dans sa totalité. Cela devint mon unique but, mon seul espoir, plus rien d’autre n’avait d’importance. Le désir des hommes glissait sur moi comme l’eau sur une toile cirée. La présence d’Arslann à mes côtés avait aussi l’avantage que nul n’osait plus étaler son désir devant moi. Arslann faisait trop peur. Sa réputation de combattant s’était affermie avec ses exploits à Béryl. Nul n’osait plus m’approcher de peur qu’il n’en prenne ombrage. Je comprends maintenant pourquoi, j’étais la seule à ne pas avoir vu qu’il m’aimait. Oser s’approcher de moi impliquait prendre le risque d’un duel avec un homme dont la réputation de combattant sauvage et acharné grandissait en Albion. »


« Pourtant, ce n’est pas l’image que j’emporterai de lui. Tous ne voient que sa force, son courage, sa fougue. Moi je vois un homme merveilleux qui m’a tout donné sans jamais rien me demander en retour. Même ce baiser qu’il m’a volé la nuit précédente, je le reçois maintenant comme son cadeau d’adieu, comme le souvenir sublime de l’humanité qu’il allait perdre. Maintenant qu’il est devenu cette bête de combat, plus rien ne peut me retenir ici bas. Plus j’y pense, plus je regrette cette complicité qui nous liait, même si je dois admettre qu’elle n’était pas totale, n’ayant pas su entrevoir ses sentiments pour moi. Son regard à la couleur si particulière, gris tempête, n’a plus que la froideur de l’acier. Mon c½ur est empli de la tristesse d’avoir perdu mon compagnon, mais aussi de l’espoir de me fondre enfin dans la Gloire de la Lumière. » Une larme coulait sur sa joue.


« J’étais une petite fille rêveuse, qui pensait qu’un jour un prince charmant viendrait me chercher pour m’emmener vers son château merveilleux sur un blanc destrier. Combien de fois Ketty ne s’est elle pas moquée de moi et de mon rêve de petite fille. Elle n’a jamais voulu croire que j’avais vu la belle dame, une apparition merveilleuse. Une jeune femme éblouissante de beauté, blonde aux yeux clairs comme la lumière, dans une armure rouge carmin, comme ses lèvres. J’étais dans le jardin et je jouais avec ma poupée, imaginant mon prince, quand Ketty est revenue une fois de plus me dire que cela n’existait pas. Alors, je suis partie pleurer mon beau rêve qu’elle s’acharnait à briser. Et là, j’ai revu la belle dame, nimbée de lumière, qui me regardait et me souriait. Elle semblait vouloir me réconforter. Et puis, elle est partie. Alors je l’ai suivie. Je ne me suis pas aperçue immédiatement que j’étais la seule à la voir. Je l’ai suivie jusque dans Camelot. Elle en a parcouru les rues, et nous sommes arrivées à l’église où elle est entrée. C’était la première fois que j’entrais dans une église, et je fus immédiatement saisie par l’ambiance merveilleuse de ce lieu. Pour la première fois de ma vie, j’avais l’impression d’entrer dans un endroit fait pour moi. Une jeune femme vint à moi. Elle s’agenouilla devant moi, et je rencontrais son regard. Il était plein de cette même lumière qui nimbait ma belle dame. Je venais de rencontrer celle qui serait ma seconde mère, Gwennda. Elle me regardait avec plein de douceur et me demanda ce que je venais faire dans l’église, si je m’étais perdue. Alors, je lui désignais la belle dame qui flottait dans l’air, au milieu de la nef. J’avais oublié qu’elle était invisible aux autres hommes. Pourtant Gwennda la vit. Elle nous sourit à toutes les deux, et nous envoya à chacune un baiser. Gwennda me regarda alors, me prit dans ses bras en pleurant. Je l’entendis remercier la Lumière de m’avoir envoyé à elle et promettre de me guider vers le destin merveilleux qui serait le mien. Elle m’expliqua alors que ma belle dame était une vision angélique envoyée par la Lumière pour que nous nous rencontrions. Je deviendrais son élève, et elle m’initierait aux mystères de la foi. Depuis ce jour, mon rêve de prince charmant dort au fond de ma mémoire, et je ne vis plus que pour accomplir ce destin merveilleux que ma belle dame m’a promis. Ce destin, j’en fus instruite plus tard, quand, au court d’une transe initiatique, un être engendré de la Lumière me révéla que mon âme pouvait rejoindre la Lumière si j’en avais le profond désir. »


« - Fille aimée de la Lumière, écoutes mes paroles, ouvre tes oreilles car je vais rompre pour toi des secrets que je devrais taire. J’ai attendu ce jour où les Puissances devraient me rendre enfin ma liberté, mais je ne puis non plus te laisser dans cette détresse sans rien faire. J’en paierai le prix, je l’accepte. Arslann est un pion devenu essentiel dans le jeu des Puissances. Rien ne présageait de cela, c’est pourtant le cas. Il cumule en lui les espoirs des Puissances, qu’il s’agisse des Forces de la Création, du Néant ou de l’Equilibre, bien que je ne sache pas quel espoir les Forces du néant placent en lui. Les n½uds qui entravent la circulation de l’éther sont noués autour de lui. Ceci fait de lui le seul être libre de cet univers. Aucune force n’a actuellement de pouvoir sur lui car les actions de toutes sont exactement antagonistes. De cet équilibre, Arslann doit trouver comment jouer. Et je dis bien Arslann, pas le Champion. De ce qu’il décidera de faire, et quoi qu’il fasse d’ailleurs, un nouveau rapport entre les Forces s’établira. A lui de trouver comment faire pour que cela vous favorise tous les deux. Pour ce qui te concerne, saches que là où tu vas, il n’y aura pas qu’un seul chemin : Parmi ceux qui ont apporté l’armure et les armes du Champion, il y avait une femme. Je l’ai tout de suite reconnue, elle suivait le même chemin que toi la première fois où je la vis passer par ici. Elle semblait bien te connaître, c’est elle qui m’a parlé de toi. L’histoire de la belle dame, je la connaissais déjà, l’ayant entendu de sa bouche. »


« Oui, Soleine, c’est bien de Gwennda dont je parle. Elle a aussi fait le chemin que tu suis, avant toi. Elle partait comme toi pour quitter cette sphère et se fondre dans la Lumière, et pourtant, elle ne le fit pas. J’en ignore les raisons. »


« Cependant, d’après ce qu’elle m’a raconté de sa vie dans votre royaume, je peux imaginer une partie de ce qui la fit rester parmi vous. Je suis un chaman. Mon rôle est celui d’un intermédiaire entre les esprits et les humains. Cette fonction n’existe pas dans votre religion. A l’inverse, un personnage tel que toi, une clerc, est impensable dans notre compréhension de nos relations avec le divin. La Lumière de Camelot n’est pas la seule religion humaine. Il y a celles ayant un clergé constitué et celles où cette notion n’existe pas, comme celle à laquelle j’appartiens. C’est toujours la relation avec le divin qui guide ces religions, mais elles divergent sur la façon de la réaliser. Pour vous, les clercs doivent constituer un groupe à part de l’humanité, refusant certains aspects de la vie pour mieux se rapprocher du divin. Ainsi, le mariage et l’affection pour un compagnon ou une compagne vous sont interdits. Pour nous, le chaman est un être humain qui ne diffère du reste de l’humanité par son aptitude à rentrer plus facilement en contact avec le divin. Il existe d’autres religions où seule l’union charnelle des humains est considérée permettre l’ouverture sur le divin. Toutes cherchent le contact avec le divin, mais chacune par des moyens qui lui sont propres. Il n’y a pas qu’un seul moyen de rentrer en contact avec le divin, souviens t’en. Je crois que Gwennda a décidé de rester parmi vous plutôt que de quitter cette sphère, estimant être plus utile à la multitude en abandonnant son projet de transmigration. Tu auras bientôt à te déterminer définitivement, choisir si tu rejoins la Lumière de Camelot ou non. Toute ta formation doit naturellement te conduire à accepter ce choix. Saches cependant que ce n’est pas la seule voie possible. D’autres servent leur foi avec autant de force que toi sans pour autant vivre en marge de l’humanité. L’exemple de Gwennda montre que d’autres façons de servir la Lumière peuvent exister. A toi de trouver celle qui te conviendra. »



Une fois de plus, mes remerciements à ceux qui m'accompagnent dans cette histoire : Joueuses et joueurs dont j'ai capturé les personnages, relecteurs, et, comme dirait Pierre Deproges, Public chéri mon amour.

La suite
__________________
http://mefaust.free.fr/images/signatures/daoc/sign-arslann1.gif
Citation :
Publié par Nerwen
toujours aussi prenant, mais par pitiééééééééééé, aère ton texte
<a les yeux qui se croisent>
Il me faut en moyenne 6 à 8 heures de travail pour sortir un texte. Je le fais sur Word, et une fois fini je fais un couper / coller. Ensuite, je modifie certains sauts de ligne, mais ce forum n'est pas vraiment adapté à la publication de textes longs.

Et je ne vois pas comment raconter en une page ce qui en nécessite 10 sans complètement chatrer l'histoire.

Je suis bien conscient de la difficulté de lecture sur ce forum, mais c'est ça ou rien, donc, je persiste.
 

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