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Il pleuvait.
Je terminai de mettre par écrit les chroniques des dernières batailles qui avaient ravagé les marches de notre royaume.
Albion accusait le coup porté par les forces hiberniennes sur nos puissantes Tour Sentinelles (Caer Benowyc, Caer Hurbury, …) et l’assaut féroce qui avait souillé le sacro saint Temple du Pouvoir, que d’aucuns nommait le sanctuaire de Haute Sorcellerie, d’autre encore la Tour Gardienne, ou plus couramment Château Myrddin. Les Portes d’Airains avaient cédé sous la détermination et les terribles machines de guerre de l’armée du Royaume d’Emeraude. Les Gardiens du Temple n’avait pu contenir suffisamment longtemps la marée de Firbolgs, d’Elfes et autres démons du Vert Pays qui s’était déversée sur eux. Le pire arriva : l’une des deux reliques sacrés d’Albion, le Bâton de Merlin, quitta la terre bénite de notre royaume.
Je rangeai soigneusement le parchemin sur lequel j’avais relaté ces tristes événements et quittai mon pupitre, pas mécontent de pouvoir me dégourdir un peu les jambes. J’avais travaillé toute la nuit à la lueur de quelques bougies et je n’éprouvais pourtant pas le désir de m’abandonner aux doux plaisirs du sommeil. Au contraire, je ressentis comme le besoin de respirer l’air frais de la Verte Emain. Je rabattis ma capuche et quittai ma salle de travail. Quelques marches plus bas, j’ouvris la porte qui permettait d’accéder aux larges murailles de Château-Gris, l’une des plus puissantes forteresses que nous possédions en territoire ennemi. Le jour se levait et je restai dans la pénombre que me procurait l’entrebâillement de la porte. Emmitouflé dans ma cape, j’observais la silhouette qui, une quinzaine de mettre plus loin, semblait scruter l’horizon. Je reconnu aussitôt l’homme en question au blason de sa cape, bleu et or, et à l’effrayant cimeterre à deux mains qui pendait le long de son dos. Son nom était connu d’un bout à l’autre du royaume, des terres septentrionales de Snowdonia jusqu’aux lointaines plaines stériles de Lyonesses : Tonka Min, Grand Maître de la Division Rune. Il avait le regard absent de ceux qui ruminent de tristes pensées. Il était parfois plus difficile de remporter un combat contre soi-même que contre une horde de Midgardiens assoiffés de sang. Je me désolais, quant à moi, de le voir si discret dans la préparation des événements à venir, lui qui avait si sauvent mené les armées d’Albion à la victoire. Il était à mes yeux l’un des plus grand chef de guerre que nous ayons jamais eu et j’espérais en mon for intérieur qu’il prendrait place au grand dessein qui se tramait en ce cité moment même en la belle ville de Camelot.
Un garde accouru auprès de Tonka, le salua et se mit à lui faire son rapport. Quelques instants plus tard, ils descendaient ensembles vers la gigantesque cour de Château-Gris.
Château-Sauvage continuait à nous ravitailler en hommes et en vivres. Bientôt la formidable armée d’Albion serait prête à se mettre en marche pour aller frapper au cœur même du territoire ennemi et faire payer au peuple d’Hibernia leur félonie.
On attendait, aujourd’hui même, l’arrivée de deux imminentes personnalités, tous deux membres de l’Eglise d’Albion, que la couronne avait sollicité pour prendre part aux évènements en cours. Il s’agissait de Gendan, probablement accompagné d’un grand nombre de ses Chevaliers Noirs, et de Barul, maître incontesté des Dragons d’Argents. Ces deux hommes, aussi différents physiquement que la lune l’est du soleil, n’en étaient pas moins deux des plus grand stratège d’Albion. Ils ne s’aimaient guère, c’était de notoriété public, mais ils avaient néanmoins l’un pour l’autre un certain respect qui laissait à penser qu’ils laisseraient de coté leurs querelles personnelles pour le bien du royaume. Le Conseil de Guerre, composés des maîtres des différentes guildes albionnaises qui avaient accepté de participer à cette grande croisade, ne devait se réunir que dans deux jours, mais les rumeurs laissaient croire que Gendan serait élu Grand Commandeur avec une large majorité. Les Dragons d’Argent avaient, en effet, perdu une grande partie de leur influence sur Albion suite à de nombreux démêlés avec d’autres grandes guildes. Barul avait vu le nombre de ses adversaires augmenté de manière considérable depuis le mystérieux départ du meilleur de ses capitaines : l’invincible Khaledor, le chevalier à l’armure d’émeraude, le dragon d’Albion. Ses exploits font malheureusement partie du passé, son nom n’est plus qu’un souvenir et si certains parlent de trahison en clamant haut et fort qu’il aurait rejoint les rangs de nos ennemis, d’autres, et j’en fais partie, continue à espérer secrètement son retour.
Je délaissai momentanément Tonka, parti se préparer à accueillir les nouveaux arrivants, pour m’aventurer sur le chemin de ronde rendu glissant par la pluie qui s’était peu à peu transformée en une légère bruine. Je saluai d’un petit mouvement de tête les quelques sentinelles que je croisai avant de m’arrêter un peu plus loin pour contempler le prodigieux spectacle du levé du soleil sur les collines verdoyantes d’Emain. Je restai là pendant de longues minutes, émerveillé par tant de beauté. Il était difficile de croire que ce paysage féerique avait été le lieu d’innombrables combats.
L’agitation naissante, dans les divers campements qui avaient été installés ces derniers jours aux pieds de la forteresse, me fit sortir de ma méditation. Les premiers rayons du soleil venaient de mettre un terme à l’état léthargique de la grande armée d’Albion. Déjà on s’activait à diverses tâches afin que tout soit prêt pour le jour du grand départ. Et tandis que l’ombre cédait la place à la lumière du jour, les campements se mirent à rayonner d’une myriade de couleurs vives et chatoyantes par le biais des nombreuses bannières, étendards et autres oriflammes que le vent animait de petits mouvements sporadiques. Je reconnu les couleurs du clan Colymar, des Chevaliers de la Marche, des Cœurs Braves, des Miles Christi, de l’Ordre du Sang et de bien d’autres guildes encore inféodées pour la plupart à l’une des trois guildes dirigeantes d’Albion. A elles seules, ces trois grandes alliances rassemblaient 80% des forces armées albionnaises.
Cette fois ci ce fut le son d’un cor, provenant du nord-ouest, qui attira mon attention. Je tournai machinalement la tête dans la direction d’où m’était parvenu ce son afin d’essayer d’identifier ceux qui annonçaient ainsi leur retour à Château-Gris. Je distinguai bientôt les silhouettes d’un petit détachement d’hommes aux armures sombres. Je dus attendre qu’ils se rapprochent d’avantages pour pouvoir identifier leur blason que je reconnu comme étant celui des Dragon Slayers, une guilde mercenaire, n’ayant prêté serment d’allégeance à aucune des grandes guildes dirigeantes, une force armée indépendante de ce système d’alliances qui était à la base de la structure politique et militaire du royaume d’Albion. Je n’étonnerai personne en disant que les guildes mercenaires avaient mauvaises réputations et celle des Dragon Slayers plus encore. On la disait constituées d’être vils et méprisants qui ne prenaient part aux actions du royaume que lorsqu’ils pouvaient en tirer un bénéfice personnel.
Le petit détachement de Dragon Slayers rejoignit son campement que j’apercevais sur ma droite, un peu à l’écart des autres. Il était inutile d’être à leur côté pour deviner leurs traits tirés par la fatigue et leurs armes et armures encore maculées du sang de leurs victimes. Quand une guilde mercenaire quittait la protection des puissantes murailles de Château-Gris c’était rarement pour une mission de routine. Les hommes se séparèrent assez rapidement pour rejoindre leur couche et s’accorder le repos qu’ils méritaient après toute une nuit de patrouille en territoire ennemi, à l’exception d’un seul, que je vis quitter le campement, d’un pas nonchalant, pour aller partager la solitude d’un petit rocher isolé sur lequel il aimait venir s’asseoir que ce fût pour réfléchir ou pour retrouver son calme après l’un de ses légendaires coup de colère. A cette distance, je ne pouvais pas voir son visage couturé de cicatrices témoignant d’une longue expérience au métier des armes, mais personne n’aurait pu se tromper sur son identité tant la monstrueuse fourche de guerre dont il avait fait son arme de prédilection était devenu le symbole de celui qu’on prétendait être le meilleur maître d’armes de tout Albion. Taciturne et laconique, Sigfried n’était pas d’une compagnie des plus agréable et son tempérament impulsif et colérique ne le rendait guère plus sympathique aux yeux de ses semblables. Du coup, beaucoup le haïssait, peu le tolérait et rares étaient ceux qui l’appréciaient.
Mystery faisait partie de cette dernière catégorie et lorsque je l’aperçu, longeant la muraille de sa démarche féline, je me surpris à la suivre du regard. Elle était belle comme l’aurore mais derrière son petit sourire charmeur se cachait une redoutable combattante. Elle semblait ignorer la peur et c’était toujours avec une extrême férocité qu’on la voyait se jeter dans la bataille. Je la vis faire un petit signe de la main à son vieil ami Arkhos qui s’apprêtait à rejoindre ses hommes pour une mission de reconnaissance. On le voyait de plus en plus sauvent prendre le commandement de troupes alliées depuis que son clan s’était plus au moins éteint. Au grand dam d’Albion, le clan Agartha avait cessé de semer la terreur parmi les rangs ennemis.
Mystery fini par rejoindre Sigfried à son havre de paix. Je lançai discrètement un petit sortilège de clairaudience. A aucun moment je n’ai eu le sentiment de mal agir. Mon intention n’était pas de les espionner, j’avais juste envie d’entendre le son de sa voix. Peut être tout simplement parce que moi aussi, comme tous les hommes du royaume, j’en étais secrètement amoureux.
― C’est une heure bien tardive pour rentrer à Château-Gris, non ? dit-elle sur un petit ton de reproche.
― Je trouve au contraire qu’il est encore bien tôt, répondit-il d’un petit air narquois. Après tout, le soleil vient à peine de se lever.
Devant l’expression contrariée de Mystery, il poursuivit :
― Nous avons passé la nuit à traquer une bande de Trolls qui avaient tué deux de nos éclaireurs près de la vieille tour, de l’autre côté du Mur. Nous avons fini par les retrouvés non loin du grand lac, au nord de Dun Crauchon, où ils avaient rejoint certains de leurs amis. Apparemment, Midgard aussi s’intéresse à ce que nous préparons ici, et eux aussi sont plus nombreux que l’on ne le croit.
― Vous avez réussit à passer le Mur de Midgard et à vous approcher de leur avant poste ? s’enquit-elle.
― Non, répondit-il laconiquement.
― Vous avez mis Tonka au courant ?
― Non plus. Mais vu le nombre de sicaires, dépêchés par la Fraternité des Ombres, que nous avons entr'aperçu en traversant le Mur, cela m’étonnerait qu’il n’ait pas encore reçu un rapport détaillé sur les forces ennemies présentes à Emain.
― Fatigué ? demanda t’elle d’un air malicieux.
― Non…
Avant que Sigfried n’ait eu le temps de terminer sa phrase, Mystery le frappa d’une série de coups rapides qu’il ne parvint à parer que de justesse. La hache d’arme de Mystery décrivit alors un large demi cercle avant de s’abattre sur la fourche de guerre de son adversaire. Le contact des deux armes produisit un bruit fracassant. Sigfried, sous la violence de l’impact, dus faire quelques pas en arrière. Puis, aussi soudainement qu’elles avaient commencé, les attaques de Mystery cessèrent.
― Même le meilleur d’entre nous a parfois besoin de prendre un peu de repos, dit-elle tranquillement comme si rien ne s’était passé. Si j’étais toi, j’irais dormir un peu. Dans quelques jours, le sommeil deviendra un luxe dont nous devrons nous passer.
― Tu as raison comme toujours, dit-il en la gratifiant d’un large sourire. J’y vais de ce pas maman, continua t’il d’un ton taquin, avant de s’en retourner vers le campement.
― Une dernière chose, dit-elle.
― Oui ?
― Prends un bain, tu sens mauvais !
Le gong de la Tour d’Almin résonna alors d’un bruit assourdissant, j’en perdis ma concentration et mon sortilège fut brisé. Je mis quelques secondes à retrouver mes esprits, déployant un effort considérable pour ne pas perdre mon équilibre. Bientôt, je pus faire face à la cour pour assister au prodigieux miracle qu’allaient réaliser, bien loin de ces terres hostiles, dans la cour de Château-Sauvage, Visur et ses apprentis. Je vis alors apparaître, sur la vaste plaque de téléportation, Barul entouré de ses Dragons d’Argent ainsi que Gendan et ses Chevaliers Noirs. Tonka s’avança vers ses deux confrères, les salua, et c’est ensembles qu’ils gravirent les marches des hautes murailles de la forteresse pour aller au devant de leurs hommes qui déjà les acclamaient en scandant leur nom. Ils se donnèrent la main avant de lever les bras au ciel pour saluer ceux qui avaient répondu à leur appel. De la foule en liesse monta alors bruit tonitruant qu’on entendit paraît-il jusqu’au delà du Mur. La grande armée d’Albion acclamait ses chefs et réclamait vengeance.
Virgile, Gardien du Savoir
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